La Syrie, c'est une vieille histoire, aussi bien pour la France que pour la Russie, même si notre relation avec ce pays est moins ancienne que la vôtre. Du temps de l'Union soviétique, nous avions de très bonnes relations avec la Syrie, si bien que des Russes se sont installés dans ce pays, s'y sont mariés avec des Syriens et aujourd'hui nous avons une communauté russe estimée entre trente mille et cent mille personnes.
Pour savoir ce qu'il convient de faire aujourd'hui, il faut porter un bon diagnostic, avant de proposer une quelconque solution, car si le diagnostic est erroné la thérapie ne pourra pas marcher. Je dirai donc que la situation sur place résulte de la superposition de plusieurs conflits.
Le premier d'entre eux est celui entre le peuple et son gouvernement qui résulte de ce qu'on a appelé le « printemps arabe ». Il y a une volonté de changement dans la jeunesse et d'une façon générale dans la majorité des peuples arabes lassés de voir toujours les mêmes à la tête de l'Etat. Cette volonté a conduit aux mutations que l'on sait en Tunisie et en Egypte. Je ne dirai pas la même chose en Libye car l'implication des forces extérieures était trop forte pour que l'on dise que c'est la révolution libyenne qui a abouti. Quoiqu'il en soit, la question se pose de savoir où vont s'arrêter ces révolutions ?
En Russie, nous avons connu une situation semblable et cela a conduit à la fin de l'Union soviétique. Le fait est que dans notre pays cela s'est déroulé de façon pacifique alors qu'en Syrie c'est un bain de sang.
Deuxième conflit : les tensions permanentes entre le monde chiite et le monde sunnite. Or ce conflit n'est pas notre conflit. Cette guerre n'est pas notre guerre. Je dirai simplement à titre personnel que les tendances les plus radicales ne sont pas où on peut l'imaginer et qu'il faut bien choisir ses amis. En tous les cas la Russie n'est pas le démon que l'on a bien voulu présenter et nos positions ne sont pas si éloignées de celles de l'Europe. Ce que nous voyons de Moscou, c'est une montée de l'Islam radical qui se fait contre le monde chrétien. Je pense en particulier à la situation des Coptes égyptiens.
Troisième conflit, inutile de se le cacher, c'est celui qui oppose au sein du monde atlantique les Etats-Unis et la Russie. L'objectif aux Etats-Unis est bien, dans un contexte de surenchère électorale, de « faire plier la Russie » de « faire plier Poutine ». Et je me demande bien ce qui va arriver si Mitt Romney est élu Président des Etats-Unis ? Ce qui est important c'est que les Américains puissent dire aux autres Etats ce qu'ils doivent faire, bref qu'ils conservent leur « leadership ».
Pour en revenir à la Syrie, il faut trouver une solution politique et s'assoir à la table des négociations. Mais avec qui ? Les membres de l'opposition disent tous qu'ils ne veulent pas négocier avec Bachar El-Assad. Soit, mais avec qui alors, si vous ne parlez pas à vos ennemis ? Il faut trouver des interlocuteurs.
Quelle est la solution politique ? Tout le monde la connaît. Il faut préparer des élections libres qui conduiront à la désignation d'une assemblée constituante qui elle-même mettra en place de nouvelles autorités et permettra l'élection d'un nouveau Président. On ne peut pas imposer un Président de l'extérieur. C'est inenvisageable et contraire au droit international.
Dans l'immédiat il faudrait un cessez-le feu de tous les côtés et je dis bien de tous les côtés. Nous avons fait un communiqué en ce sens et nos partenaires occidentaux s'en sont distancés.
Bachar El-Assad a évidemment une grande responsabilité dans cette situation. C'est vrai. Mais s'il part, cela ne va rien changer car il y a dans son entourage des gens bien pires que lui, dont on se demande s'il n'est pas l'otage et s'ils ne le manipulent pas. Assad a sa part de responsabilité. Mais il ne faut pas penser qu'il est à l'origine du mal. Il a tout un entourage. C'était très maladroit de commencer la négociation par la demande de son départ. Si vous voulez transformer le point de départ en un point d'arrivée, il ne peut pas y avoir de négociations. Quand bien même il voudrait partir, comment doit-il faire ? Il a les exemples de Kadhafi et de Moubarak sous les yeux et qu'on ne peut pas dire que ça se soit bien passé dans un cas comme dans l'autre. On ne lui a pas laissé de porte de sortie.
Il y a aussi l'aspect multiconfessionnel. Il faut que dans la nouvelle Syrie que nous appelons de nos voeux, il y ait un équilibre entre les différentes confessions. C'est très compliqué. Au lieu de mettre la situation actuelle sur le dos de la Russie on ferait mieux de se concentrer sur la constitution de la future Syrie et pour ce faire, chacun doit travailler avec les gens sur qui il peut avoir une certaine influence afin de les emmener à la table des négociations et c'est bien ce que nous essayons de faire.