Intervention de Jean-Pierre Chevènement

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 16 avril 2013 : 1ère réunion
Autorisation de prolongation de l'intervention des forces armées au mali — Communication

Photo de Jean-Pierre ChevènementJean-Pierre Chevènement, co-président :

Pour conclure, si nous préconisons de voter en faveur de la prolongation de l'intervention au Mali, nous formulons toutefois 10 fermes recommandations.

1- Le principal risque aujourd'hui est l'enlisement du processus politique malien, qui serait un scénario catastrophe pour nous. Il faut aller aux élections, au moins présidentielles, dans les meilleures conditions possibles, d'ici fin juillet, quitte à « découpler » les législatives ;

2- Le zèle des autorités maliennes à promouvoir une véritable réconciliation n'est pas totalement avéré, surtout en période électorale. Or la réconciliation avec les Touaregs conditionne le succès de la lutte antiterroriste. Il faut dissocier ceux-ci de la population. Les réactions contre l'impunité et la réconciliation avec le Nord sont pourtant les deux piliers pour refonder le pacte national malien. La commission « Dialogue et réconciliation » doit commencer à travailler. Il faut dépasser la « tentation du déni » et renouer les fils rompus du dialogue avec le Nord, soit sous l'égide du Niger, dont le Premier ministre est touareg, seule médiation régionale crédible aujourd'hui, soit avec l'appui français. La question de Kidal et celle du massacre d'Aguelhoc sont deux abcès de fixation qui doivent recevoir un traitement particulier ;

3- L'état malien est à reconstruire : armée, forces de sécurité, justice, administration au Nord. De cet effort, ce pays n'a pas les moyens sans l'aide de la communauté internationale, il faut en tenir compte pour la conférence du 15 mai ;

4- Les facteurs de fragilité qui ont conduit à l'effondrement du Mali sont partagés par plusieurs États de la région. La réflexion pour lutter contre les défis de long terme doit engager l'Union européenne, englober l'ensemble du Sahel et s'attaquer aux causes structurelles (trafic de drogue, problèmes de gouvernance, sous-développement économique...). Faute de quoi la décomposition se poursuivra et nous aurons demain un nouvel écroulement, au Niger, en Mauritanie, au Burkina Faso, en Libye... ;

5- La solidarité européenne s'est trouvée réduite aux acquêts, et le Conseil européen de décembre 2013, consacré à la défense, que prépare le groupe de travail « Europe de la défense », devra poser la question de la volonté politique. Pour l'heure, se pose la question du partage de l'effort, notamment financier, pour la prise en charge des intérêts stratégiques européens en Afrique de l'Ouest ;

6 - L'aide au développement, enjeu de la Conférence du 15 mai, pose quatre défis : la capacité à avoir une approche globale, la coordination des bailleurs, la « capacité d'absorption » des Maliens et l'équilibre politique entre développement au nord et au sud du Mali ;

7- Serval, qui a montré la grande compétence des forces armées, a aussi montré les limites de notre appareil de défense, aujourd'hui préservé d'arbitrages budgétaires potentiellement dévastateurs. Quel paradoxe aurait été d'engager aujourd'hui les forces armées au Sahel tout en programmant leur futur déclassement !

8- Une réflexion complémentaire doit être lancée sur nos points d'appui en Afrique : le Livre blanc de 2008 programmait un rétrécissement qui n'aurait pas permis, s'il avait été totalement mis en oeuvre, d'intervenir au Mali dans les mêmes conditions. Cet enjeu sera-t-il pleinement traité dans le Livre blanc de 2013 ? Comment maintenir notre empreinte et résister à la tentation du « hors sol » ? Faut-il rééquilibrer vers l'ouest le centre de gravité de nos points d'appui ? Il faut réfléchir à notre politique africaine de sécurité, reformulée autour de deux paradigmes : l'européanisation et l'africanisation, qui n'ont pas démontré, en l'espèce, toute leur solidité ;

9- Les architectures de sécurité régionales n'ont pas été en mesure de faire face à la menace. Une réflexion doit être menée sur le renforcement de la « force africaine en attente », et sur une association de l'Algérie, état central pour la résolution de toute crise sécuritaire dans la région sahélienne. Rien ne pourra se faire sans l'Algérie et son armée forte de 300 000 soldats, qui connait le terrorisme pour l'avoir subi pendant « les années de plomb» au prix de plus de 100 000 morts ; l'Algérie avec laquelle nous rentrons dans une nouvelle ère de relations et dont les positions ont favorablement évolué depuis le 11 janvier ;

10- Il semble de plus en plus s'opérer un « couplage », via la contagion du terrorisme et du radicalisme religieux, entre Maghreb, Machrek, Moyen-Orient et Afrique sub-saharienne. La vision d'ensemble est nécessaire sur le plan politique : il faut introduire de la cohérence, dans notre approche, face au continuum que peut représenter, dans une certaine mesure du point de vue de notre sécurité et de nos rapports avec le monde musulman, le « djihadisme », (entendu comme l'action de groupes terroristes armés agissant contre nos intérêts), les différentes formes de salafisme, l'islamisme politique ou la « simple » islamisation des moeurs comme réflexe de défense face à l'hyper-individualisme libéral. Nous devons penser globalement ce problème. Il y a une ligne à tracer dans l'intérêt même du progrès du monde musulman. Nous ne devons pas confondre l'Islam et l'islamisme radical.

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