Intervention de Jean-Louis Falconi

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 12 décembre 2012 : 1ère réunion
Politique de sécurité et de défense commune de l'union européenne — Audition de M. Jean-Louis Falconi ambassadeur représentant de la france auprès du comité politique et de sécurité cops de l'union européenne

Jean-Louis Falconi, Ambassadeur, Représentant de la France auprès du Comité politique et de sécurité (COPS) de l'Union européenne :

Je vous remercie de votre invitation. Depuis que j'ai été nommé représentant de la France auprès du comité politique et de sécurité de l'Union européenne, en novembre 2009, c'est la deuxième fois que j'ai l'honneur de m'exprimer devant votre commission, la précédente audition remontant à juin 2010, et je suis heureux de vous présenter aujourd'hui l'état des lieux et les perspectives de la politique de sécurité et de défense commune de l'Union européenne.

J'articulerai mon intervention autour de trois grands axes.

Tout d'abord, depuis la présidence française de l'Union européenne de 2008, qui a été marquée par des avancées importantes concernant l'Europe de la défense, il est vrai que nous avons connu un certain « trou d'air », même si la France, qui continue de jouer un rôle majeur dans ce domaine, n'est pas restée inactive et que des graines ont été semées.

Ensuite, je dirai un mot de l'état actuel de la politique de sécurité et de défense commune de l'Union européenne.

Enfin, je terminerai mon intervention en vous décrivant les perspectives qui se dessinent actuellement en matière d'Europe de la défense pour 2013.

En premier lieu, depuis 2008, l'Europe de la défense a effectivement connu un certain « trou d'air ». A l'exception de la mission de formation des troupes somaliennes « EUTM Somalia », lancée en 2010, l'Union européenne n'a lancé aucune nouvelle opération, civile ou militaire, entre 2008 et mi-2012. Au contraire, ces quatre dernières années, plusieurs missions de l'Union européenne antérieures ont été « gelées », à l'image de la mission « EU Bam Rafah » de surveillance de la frontière entre l'Égypte et la bande de Gaza, ou fermées, comme par exemple la mission de police « EUPM BH » en Bosnie-Herzégovine, et certaines sont en voie de l'être, comme les deux missions de l'Union européenne en République démocratique du Congo (« EUPOL » et « EUSEC »).

De plus, malgré l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne en décembre 2009, un certain nombre d'avancées institutionnelles, à l'image de la « coopération structurée permanente » ou de la « clause de solidarité » n'ont pas été mises en oeuvre. Or, la non-application de ces nouveaux dispositifs est souvent perçue comme le témoignage d'un manque de volonté politique de la part des Etats membres.

Quelles sont les principales raisons qui expliquent l'absence de réelles avancées de l'Europe de la défense ces quatre dernières années ? J'en vois essentiellement trois.

La première explication tient à l'impact de la crise économique et financière et à ses effets sur les budgets de la défense des Etats membres de l'Union européenne et donc sur leurs capacités militaires.

La seconde raison, essentielle, tient au manque de volonté politique collective des Etats membres. A cet égard, le cas de la Libye a été révélateur, avec les fortes divergences entre les Etats membres de l'Union européenne. En effet, alors que l'Union européenne aurait pu prendre sa part de la mise en oeuvre de la résolution 1973 du Conseil de sécurité en lançant une opération de surveillance de l'embargo maritime sur les livraisons d'armes au régime de Kadhafi, à l'image de la mission Atalanta dans la Corne de l'Afrique, la quasi-totalité des vingt-sept Etats membres de l'Union européenne, à l'exception de la France, ont écarté cette idée au Conseil affaires étrangères de mars 2011, y compris nos partenaires allemands, qui étaient hostiles au principe même d'une intervention dans cette zone, mais aussi et surtout nos partenaires britanniques, pour des raisons davantage idéologiques puisqu'ils estimaient que c'était à l'OTAN (non encore mandatée) et non à l'Union européenne d'intervenir.

Enfin, un dernier facteur tient à la mise en place du service européen pour l'action extérieure. Si ce service a vocation à regrouper les différents instruments relevant de l'action diplomatique et de la gestion de crise, mais aussi des relations extérieures dans les matières communautaires, la mise en place de ce service a été assez difficile et elle a entraîné, dans les premiers temps, une perte de repères qui a compliqué la diffusion de l'expertise technique.

Malgré ces blocages et l'absence de grandes avancées, la France n'est cependant pas restée inactive et nous avons posé plusieurs « jalons » pendant ces quatre dernières années, qui nous permettent aujourd'hui d'enregistrer des progrès.

Ainsi, sous présidence belge de l'Union européenne en septembre 2010 a été lancée l'initiative « mutualisation et partage » des capacités (« pooling and sharing ») sous l'égide de l'agence européenne de défense.

En outre, la Pologne a fait de la défense européenne l'une des priorités politiques de sa présidence de l'Union européenne, au deuxième semestre de l'année 2011. Pour la mettre en oeuvre, elle a souhaité le soutien et l'expertise de la France à travers une revitalisation du « triangle de Weimar », qui regroupe la France, l'Allemagne et la Pologne. Ce format s'est montré actif en particulier sur les questions de défense, et la PSDC a fait l'objet d'importantes conclusions du Conseil des affaires étrangères le 1er décembre 2011, avec des avancées dans ce domaine.

Depuis 2008, la politique de sécurité et de défense commune a donc quand même connu des progrès, à la fois au niveau capacitaire, concernant les opérations et sur le volet institutionnel.

En matière de capacités, on peut notamment mentionner les projets lancés dans le cadre de l'initiative « partage et mutualisation » (« pooling and sharing ») sous l'égide de l'agence européenne de défense. Je citerai en particulier le ravitaillement en vol, avec une déclaration d'intention adoptée lors du dernier Conseil « Défense » au travers de laquelle 10 Etats membres, dont la France, s'engagent à travailler en vue de l'acquisition d'une flotte d'avions ravitailleurs, dont nous avons pu voir les lacunes lors de l'intervention en Libye et dont nous souhaitons qu'elle bénéficie à l'industrie européenne de défense. Les travaux développés dans le cadre de l'AED englobent plusieurs aspects comme la mutualisation des heures de vol sur l'ensemble des capacités existantes en matière de ravitaillement en vol. Je mentionnerai également la lutte contre les engins explosifs improvisés, par laquelle l'agence et la France comme nation cadre ont développé un laboratoire d'analyse, capacité rare et dont le coût s'élève à un million d'euros. Il est actuellement déployé en Afghanistan. Le « pooling and sharing » s'applique à bien d'autres domaines : formation des pilotes d'hélicoptères, soutien médical, surveillance maritime...

S'agissant des opérations, trois nouvelles opérations civiles ont été lancées fin 2012 et une quatrième est en voie de l'être, qui sont le fruit de plusieurs mois ou d'années d'efforts : une mission de formation de policiers et douaniers au Niger (EUCAP Sahel Niger), une mission de renforcement des capacités maritimes dans la Corne de l'Afrique (EUCAP Nestor), complémentaire de la mission « Atalanta » de l'Union européenne en matière de lutte contre la piraterie maritime au large de la Somalie, une mission de sécurisation de l'aéroport de Djouba au Soudan (EUAVSEC Sud Soudan). Enfin, une mission civile d'appui à la surveillance des frontières maritimes et terrestres en Libye pourrait être lancée au début de l'année prochaine.

Enfin, en matière institutionnelle, la France n'a pas ménagé ses efforts en faveur de la création d'un quartier général permanent de l'Union européenne à Bruxelles (« OHQ ») et du renforcement des capacités de planification et de conduite des opérations de l'Union européenne. A la suite d'une initiative du « triangle de Weimar » et sur la base d'un mandat du Conseil des ministres, la Haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Mme Catherine Ashton, a rendu un rapport en juillet 2011 qui a confirmé tout l'intérêt pour l'Union européenne de disposer d'une structure permanente et autonome de planification et de conduite des opérations. Certes, cette idée n'a pas fait l'objet d'un accord au sein de l'Union européenne, puisque le Royaume-Uni continue de s'y opposer, mais on a pu constater un changement complet d'état d'esprit chez nos partenaires européens. Alors qu'il y a encore une dizaine d'années, la création de cette structure autonome de planification et de conduite des opérations était portée par un petit nombre de pays, comme la France, l'Allemagne et la Belgique, et que la plupart des autres Etats y étaient hostiles, aujourd'hui tous les pays membres y sont favorables, à l'exception notable du Royaume-Uni. En effet, tous les pays membres ont pu mesurer l'intérêt pour l'Union européenne de pouvoir disposer d'une structure permanente de planification et de conduite des opérations à l'occasion du lancement des différentes opérations de l'Union européenne ces dernières années. Alors que l'on dit souvent que les Britanniques ont une approche pragmatique, sur ce dossier, le Royaume-Uni semble avoir une opposition d'ordre idéologique, qui paraît de moins en moins bien comprise par ses partenaires européens. En juillet 2011, le débat des ministres des affaires étrangères sur ce point a été révélateur de ce changement d'état d'esprit chez nos partenaires européens.

Malgré l'absence de progrès sur la création d'un quartier général européen à Bruxelles, les pays membres de l'Union européenne ont néanmoins décidé, sous présidence polonaise de l'Union européenne, au Conseil des affaires étrangères du 1er décembre 2011, le principe d'activation du centre d'opérations de l'Union européenne pour les missions et l'opération PSDC se déroulant dans la Corne de l'Afrique. Ce centre d'opérations à Bruxelles, qui compte actuellement dix-sept personnes (son effectif maximal est de 70 personnes) permet la planification opérationnelle et la conduite d'opérations militaires de la dimension d'un groupement tactique (environ 1500 hommes).

La France n'a pas abandonné la perspective de la création de « l'OHQ européen », c'est-à-dire ce centre de planification et de conduite des opérations (objectif partagé par nos partenaires comme l'a rappelé la déclaration adoptée par les ministres des affaires étrangères et de la défense des pays de « Weimar Plus », en novembre dernier), mais elle a décidé de mettre l'accent sur les progrès concrets à réaliser sur les autres volets, que sont les capacités et les opérations.

Permettez-moi pour terminer d'évoquer les grands dossiers en cours et les perspectives de la politique de sécurité et de défense commune.

La principale actualité tient à l'engagement, à l'initiative de la France et, confirmé tout récemment par les ministres des Etats membres de l'Union européenne, du lancement d'une nouvelle opération militaire de l'Union européenne de formation et de structuration de l'armée malienne. A la suite de l'engagement du Président de la République et son discours à l'Assemblée générale des Nations unies en septembre, en moins de trois mois, nous sommes parvenus à nous mettre d'accord au niveau européen, lundi dernier, sur un concept de gestion de crise pour une mission de formation de l'Union européenne de l'armée malienne. Ce sont ainsi environ 3 000 soldats maliens qui devraient bénéficier l'an prochain d'une formation. Ces soldats maliens pourraient constituer la principale force d'intervention pour la reconquête du Nord Mali, avec l'appui d'autres soldats des pays de la Cédéao et de l'Union africaine, dans le cadre d'une future résolution du Conseil de sécurité des Nations unies. A cet égard, je voudrais insister sur l'importance de vos contacts avec les Parlementaires allemands du Bundestag qui auront à se prononcer par un vote sur l'éventuelle participation de l'Allemagne à cette mission européenne de formation au Mali.

En ce qui concerne les opérations, certains de nos partenaires européens, comme les Allemands ou les Italiens, ont évoqué, lors de la réunion des pays de « Weimar Plus » à Paris, en novembre dernier, une « européanisation » du dispositif de sécurité dans les Balkans assuré aujourd'hui par la mission « Eulex » de l'Union européenne et la mission de la KFOR de l'OTAN au Kosovo, ainsi que la mission Althéa de l'UE en Bosnie Herzégovine. C'est aussi une recommandation du rapport de M. Hubert Védrine. Une première étape pourrait être de doter la mission EULEX au Kosovo des effectifs dont elle a besoin pour exercer sa mission exécutive notamment au Nord. Cette mission est aujourd'hui critiquée pour ses défaillances qui tiennent d'abord à ce que plusieurs Etats membres (notamment la France, l'Italie et la Roumanie...) ont retiré, faute de moyens, leurs contingents de policiers et de gendarmes, laissant aux militaires de la KFOR la délicate mission de s'occuper des situations de maintien de l'ordre, pour lesquelles les policiers et les gendarmes sont pourtant mieux placés que les militaires. Une européanisation du dispositif de sécurité dans les Balkans irait dans le sens d'une affirmation de l'Union européenne à ses frontières immédiates et irait de pair avec la perspective européenne accordée à ces pays.

Une troisième piste de travail, menée par la Commission européenne et le service européen pour l'action extérieure, porte sur l'« approche globale des crises ». Il s'agit théoriquement de tirer les conséquences des innovations introduites par le traité de Lisbonne et de renforcer la coordination entre l'action militaire et les autres volets de l'action extérieure, comme l'aide au développement ou l'action humanitaire. La France accompagne et observe pour le moment cette réflexion en ayant le souci de bien préserver le caractère central de l'instrument PSDC et privilégie d'abord les sujets pratiques à la réflexion théorique, au moment où l'Union européenne est confrontée à des défis, comme la situation au Sahel ou dans la Corne de l'Afrique.

Enfin, le dernier chantier concerne la préparation du Conseil européen de décembre 2013, qui devrait être consacré aux questions de défense. L'idée que les questions de défense soient évoquées directement par les chefs d'Etat et de gouvernement lors d'un Conseil européen n'est pas nouvelle mais elle a été reprise récemment par le Président du Conseil européen M. Herman Van Rompuy, qui considère que la relance de la défense européenne fait l'objet d'une attente de la part des citoyens, qu'elle contribue à la croissance et l'emploi et qu'elle participe à l'approfondissement de la construction européenne. Cette idée, qui a été encouragée par la France au plus haut niveau, devrait être confirmée par le Conseil européen des 13 et 14 décembre, qui devrait définir un mandat en vue de la préparation de ce Sommet. Ce mandat devrait porter d'abord sur le volet capacitaire et industriel, avec l'idée d'encourager le partage et la mutualisation des capacités et la préservation de la base européenne de défense, puis sur les aspects opérationnels, c'est-à-dire l'amélioration du fonctionnement des opérations. Ce Conseil européen sera alimenté par une contribution de la Commission européenne sur les marchés et industries de défense, une contribution de l'agence européenne de défense sur les projets capacitaires et une contribution du service européen pour l'action extérieure sur les opérations de l'UE.

En définitive, comme l'ont rappelé récemment le Président de la République et le ministre de la défense, et comme le souligne Hubert Védrine dans son rapport, la France reste le principal moteur de l'Europe de la défense. Notre pays continue de jouer un rôle majeur d'impulsion politique en faveur de la politique de sécurité et de défense commune de l'Union européenne. Nous pouvons nous appuyer sur des capacités militaires, la disposition à les déployer et une analyse stratégique des grandes crises mondiales. La volonté française de promouvoir une relance de l'Europe de la défense est donc un élément déterminant pour le succès de cette initiative.

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