Intervention de Gérard Larcher

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 16 avril 2013 : 1ère réunion
Autorisation de prolongation de l'intervention des forces armées au mali — Communication

Photo de Gérard LarcherGérard Larcher, co-président :

Trois obstacles de taille doivent pourtant être levés pour permettre le désengagement français :

1- La relève par l'opération de maintien de la paix de l'ONU, la MINUSMA, souhaitable pour des raisons financières, logistiques et politiques, implique au préalable une réelle stabilisation sécuritaire. Les « Casques bleus » ne font pas la guerre et ne pourront lutter contre le risque terroriste résiduel. Plusieurs membres du Conseil de sécurité sont aujourd'hui réticents et le rapport du Secrétariat général a d'ailleurs présenté deux options, qui pourraient être deux phases successives. Le maintien d'une « force parallèle » française de 1 000 hommes sera indispensable : notre désengagement sera donc relatif. Les conditions de son adossement à « ONU » sont en débat, autour du modèle de Licorne et de l'ONUCI. Pour l'instant, l'espoir demeure d'un vote la semaine prochaine pour un transfert d'autorité en Juillet ;

2- Le redressement des forces armées maliennes prendra des années et dépasse le seul mandat EUTM (15 mois). Décrite parfois comme un « hologramme », son équipement comme une « brocante », l'armée malienne est, de l'aveu même de son chef d'état-major, le général Dembélé, décomposée, sans ligne de commandement, sans unité organique. Victime de recrutements népotiques, de désertions -certains soldats ne venaient que pour toucher leur paye-, de sous-équipement, elle est à reconstruire et n'a pas pu aligner plus de 3 000 hommes, dont certains se sont battus avec beaucoup de courage. 10 000 recrutements sont prévus. Il faudra plusieurs années. Les forces de sécurité intérieure sont dans le même état.

3- La montée en puissance des forces africaines reste un défi à relever, pour employer des termes diplomatiques. À part les valeureux Tchadiens, qui ont perdu au moins 31 soldats dans la vallée de l'Ametettaï, et les Nigériens, dans une certaine mesure, les forces africaines, qui ont par exemple sécurisé la forêt de Ouagadou, n'ont pas été réellement engagées au combat, même les Nigérians, grande puissance militaire de l'Afrique de l'Ouest. Elles sont cantonnées au sud-ouest du pays, où il n'y a pas eu de combats. Leur soutien, leur logistique, leur financement, ne sont pas assurés : les dons promis à la Conférence des donateurs n'arrivent pas. L'entretien que nous avons eu avec le général Abdul Kadir, commandant la MISMA, ne nous a guère rassurés.

Les menaces sont telles au Sahel que nous n'en aurons pas fini avec la seule intervention au Mali. Gagner la guerre ne suffit pas ; et pour gagner la paix, il nous faut inventer des réponses globales à dimension régionale.

Même si la « colonne vertébrale » d'AQMI a été brisée, les intérêts français continueront d'être menacés dans une région instable sans doute pour un long moment, et où les terroristes sauront s'enkyster dans de nouvelles zones « molles », comme le Sud Libyen -la récente communication de notre président Jean-Louis Carrère était claire à ce sujet- ou le Nord Niger, et peut être une partie de la Mauritanie.

D'une région menacée, le Sahel est en effet devenu une région « menace ». Dans un continent en plein essor, ces pays figurent parmi les plus pauvres du monde. Au Mali, la moitié de la population est sous le seuil de pauvreté, l'espérance de vie à la naissance (51 ans) est celle de la France au XIXè siècle. L'insécurité alimentaire menace 18 millions de personnes au Sahel, 220 000 enfants y meurent de faim chaque année. Il y a aujourd'hui 470 000 déplacés rien qu'au Mali.

Le défi démographique est gigantesque : Nouakchott a aujourd'hui plus d'habitants que dans toute la Mauritanie à l'indépendance. Le taux de fécondité du Niger, 7,2 enfants par femme, est le plus élevé du monde. Il y aura en 2050, 50 millions d'habitants au Mali, contre 15 aujourd'hui, 30 millions au Tchad, contre 8 aujourd'hui, 37 millions au Burkina Faso, contre 12 actuellement. La population urbaine va tripler avec une forte proportion de jeunes sans emploi. Comment ces territoires fragiles supporteront-ils une telle charge démographique ?

Les effets du réchauffement climatique se font sentir dans une zone où le pastoralisme nomade et l'agriculture d'oasis, au Nord, sont de plus en plus déstructurés, et où l'agriculture, dans le bassin du fleuve, ne donne pas son plein potentiel. C'est le sous-développement et le désoeuvrement de la jeunesse qui font le lit des trafics et du terrorisme.

A ces fragilités traditionnelles sont venus s'ajouter deux véritables « chocs » déstabilisateurs. Le premier a été l'installation d'AQMI, issu du GSPC algérien, favorisé par la faiblesse, voire la complicité de l'État malien, et la constitution progressive de son sanctuaire dans l'Adrar des Ifoghas. Le deuxième choc est l'arrivée du trafic de cocaïne à la fin des années 2000 : les cartels sud-américains se détournent alors des routes du Nord, trop « risquées » et suivent « L'autoroute A10 », le long du 10ème parallèle, pour pénétrer le marché européen depuis l'Afrique de l'Ouest, principalement par le Ghana et la Guinée Bissau. Le Sahel a toujours été une zone de trafics divers : cigarettes, essence, voitures, pièces détachées, armes, migrants, haschich... Mais avec la cocaïne, on change d'échelle, comme l'a montré l'affaire « Air cocaïne » en 2009, ces Boeings bourrés de drogue échoués en plein désert après une traversée de l'Atlantique. Chaque année, le chiffre d'affaires serait de 2 milliards de dollars ! Le travail de gangrène commence lentement mais sûrement avec l'arrivée de la cocaïne....

La première réponse est le développement économique, qui assèche le recrutement terroriste. La France ne consacre que 200 millions d'aide bilatérale à 17 pays prioritaires, soit 1,5 pour mille de son aide publique affichée. Quelle coordination des bailleurs saura-t-on mettre en place ? Quelle sera la capacité d'une administration malienne, très faible, à absorber cette aide ? Il a fallu « tenir la plume » pour élaborer le « document stratégique » des autorités maliennes... Il faudra aussi trouver un équilibre politique subtil entre les besoins du Nord et ceux du Sud. Enfin, un mécanisme de suivi très serré de l'emploi des fonds est indispensable.

Le deuxième impératif est de tenter de bâtir une architecture de sécurité régionale solide. La CEDEAO, échelon régional de l'architecture africaine de sécurité, a su réagir vite, mais elle n'aurait pas pu faire face seule à la virulence de la menace. Les structures d'état-major conjoints rassemblant des pays sahéliens, comme l'EMOC, issu des accords de Tamanrasset, n'ont pas montré plus d'efficacité. Il nous faut donc trouver les moyens d'impulser une collaboration régionale, dont la clé de l'efficacité se trouve sans doute dans une meilleure implication de l'Algérie -Jean-Pierre Chevènement y reviendra-.

Enfin, quelles conséquences devrons-nous tirer sur notre empreinte au sol en Afrique ? La tentation du « hors sol », poussée par la contrainte budgétaire, est très forte aujourd'hui, rendue possible par l'arrivée prochaine des A400M. Nous pensons qu'il faut y résister, quitte à réexaminer le centre de gravité de nos implantations, aujourd'hui très (trop ?) occidental par rapport à la menace et à la situation des communautés françaises. Faut-il rééquilibrer Dakar et Libreville, quelle complémentarité entre Djibouti et la base des Émirats ? Faut-il une politique d'empreinte légère, dans les voisins du Mali : Niger, Burkina, Mauritanie ? Nos collègues membres de la commission du Livre blanc pourront sans doute nous dire quelles ont été leurs réflexions en la matière ? C'est un enjeu important.

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