Mes chers collègues, avec Robert del Picchia, Marcel-Pierre Cléach et Christian Namy, nous nous sommes rendus, début octobre, à New-York, à l'occasion de l'Assemblée générale de l'ONU.
Les rencontres et réunions organisées à notre attention nous ont permis de nous entretenir avec :
- aux Nations unies : le Secrétaire général M. Ban Ki-moon ; M. Jeffrey Feltman, Secrétaire général adjoint aux affaires politiques ; Mme Valérie Amos, Secrétaire générale adjointe aux affaires humanitaires et coordinatrice des secours d'urgence ; M. Edmond Mulet, Sous-Secrétaire en charge des opérations de maintien de la paix ;
- les ambassadeurs-représentants permanents du P5 : M. Li Baodong (Chine), M. Vitaly Tchourkine (Russie), M. Mark Lyall Grant (Royaume Uni), Mme Rosemary DiCarlo (RP-adjointe des Etats-Unis) ;
- M. Thomas Mayr-Harting, Chef de la délégation de l'Union européenne ; M Mohammed Loulichki, représentant permanent du Maroc.
- M. Vuk Jeremic, Président de la 67e Assemblée générale (Serbie) ainsi que M. Gert Rosenthal, représentant permanent du Guatemala, pays qui assumait la présidence du Conseil de sécurité pour le mois d'octobre.
La délégation a pu assister à une séance publique du Conseil de sécurité, consacrée au renouvellement du mandat de la FIAS (Afghanistan) puis à un briefing sur la situation au Sierra Léone. Elle a suivi l'examen du rapport du secrétaire général sur l'activité de l'organisation en réunion plénière de l'Assemblée générale.
Un déjeuner avec les représentants permanents de plusieurs pays africains (Mali, Tchad, Togo, Bénin, Côte d'Ivoire, Gabon, Burkina-Faso, Niger, Mauritanie), qui a constitué un moment très fort de notre visite, nous a permis un échange libre et nourri, particulièrement intéressant, sur la situation dans le Sahel et au Nord Mali.
Un débat autour de M. Youssef Mahmoud, expert du think tank IPI (Institut pour la paix Internationale, spécialiste des enjeux onusiens) a fourni des éclairages et des appréciations sur le bilan et les perspectives des printemps arabes, un an après. Enfin, un déjeuner organisé par le Consul général, M. Bertrand Lortholary, a été l'occasion d'échanges avec des analystes politiques américains et des journalistes sur les thématiques de la campagne présidentielle américaine et ses inflexions à un mois du scrutin. Le résultat de l'élection a pleinement corroboré les analyses qui nous ont été présentées.
Comme vous le voyez notre séjour a été occupé de manière dense par ces rencontres.
Le très grand intérêt de ces missions consiste en la juxtaposition des analyses et des positions des différents pays ou acteurs intervenant au sein de cet outil irremplaçable du multilatéralisme qu'est l'ONU, en dépit de ses défauts et de ses faiblesses. Il permet aussi de juger, dans cette enceinte, de la pertinence de nos choix diplomatiques, de la façon dont ils sont perçus et donc de situer l'action de la France dans le monde.
Il convient d'emblée de rendre hommage à notre représentation à l'ONU pour le très remarquable travail qui y est effectué. L'équipe rassemblée autour de notre ambassadeur, Gérard Araud, est de premier ordre. Les personnalités que nous avons rencontrées, ambassadeurs, responsables de l'ONU, nous ont tous vanté les mérites de notre représentation permanente à l'ONU. C'est un jugement des pairs qui mérite d'être souligné.
Avant de vous rendre compte des quatre principaux thèmes qui ont constitué la trame de nos entretiens, je voulais vous faire part d'une réflexion générale sur ce que je peux analyser de l'évolution actuelle de l'ONU et de la position que nous y occupons.
Le Conseil de sécurité est évidemment le coeur du système onusien. Notre statut de membre permanent nous assure une place et une influence dont il faut reconnaître le caractère exorbitant par rapport à la place réelle de notre pays dans le monde. Cette place, qui nous conduits, avec les Britanniques, à être à l'origine des deux-tiers des initiatives, est un atout fondamental pour notre pays. Il faut la préserver. Pour cela, contrairement à nos amis du Royaume-Uni, nous jouons la carte européenne. Je crois que c'est un bon choix qui n'est pas de nature, comme le craignent, ou feignent de le craindre, les Anglais, à remettre en cause notre appartenance au Conseil. Ceci pour une raison évidente qui est que l'ONU reste avant tout et je dirai, quasi exclusivement, une organisation des Etats et non des organisations régionales, aussi fortes soient elles.
Cette première conclusion est fondamentale : c'est notre intérêt national de jouer la carte ONU, afin de préserver notre statut, gage de notre influence internationale, et de promouvoir en son sein le rôle de l'Union européenne. Pour cela il faut évidemment soutenir notre représentation permanente et lui donner les moyens de son action.
Notre action au sein du Conseil de sécurité n'est évidemment pas isolée. Elle s'appuie sur l'accord du P3 (Etats-Unis - France - Royaume Uni) sans lequel rien ne se fait, mais aussi sur nos réseaux de pays amis, je pense notamment aux pays africains et au groupe francophone. Elle s'appuie aussi sur les fonctionnaires français qui travaillent à l'ONU, à tous les postes de responsabilité. De ce point de vue, il faut encourager la promotion de nos ressortissants aux postes intermédiaires où notre empreinte pourrait être plus forte.
Il faut également s'appuyer sur le Secrétaire général, M. Ban Ki-Moon, qui est un allié et un ami de notre pays dont il a appris la langue. Nous avons eu avec lui un entretien très chaleureux. Son deuxième mandat, que nous avons fortement soutenu, devrait être le moment de pousser la réforme de l'institution qui est tout à fait nécessaire.
Le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, a fait un certain nombre de propositions qui portent sur l'élargissement du Conseil de sécurité, sur la proposition d'un code de conduite sur l'utilisation du veto. Il a également avancé des propositions sur une agence de l'environnement, sur un renforcement des liens avec les émergents, et sur quelques autres thèmes.
Notre intérêt c'est d'avoir une ONU forte et active dans la gestion des crises internationales. Une perte d'influence de l'ONU rendrait le monde plus incertain, ce dont il n'a pas besoin, en déportant au niveau régional la résolution des situations de crises et en affaiblissant le corpus de règles internationales en en régionalisant l'application. Il faut éviter cela et lutter contre les tendances centripètes à une époque ou la multipolarité n'est plus un concept mais une réalité.
Or, que constatons-nous ? Les émergents, les BRICS, s'affirment, ainsi que les néo-émergents. Ces pays ne se considèrent d'ailleurs pas comme « émergeant » mais comme réémergeant après une parenthèse historique d'affaiblissement forcé dont on attribue la responsabilité à la politique coloniale des puissances occidentales pendant près de trois siècles. Comme la Chine, ils mettent en avant leur riche histoire. Avec eux ce sont de nouveaux souverainismes qui s'affirment et qui véhiculent des conceptions sensiblement différentes de celles de l'Occident. On le voit bien au travers de trois exemples :
- la contestation de la responsabilité de protéger par une affirmation absolue de la souveraineté des Etats et le refus de toute velléité de changement de régime,
- la conception de ce qu'est la démocratie, de ce que sont les droits de l'homme et singulièrement ceux de la femme,
- ou encore la reconnaissance des religions avec le débat sur le blasphème.
Laurent Fabius constatait dans une tribune que « Trop souvent, les Nations unies se présentent désormais comme une association de nations aux ambitions concurrentes. Des nations qui acceptent de s'entendre sur des objectifs limités à condition qu'ils correspondent à des intérêts conçus de manière étroite et sans prise en compte suffisante du long terme. »
Ce qui est, plus ou moins ouvertement, contesté aujourd'hui c'est la construction et l'existence même d'un corpus de règles fortement influencé, sinon dicté par l'Occident. Hubert Védrine le souligne depuis longtemps : la chute du mur de Berlin signe la fin de trois siècles de domination occidentale. Nous sommes engagés depuis dans un grand mouvement de rééquilibrage. Le blocage du Conseil de sécurité avec l'affaire syrienne et les vetos russes et chinois en est l'une des illustrations, même s'il donne, à mon avis, une fausse idée d'impuissance et de d'immobilisme. En fait, comme un plongeur qui remonte, l'ONU est à un palier de décompression. Ce n'est pas la première fois que cela arrive dans l'histoire de l'ONU. L'essentiel est, bien évidemment, de ne pas redescendre.
J'ai donné l'exemple de la Syrie mais nous pourrions également parler des négociations sur le changement climatique et de bien d'autres sujets en instance à l'ONU.
Sur ce palier les équilibres sont en train de changer. Il nous faut les accompagner. C'est en partie la raison pour laquelle nous sommes l'un des pays moteurs sur la réforme de l'institution et, en particulier, sur la question de l'élargissement du Conseil de sécurité. Le rôle de notre diplomatie doit être « d'engager » les pays émergents qui s'affirment aujourd'hui et de leur faire prendre conscience que leur montée en puissance leur donne des droits - qu'ils doivent exercer pleinement, notamment au Conseil de sécurité - mais aussi des devoirs.
L'ONU de demain, si elle dépasse le palier actuel, ne sera plus celle du monopole de l'Occident. Il nous faut faire de la place pour les nouvelles puissances et leur montrer qu'il est de leur intérêt de continuer à promouvoir les valeurs qui sont celles de l'institution : démocratie, droits de l'homme, libertés politique au service de la paix et du développement. Pour aboutir à ce résultat, il faudra partager. Je crois que la France peut, et doit, être l'un des instruments principaux de ce mouvement de partage. Elle doit être à l'avant-garde.
Lors de nos entretiens, nous avons abordé quatre sujets d'actualité qui sont, sans surprise, le Sahel et la situation au Nord Mali, la Syrie, la prolifération nucléaire, en particulier au Moyen Orient, et la question palestinienne.
Je passe la parole à Marcel-Pierre Cléach pour nous présenter nos entretiens concernant les deux premiers thèmes et Robert del Picchia conclura par l'Iran et la Palestine.