Vous affirmez que les Chinois ne souhaitent pas de G2, qu'ils promeuvent plutôt un monde multipolaire. Mais dans la réalité, avec leur montée en puissance économique comme militaire, avec la faiblesse de l'Europe, ne va-t-on pas vers un G2 de fait ? Le couple sino-américain paraît incontournable !
Ensuite, qu'en est-il des relations avec la Birmanie ? Notre ambassadeur en Birmanie, lors de son audition devant notre commission, semblait penser que l'ouverture birmane pourrait être de nature à inquiéter Pékin. Cela semble se confirmer par l'arrêt de la construction du barrage financé par la Chine. Est-ce annonciateur, pour la Chine, de problèmes au sud ?
Professeur François Godement - Pour schématiser, plus vous êtes proches de la Chine, plus vous êtes inquiets. Même la junte birmane, qui a pourtant échappé aux sanctions grâce à l'action de la Chine, s'est inquiétée d'une influence trop prédominante. La politique américaine, à cet égard, a été très astucieuse, en privilégiant une approche directe vis-à-vis de la Birmanie à partir de septembre 2009, et cela a fonctionné ! Mais cela ne veut pas dire pour autant que l'influence chinoise a disparu, elle reste très importante, notamment sur le plan économique.
La Corée du Nord est un État indépendant qui sait très bien calculer ses risques stratégiques par rapport à la Chine, qui sait aussi se mettre opportunément dans son sillage. C'est une sorte d'alliance de revers. Les Américains rêvent de faire une deuxième Birmanie, mais cela risque d'être difficile : les deux régimes ne sont pas les mêmes.
Il y a un arc Corée du sud, Japon, Taiwan, Singapour, Inde, Philippines de pays qui prennent des contre-assurances avec les États-Unis, qui souhaitent la force de la présence américaine comme contrepoids. Cette alliance se dissiperait vraisemblablement si la Chine changeait de politique extérieure. Plus la Chine agit en puissance politique du XIXème siècle, plus elle va susciter des résistances et contre-manoeuvres. C'est une providence pour les budgets militaires et d'armements ! Mais pour les Chinois, ces pays s'arment, parlent d'agir, mais bluffent et n'agissent pas, donc l'occupation de l'espace par la Chine est faisable. Ainsi, elle peut remporter des succès spectaculaires et inattendus : il y a deux ans, les relations avec la Corée du Sud étaient extrêmement tendues, aujourd'hui Seoul espère une pression chinoise contre la Corée du Nord et donne donc de la voix contre le Japon dans les affaires territoriales.
Sur la capacité de projection militaire chinoise, je ne pense pas qu'ils possèdent déjà les outils d'intervention adaptés. Mais l'effort est continu.
Enfin, pour revenir sur le G2, les Chinois ne se laissent pas impressionner par nos discours sur les nouvelles normes globales. La Chine construit une zone d'influence, des liens bilatéraux, joue sur les deux systèmes mais n'a pas vocation à remplacer les États-Unis dans l'ordre international. La Chine cherche plutôt à se tailler un système en marge du système, avec des zones de concurrence de plus en plus fortes. Ce qui est difficile à déterminer, c'est si ce comportement est causé par une trop grande arrogance ou un trop grand manque de confiance. C'est certainement un mélange des deux.