Je suis très sensible, Monsieur le président, aux mots que vous venez de prononcer en direction des personnels de l'ambassade qui effectuent un travail difficile et comportant des risques. Venant du président de la commission des affaires étrangères du Sénat, cet hommage rendu aux diplomates de terrain est important.
La situation à laquelle nous assistons sur le terrain depuis huit mois est une très grave crise des droits de l'homme en Syrie. Le bilan humain de la répression des manifestations est dramatique : au moins 4000 morts, et ce bilan est sans doute sous-estimé, des dizaines de milliers de personnes emprisonnées, souvent torturées, parfois disparues. Derrière cette situation, les besoins humanitaires sont croissants : d'abord, dans les poches assiégées par les forces de sécurité -je pense à certains quartiers de villes comme Homs et qui sont des lieux de combats-, ensuite l'accès aux soins pour les victimes de la répression, comme l'a noté la commission d'enquête du Conseil des droits de l'homme des Nations unies, et pour lesquelles les hôpitaux ne sont plus des lieux de soins mais des lieux d'insécurité, enfin pour les familles des victimes de la répression, des centaines de milliers, qui n'ont plus accès aux besoins élémentaires. La dégradation va se poursuivre, les besoins vont croître.
Sur le terrain, le rapport de force reste aujourd'hui encore favorable au régime. L'appareil de direction politique comme l'appareil de sécurité restent apparemment unis. Les forces de sécurité sont bien équipées et entraînées, leur puissance de feu n'a pas été exploitée dans sa totalité.
Du côté de l'opposition, la mobilisation n'a pas faibli malgré la répression. Il y a moins de manifestations massives, le vendredi, mais les manifestations de plus petits groupes, plus mobiles et agissant à toute heure se sont multipliées. Cette opposition se radicalise dans ses revendications. Elle reste majoritairement pacifique dans ses modes d'actions mais on observe à la marge des actions violentes voire armées, ce qui n'est pas surprenant. On assiste également à une coordination de cette opposition, coordination encore imparfaite, avec des oppositions entre opposants de l'intérieur et opposants de l'extérieur, entre laïcs et proches des Frères musulmans, entre personnalités également. Le Conseil national syrien (CNS), créé depuis deux mois, à la tête duquel se trouve un universitaire sunnite et laïc, M. Buhran Ghalloun, regroupe un large spectre d'opposants de l'intérieur comme de l'extérieur. Même s'il reste des tensions en son sein, il y a une dynamique qui lui fait gagner en crédibilité. Il existe aussi des tensions avec l'Armée syrienne libre car le Conseil national reste attaché à des moyens pacifiques dans sa lutte contre le régime. Quand on aborde la Syrie, il faut aussi tenir compte de la polarisation communautaire. Soit par tradition, soit par l'action du régime qui utilise ces divisions, de façon schématique,, les minorités alaouites (plus de 2 millions d'habitants), chrétiennes (1,8 million), druzes et kurdes (très attentistes) continuent de soutenir le régime. La majorité (2/3) de la population est arabe sunnite et s'éloigne du régime, ceux d'entre eux qui étaient proches du régime sont désormais sur une voie médiane. Cette polarisation rend possible un glissement vers une guerre civile à base confessionnelle comme on en a connues dans les Balkans et en Irak. Ce risque existe. On en perçoit des signes tangibles à travers le développement de violences entre communautés comme récemment à Homs. Cette dynamique est inquiétante.
Enfin, l'économie se dégrade. La crise a fait disparaître les touristes. Les sanctions, et notamment celles touchant les exportations de pétrole décidées par les pays membres de l'Union européenne, gênent considérablement le régime.
Au total, en reprenant le vocabulaire des joueurs d'échecs, les forces se trouvent dans une situation de « pat » qui va durer et dont la violence va s'intensifier. La fragilité du régime n'est probablement pas au sein de l'appareil sécuritaire, mais dans sa capacité à le financer, du fait du durcissement des sanctions économiques.
Sur la scène internationale, l'isolement de la Syrie est croissant (Europe, États-Unis, Pays arabes, Turquie). On a pu le mesurer par le résultat exceptionnellement élevé des États (122) qui ont voté la résolution présentée le 22 novembre à l'assemblée générale des Nations unies pour condamner les violences du régime. Mais, il n'est pas total, les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) évoluent très lentement sur le sujet. L'Inde et la Russie restent très fermes sur leurs positions, même si cette dernière s'est abstenue le 22 novembre à l'ONU. La Chine est attentive aux initiatives des pays arabes. Dans le voisinage, l'Iran mais aussi l'Irak et le Liban qui ne mettront pas en oeuvre les sanctions décidées par les pays membres de la Ligue arabe, restent des soutiens. En toile de fond, on retrouve les clivages traditionnels entre chiites et sunnites et la crainte de l'Iran dans le monde arabo-musulman.
Que faire ? A l'ambassade, nous assurons une présence sur le terrain, y compris d'appui aux militants des droits de l'homme et de témoignage, mais aussi pour garder les contacts et comprendre la situation. Cette présence a une résonnance forte dans la population quand nous arrivons à nous déplacer sur le terrain, malgré les menaces du régime. Le gouvernement français met tout en oeuvre pour faire décroître les violences, cesser la répression et accompagner, ainsi, une dynamique de transition démocratique, en développant son action aux Nations unies et dans l'Union européenne. C'est un travail de longue haleine car on est placé dans une dynamique de moyen terme plus que de court terme.