Intervention de Jean-Pierre Chevènement

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 16 avril 2013 : 1ère réunion
Autorisation de prolongation de l'intervention des forces armées au mali — Communication

Photo de Jean-Pierre ChevènementJean-Pierre Chevènement, co-président :

Les Maliens doivent écrire eux-mêmes leur avenir, qui reste aujourd'hui très incertain. Tout a été dit sur le naufrage du « miracle » démocratique malien, « pays du sourire » où le culte du consensus sous le Président Amadou Toumani Touré (ATT) cachait en fait une déréliction rampante des structures de l'État gangréné par la corruption et complice des groupes terroristes.

La République du Mali a failli disparaître. C'était une question d'heures. D'autant que, selon certaines rumeurs, un nouveau coup d'Etat était en préparation à Bamako. Le Mali traverse aujourd'hui sa plus grave crise depuis l'indépendance. Pourtant, on attend un sursaut salvateur et la classe politique se réfugie encore parfois dans le déni. La rébellion touareg, non plus que l'offensive terroriste, ne sont « tombés du ciel » ! Il y a un problème, lancinant, du Nord délaissé. Les Touaregs ne sont certes pas seuls dans les 3 régions du Nord, où ils sont minoritaires, sauf à Kidal, mais ils en sont à leur quatrième rébellion armée en 50 ans. Il s'agit plus que d'un seul « effet de souffle » de l'intervention en Libye, ou d'un problème de sous-développement, c'est une épine lancinante dans l'histoire du Mali contemporain, depuis la répression de la première rébellion en 1963, au cours de laquelle Modibo Keïta a voulu éradiquer le système touareg féodal, faisant plusieurs milliers de morts. Les 3 rébellions ont donné lieu à des accords branlants, mal appliqués.

Le souvenir de l'OCRS, éphémère « organisation commune des régions sahariennes » du temps des colonies (1957-1962), nourrit un mythe de connivence, de la France avec les Touaregs, qu'il faut dissiper. Les chefferies touarègues, organisations complexes et hiérarchiques, pour ne pas dire féodales, sont traversées de clivages profonds et subtils et ne se confondent avec le MNLA. Il ne faut pas oublier, au Nord, les Arabes, autres « peaux blanches » -situés quant à eux à l'ouest du septentrion malien-, ou les Peuls, les Songaï, les Bellahs... qui pourraient partager bien de leurs revendications. Aujourd'hui, pour Bamako, c'est le MNLA qui parait être l'ennemi, et pas AQMI ou le MUJAO... La position de la France est très claire : l'unité et l'intégrité territoriale du Mali doivent être restaurées. Cela passe par une réconciliation profonde et le désarmement du MNLA, selon des modalités à préciser.

Le sentiment national malien, éclos dans l'élan de l'indépendance, est désormais mâtiné, dans ce pays charnière entre monde arabe et Afrique noire, aux frontières artificielles, que nous avons tracées, qui rattache deux mondes différents, de vives tensions communautaires entre « peaux noires », Touaregs et Arabes. Partout, monte l'islamisme radical : au Nord, où la Dawa pakistanaise (Tabligh) est présente depuis le milieu de la décennie 2000-2010, au Sud où les « wahhabites » ont pris la présidence du Haut conseil islamique, et ont fait échouer en 2009 une modernisation du code de la famille, dans un pays pourtant majoritairement malékite, d'islam traditionnellement tolérant et ouvert. On a vu s'y développer un réseau de dispensaires, de médersas, des mosquées, sur des financements venus du Golfe... Une chaine francophone Al Jazeera doit émettre prochainement à Dakar.

La « feuille de route » de la réconciliation politique, adoptée le 29 janvier dernier, tarde à se concrétiser. Or cette réconciliation entre les ethnies est indispensable afin de dissocier durablement les populations des groupes terroristes et d'assécher le recrutement terroriste. Nous voyons 4 priorités :

- Reprendre le fil interrompu des élections démocratiques. La volonté existe pour aller aux élections et sortir de la fragile transition qui a suivi le coup d'Etat de mars 2012, mené par le capitaine Sanogo, mais les obstacles techniques, voire financiers, empêcheront sans doute de tenir les élections législatives en même temps que les présidentielles, avant les pluies. Nos inquiétudes portent sur le risque de pléthore de candidats, le nécessité de renouveler la classe politique discréditée, sur la faible mobilisation, pour l'instant, voire sur les risques d'une campagne démagogique qui éviterait de traiter des questions qui fâchent ;

- Rétablir l'État est la 2ème priorité : ni junte ni milice ! Les discours lénifiants sur la soi-disant mise à l'écart des putschistes, tenus par le Président de la République malienne lui-même, ne nous ont pas convaincus : leur influence est encore bien réelle et fait peser une hypothèque sur la suite, qu'il faudrait lever en leur offrant au plus vite une porte de sortie. Beaucoup considèrent encore que le coup d'Etat a été salvateur ;

- Approfondir la décentralisation est le 3ème enjeu. Le Président du Haut Conseil des collectivités territoriales, qui devait être transformé en Sénat de plein exercice, nous a décrit une décentralisation « coquille vide », certes poussée dans les textes mais manquant de moyens et donc virtuelle. Organisation territoriale, découpage des circonscriptions, partage des ressources budgétaires, de l'aide internationale et de la future rente minière, accroissement des libertés locales : il y a de nombreuses attentes insatisfaites.

- Enfin et surtout, il faut prendre le chemin de la réconciliation, j'y reviens, à partir du moment où seront respectés les préalables de l'abandon de la lutte armée, de la reconnaissance de l'intégrité territoriale du Mali et de son caractère laïc. La commission « Dialogue et réconciliation », sur le rôle de laquelle personne ne s'entend, qui a mis un mois à voir ses attributions définies et ses 3 premiers membres nommés, n'est pas présidée par une personnalité de poids, plusieurs personnalités pressenties ayant décliné l'offre. Elle n'a à ce stade pas commencé à travailler (il y a peu d'électeurs au Nord...). Or la réconciliation conditionne l'éradication du terrorisme.

La question de l'impunité est centrale : les crimes et exactions doivent être sanctionnés, de part et d'autre. Deux symboles pourraient être des actes forts sur le chemin de la réconciliation : le massacre de soldats maliens à Aguelhoc (imputé au MNLA, ce qu'il réfute) et la question de Kidal, fief du MNLA, où l'armée malienne n'a pas repris pied. Une médiation française et nigérienne, informelle, pourrait aider à faire les premiers pas sur le chemin du dialogue dans lequel le gouvernement malien ne s'engagera pas spontanément, et d'une réconciliation sans laquelle il serait illusoire de vouloir interrompre le cycle de la violence.

La France n'a pas vocation à rester au Mali. Le Président de la République l'a affirmé, et le retrait de premiers soldats a symboliquement commencé, pour passer progressivement de 4 500 à 2 000 en juillet, puis à 1 000 à la fin de l'année. Rester serait « être le pot de miel qui va attirer les mouches » : on se transforme rapidement en armée d'occupation. Nous avons déjà perdu 5 hommes, dépensé 200 millions en 4 mois. Nous sommes très (trop ?) visibles dans le rôle de porte-drapeau de la lutte contre le terrorisme, comme nous le rappelle trop bien notre palmarès de première nation en termes d'otages détenus. L'appel d'air des infiltrations « djihadistes », orienté aujourd'hui vers la Syrie, pourrait, demain, concerner aussi le Sahel, avec des conséquences qu'on peut imaginer sur une communauté forte de près de 100 000 Maliens en France.

Il faut aussi maintenir la pression sur les autorités maliennes, qui ne doivent pas s'endormir dans le confort de la présence française : « la France ne doit pas se laisser piéger par les faiblesses du Mali !» nous a dit un haut responsable malien.

Nous savons aussi que les populations peuvent se retourner, face à ce qui reste une intervention étrangère sur le sol africain. La question de Kidal, celle des exactions supposées ou réelles de l'armée malienne, « caillou dans notre chaussure », ou dommages collatéraux d'une guerre asymétrique, pourraient servir de catalyseurs.

La lutte contre le terrorisme ne peut être menée dans la durée par une armée étrangère.

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