Intervention de Eric Chevallier

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 30 novembre 2011 : 1ère réunion
Audition de M. Eric Chevallier ambassadeur de france en syrie

Eric Chevallier, ambassadeur de France en Syrie :

Israël maintient une certaine forme d'ambivalence. La Syrie est « son meilleur ennemi », 40 ans de conflit sur le Golan sans un coup de feu, mais Israël ne peut qu'être préoccupé par l'influence croissante de l'Iran et le fait que la Syrie soit le point de passage de l'armement du Hezbollah au Liban. Israël reste attentiste mais préfèrerait probablement le changement de régime à Damas à l'installation du chaos à sa frontière.

Les scénarios de sortie de crise sont multiples :

- le scénario « à l'Iranienne », l'efficacité de la répression permet au régime de passer le cap des manifestations. Il a sans doute été trop loin dans la répression pour qu'un retour au calme soit envisageable ;

- le scénario « irako-balkanique » de l'installation dans la violence de la transformation de la crise en guerre civile à base communautaire. Le risque est élevé ;

- les scénarios politiques, soit par un accord, sous l'égide de la Ligue arabe avec le soutien de la Turquie. Ce qui était possible, il y a quelques mois, devient fort improbable aujourd'hui. Le second scénario de sortie de crise politique résulterait d'une fracture interne au régime. Mais un coup d'État peut se traduire tout aussi bien par un changement de stratégie des élites alaouites que par un durcissement, certains critiquent en effet Bachar al-Assad pour sa « mollesse ».

S'agissant des chrétiens, la communauté chrétienne compte treize Eglises, certaines catholiques, d'autres orthodoxes. Elle penche plutôt pour le régime par crainte panique de l'arrivée au pouvoir des sunnites. Même si cette peur est largement instrumentalisée par le régime, elle constitue une réalité forte. Notre action est de comprendre leurs peurs et de leur parler en Syrie et à l'extérieur. Nous devons leur recommander, pour leur avenir et dans leur intérêt, de prendre de la distance avec un régime aussi violent et répressif dans ce conflit, car si elles manifestent leur soutien à ce régime, elles risquent d'en subir les conséquences en cas de changement. Il existe aussi des personnalités chrétiennes comme Michel Kilo qui sont dans l'opposition et qui peuvent être des relais. Nous devons aussi insister auprès de l'opposition pour que toute leur place soit faite aux minorités.

La Turquie joue un rôle spécifique, en fonction de ses intérêts et de ses préoccupations. Elle a plus de 800 km de frontières avec la Syrie, la stabilité du pays est un enjeu vital pour la Turquie. La question kurde les préoccupe beaucoup. La Turquie compte 20 millions d'alévis qui constituent une minorité issue de la branche chiite comme les alaouites. Enfin une grande partie du commerce turc vers le Moyen-Orient transite par la Syrie.

Avec la France, l'Arabie Saoudite, le Qatar et les États-Unis, la Turquie fait partie des pays qui se sont révélés les plus attentifs et les plus actifs lorsque le régime syrien a montré en 2008-2009 des signes d'ouverture. Aujourd'hui, ils se retrouvent pour condamner la répression.

La Turquie agit d'abord en fonction de ses intérêts vitaux. Elle a notablement durci le ton à l'égard du régime. Elle entretient par ailleurs des contacts avec l'armée libre syrienne.

Les Palestiniens sont nombreux en Syrie (500.000). Tous les groupes sont représentés. Le Hamas, très lié aux Frères musulmans sunnites, a pris ses distances avec le régime. Au contraire, certains groupes radicaux restent très proches du régime et très loyaux, allant même jusqu'à prêter main forte à la répression. J'observe également que la jeunesse palestinienne en Syrie a les mêmes réactions et les mêmes revendications que la jeunesse des pays où se sont déroulés les printemps arabes.

L'impact de la crise au Liban est important, il renforce les clivages entre le « 8 » et le « 14 » mars. Cela étant dit, le régime syrien n'a pas encore utilisé ces moyens de déstabilisation du Liban, car il a besoin d'un gouvernement libanais relativement proche de lui pour l'aider aux Nations unies et au sein de la Ligue arabe, et pour faire pièce à ses opposants. Le régime ne se sent pas encore acculé, il y a néanmoins un risque et une vulnérabilité, comme il peut y avoir des risques d'instabilité en Irak avec une relance de la tension entre chiites et sunnites ou à la frontière turque.

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