Je vais aborder en premier lieu la situation au Sahel et dans le Nord Mali. Comme vous le savez, la France est en pointe sur cette question au Conseil de sécurité et à l'ONU en général. Le Président de la République a abordé cette question dans son intervention lors de l'ouverture de la 67e session et lors d'un « évènement » de haut niveau sur le Sahel. Il a redit de la manière la plus claire la volonté de la France de soutenir les autorités du Mali et ses alliés africains pour reconquérir le Nord et rétablir la souveraineté du gouvernement malien sur l'ensemble de son territoire. La préoccupation essentielle des ambassadeurs de la zone que nous avons rencontrés, c'est le danger extrême que constituerait le précédent d'une sécession et de la remise en cause de l'intangibilité des frontières en Afrique. La crainte est également celle de voir la contagion terroriste s'étendre sur l'ensemble des pays voisins.
Le jour de notre départ, notre représentation permanente présentait le projet qui est devenu la résolution 2071.
L'initiative française qui a été co-parrainée par les trois membres africains du Conseil de sécurité (Afrique du Sud, Maroc, Togo) et par l'Allemagne, l'Inde et le Royaume-Uni, comporte un dispositif en deux temps avec l'adoption rapide d'un premier projet de résolution comprenant essentiellement trois dispositions :
- une première disposition qui est un appel au dialogue politique ;
- une seconde qui est la demande faite aux autorités maliennes, en lien avec celles de la CEDEAO et l'Union africaine, de définir leurs besoins, c'est ce que l'on appelle un concept d'opération ;
- troisièmement, un appel à toutes les organisations à aider au déploiement de cette force.
Il y aura ensuite l'adoption d'une seconde résolution qui autorisera le déploiement de la force. Cette force est une force africaine et donc, la planification et la génération de force reviennent aux Africains et aux Maliens au premier chef, en coordination avec les pays africains.
Cette première résolution a été soutenue par les Russes et les Chinois. Ces derniers ne se privant néanmoins pas d'observer que le chaos actuel au Nord Mali résulte directement des opérations en Libye : « le Mali était un pays sans histoire avant que certains arsenaux libyens n'essaiment sur son territoire ». Ils condamnent également le coup d'Etat et tout ce qui s'apparente à une tentative de changement de régime. Au-delà de ces remarques, c'est bien la menace terroriste qui motive leur soutien.
Lorsque nous avons rencontré le Secrétaire général de l'ONU, M. Ban Ki-moon, il revenait de Paris. Il nous a affirmé qu'il partageait toutes nos préoccupations, mentionnant explicitement la menace que « les groupes terroristes » faisaient peser sur la stabilité dans la région, tout en mettant l'accent sur le volet humanitaire du problème (sécheresse, malnutrition). La nomination de M. Romano Prodi au poste d'Envoyé spécial est le signe de sa détermination à accélérer le mouvement. Ce dernier avait pour double mission de superviser la mise en oeuvre de la stratégie globale et de consulter toutes les parties prenantes, notamment la CEDEAO et l'UA pour arriver à présenter au CSNU un plan à la date butoir.
Nous avons pu constater la mobilisation des principaux responsables de l'ONU : le Secrétaire général adjoint aux affaires politiques, Mme Amos chargée des affaires humanitaires ainsi que le département des Opérations de Maintien de la Paix qui s'est dit lui aussi à pied d'oeuvre, faisant état des besoins supplémentaires qui se profilaient dans le domaine de l'appui logistique et de la planification militaire.
Lors du déjeuner que nous avons eu avec les ambassadeurs des pays africains limitrophes ou concernés, tous ont remercié la France et fait passer un message central : l'aggravation rapide de la situation au Nord Mali n'était pas un défi de nature locale. C'était l'ensemble de la région, voire du continent africain et de la Méditerranée qui étaient menacés, d'où l'importance d'une réponse globale, appropriée et vigoureuse.
Il existait toutefois des divergences de vues avec l'Algérie qu'il faudrait surmonter. Plusieurs se sont interrogés sur les motivations d'Alger qualifiées « d'illisibles et étriquées ». Attachée avant tout, selon certains, à perpétuer les conservatismes existants, l'Algérie aurait, dans ce dossier comme dans tous les autres, fait du statu quo une stratégie. En fait, l'Algérie poursuit deux objectifs : le premier est de contrôler la négociation et le second d'empêcher toute remontée des groupes terroristes vers le nord, sur son territoire.
C'est effectivement un risque très important car on peut imaginer que ces groupes s'enfuiront sans combattre en cas d'intervention mais qu'ils ne feront que se déplacer sur un immense territoire de 800.000 km².
A cette forte réticence de l'Algérie s'ajoutent les divergences d'analyse entre la CEDEAO et l'UA et les positions particulières de certains pays que plusieurs ambassadeurs ont regrettées.
S'agissant du processus politique, c'est aux autorités maliennes d'entamer des pourparlers avec les organisations qui se dissocieraient du terrorisme. Ce qui parait évident c'est que rien n'est possible sans le soutien des populations civiles et, en particulier, des touarègues. La venue de l'armée malienne dans le Nord pose un problème vis-à-vis de ces derniers, tout comme il conviendra d'être prudent sur la composition des forces de la CEDEAO qui interviendront. Notre collègue Jean-Pierre Chevènement a déjà attiré notre attention sur ce point.
Sur les aspects militaires il convient de former l'armée malienne, de l'entraîner et de l'armer, ce qui prendra entre 6 et 18 mois. Ces délais incompressibles posent du reste un problème puisqu'il faut également tenir compte des réserves maliennes sur une intervention étrangère sur son territoire et veiller à ce que la reconquête soit bien celle des Maliens eux-mêmes et donc de leur armée.
Au jour d'aujourd'hui il semble qu'un concept d'opération ait été adopté par les états-majors de la CEDEAO et qu'un accord soit intervenu pour l'envoi d'une force de 3 300 hommes pour une durée d'un an. Si cela est le cas, le Secrétaire général de l'ONU devrait présenter un plan d'action au Conseil de sécurité, lequel pourrait alors prendre les dispositions pour autoriser une intervention armée sous chapitre VII. Ce sera l'objet d'une nouvelle résolution.
Du côté français, nous aurons à interroger notre ministre de la défense sur la nature du soutien logistique que nous envisageons.
Deuxième grand thème de notre mission et de nos entretiens : la Syrie, qui est bien évidemment, l'autre sujet omniprésent à l'ONU en ce moment. La position de la France est en opposition frontale avec celles de la Russie et de la Chine. Notre pays appelle de la manière la plus claire à un changement de régime. Le 25 septembre dernier, le Président de la République affirmait à la tribune : « j'ai une certitude : le régime syrien ne retrouvera jamais sa place dans le concert des Nations. Il n'a pas d'avenir parmi nous. » Le président ajoutait « j'ai pris la décision au nom de la France de reconnaître le gouvernement provisoire, représentatif de la nouvelle Syrie, dès lors qu'il sera formé. » Le président a annoncé cette reconnaissance hier lors de sa conférence de presse.
Il y a quelques jours a été constituée une « coalition nationale des forces de la révolution et de l'opposition syrienne » sur le modèle de ce qui s'est fait en Libye. Est-ce l'amorce d'une opposition unie sans laquelle rien ne sera possible ? Quel sera le programme de cette coalition complexe pour définir le futur de la Syrie ? Il existe encore bien des incertitudes mais, dans un communiqué du 12 novembre, le MAE indiquait que « la France s'engage à oeuvrer aux cotés de ses partenaires et au sein des Amis du peuple syrien en faveur de la reconnaissance internationale de cette nouvelle entité comme représentant les aspirations du peuple syrien, conformément à l'engagement pris par le Président de la République, François Hollande ».
Le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, synthétisait bien la nature du problème auquel nous faisons face en déclarant à l'ONU en octobre dernier : « Comment faire en sorte que le changement de régime se fasse de la manière la plus pacifique possible et sans tomber dans un chaos encore plus grand ? ».
La délégation a pu constater le pessimisme de nos interlocuteurs et leur convergence de vue sur le caractère tragique d'une situation s'apparentant à une guerre civile. Sans surprise, les analyses et positions divergent sur la réponse à apporter et sur la nature des pressions à exercer.
Après avoir regretté l'inertie actuelle, le Secrétaire général a marqué son investissement personnel dans la recherche d'une solution. L'urgence était un arrêt de la violence. Il avait proposé au chef de la diplomatie syrienne de faire le premier pas en proclamant un cessez-le-feu unilatéral. Ban Ki-moon engagerait alors immédiatement un dialogue avec les forces d'opposition pour les convaincre de renoncer à l'option militaire. M. Brahimi commençait une tournée dans la région quand nous étions à New York avec pour objectif de convaincre les parties que la solution militaire était une impasse et de leur faire accepter un cessez-le-feu pour la fête de l'Aïd. On en connaît l'échec.
Dans l'immédiat, l'ONU fait un important travail humanitaire pour alléger les souffrances des populations. On compte aujourd'hui dans les quatre pays voisins près de 340 000 personnes réfugiées. Selon Mme Amos, Secrétaire générale adjointe aux affaires humanitaires, ce chiffre pourrait atteindre 700 000 d'ici la fin de l'année. Les problèmes se situaient en Jordanie, où il y a de fortes tensions dans les camps, et dans les zones proches de la frontière turque et bien sûr au Liban. Le Secrétaire général était très préoccupé par l'escalade des hostilités à la frontière.
La position russe a été exprimée de manière particulièrement vive par son ministre des affaires étrangères, M. Lavrov, lors de l'ouverture de la 67e session. Tout son discours visait à inverser la charge des responsabilités sur les pays occidentaux. Selon lui, ce sont les capitales occidentales du P5 qui, à travers une approche partiale et leurs encouragements actifs aux groupes d'opposition, poussent encore davantage le pays dans les affres de la guerre civile.
De son coté, la Russie se veut la garante du respect du droit international et de la Charte. Pour ce faire le ministre russe appelle tous les membres du Groupe d'action à confirmer les engagements souscrits à Genève. « C'est le meilleur moyen de faire cesser l'effusion de sang en Syrie » Il rappelle que la Russie a proposé au Conseil de sécurité d'adopter une résolution entérinant le Communiqué de Genève comme base pour l'ouverture de négociations devant mener à une période de transition, et regrette que cette proposition ait été bloquée. « Ceux qui s'opposent à l'application du Communiqué de Genève prennent une énorme responsabilité en insistant sur un cessez-le-feu qui serait imposé seulement au gouvernement syrien, et en encouragent ainsi l'opposition à intensifier les hostilités ». Le ministre russe estime qu'en réalité, « ils ne font que pousser la Syrie encore plus loin vers l'abîme, dans le chaos des luttes intestines sanglantes ».
Selon le ministre russe, il n'y a pas de solution militaire. L'escalade de la militarisation fait le lit des terroristes, en particulier d'Al Qaeda.
Je vous rappelle que le communiqué adopté à l'issue de cette réunion de Genève a établi les principes et lignes directrices d'une transition en Syrie. Il prévoit que le futur gouvernement de transition puisse inclure des membres du pouvoir actuel, de l'opposition et d'autres groupes et soit formé sur la base d'un consentement mutuel.
La Chine soutient la position russe. Notre impression est qu'il s'agit d'une décision purement politique mais que, seule, la Chine aurait une position plus nuancée. Cela étant, elle reste sur la même ligne que les Russes s'agissant du respect de la souveraineté des pays et la condamnation de toute tentative de renverser des régimes en place.
Commentant les évènements en Libye et leurs conséquences actuelles, le diplomate chinois a souligné l'importance de la crédibilité, du respect de la parole donnée et des conséquences négatives des promesses non tenues. Pour la Syrie, il faut, selon lui, tenir compte des enseignements de l'opération en Libye, avoir une vision à long terme et adopter de meilleures stratégies pour l'avenir.
La Chine est néanmoins extrêmement préoccupée par le risque d'extension régionale du conflit. Elle souligne l'absence de cohérence de l'opposition incapable de s'unir sauf pour renverser le régime d'Assad. Elle partage l'analyse russe sur le fait qu'il n'y a pas de solution militaire et souhaite donc un processus politique dont elle respectera les conclusions. Elle soutient la mission Brahimi.
Elle est la seule parmi nos interlocuteurs qui a estimé que l'Iran est un interlocuteur incontournable dans les consultations. Elle dénonce enfin les ingérences extérieures telles que les appuis logistiques aux parties et les livraisons d'armes.
Les représentants anglais et américain se sont félicités de la solidarité de la cohésion du P3 sur ce dossier. Les trois capitales n'avaient pas ménagé leur peine au niveau du Conseil de sécurité, mais ils constatent leur impuissance en l'absence d'une feuille de route viable. Il faut donc poursuivre une méthode parallèle, permettant de contourner le blocage du Conseil, incluant dialogue (Groupe des amis) et pressions. Les sanctions sont en effet efficaces. L'enjeu était désormais la stabilité de toute la région. Il existait un risque de déstabilisation en Jordanie. Le dossier syrien offrait à Washington l'occasion de bien travailler avec les pays arabes. Moscou pouvait tout débloquer au Conseil.