Je vais m'efforcer de vous résumer la substance de nos entretiens sur la question de la prolifération, notamment en Iran. La représentante des Etats-Unis, Mme Di Carlo, s'est félicitée de l'unité de vues au sein du P3 et, plus globalement, avec l'Union européenne en matière de lutte contre la prolifération des armes de destruction massive qui constitue la première priorité des Etats-Unis à l'ONU. Elle a rappelé la position américaine et souligné l'utilité des sanctions, manifeste s'agissant de l'Iran.
Sur ce plan de l'efficacité des sanctions il convient de remarquer que, à l'impact des sanctions qui ont été mises en place depuis le mois de juillet 2010, s'ajoute une réduction significative des exportations de pétrole. Dans ce contexte, la situation économique et financière de l'Iran se dégrade extrêmement rapidement depuis les derniers mois de l'année 2011. Toutes les analyses convergent pour dire que l'année 2013 sera une année critique pour l'Iran. Or, c'est une année électorale. La mise en place de l'embargo communautaire sur les exportations de pétrole et ses conséquences rapides expliquent cette dégradation de la situation. Face à cette situation le gouvernement de Téhéran a manifestement fait le choix de mettre en place une économie de guerre, administrée et contingentée. C'était la même logique qui avait prévalu lors de la guerre contre l'Irak.
Les représentants russe et chinois ont regretté que les Occidentaux cherchent à imposer des sanctions unilatérales à l'Iran. Ceci était préjudiciable, disent-ils, à la cohésion du Conseil. Ils ont tous deux avancé qu'il n'y avait au jour d'aujourd'hui aucune preuve incontestable que l'Iran cherche à se doter de l'arme nucléaire, mentionnant le précédent iraquien. Il y avait de la place pour la diplomatie lors de la future rencontre en format E3+3 avec Mme Ashton après l'élection américaine.
Selon le représentant chinois, le concept de « ligne rouge », mis en avant par le Premier ministre israélien dans son discours à l'ONU, est un concept très dangereux. Seule la négociation peut résoudre la question du nucléaire iranien. La guerre ne mènera qu'à un bain de sang dont le monde ne se remettrait pas. Il faut avoir une position responsable et ne pas pousser les Iraniens à bout. On ne peut espérer un changement instantané mais il est possible d'aboutir à long terme. L'Iran devait être traité de façon équitable et ne pas pénaliser le peuple iranien. La Chine est en faveur de sanctions proportionnelles et restreintes au seul secteur nucléaire - « pourquoi les entreprises chinoises devraient-elle être pénalisées ? ». L'Iran, comme tout autre État, a le droit d'utiliser l'atome à des fins pacifiques.
La Chine est extrêmement préoccupée par toute menace d'une attaque contre ce pays. Il n'existe pas de preuves irréfutables que l'Iran cherche à développer des armes nucléaires à des fins militaires. Il existe certes des soupçons mais nous devons nous rappeler les déclarations des États-Unis à l'ONU sur la possession par l'Irak d'armes de destruction massive. Il est très important d'avoir des preuves irréfutables et de les montrer.
Les représentants russe, américain et chinois ont exprimé des positions proches sur la Corée du nord, « nouvel exemple où l'enceinte travaille bien ensemble » et l'objectif d'une péninsule sans arme nucléaire. Mais la situation stagne et il faut reprendre les négociations à six, sur la base de la déclaration conjointe de septembre 2005, tout en veillant à ce que les pays de la région s'abstiennent de toute provocation.
Le président Carrère a rencontré l'ambassadeur iranien à Paris la semaine dernière. Celui-ci sera auditionné par la commission début 2013. Nous connaissons le discours iranien sur son programme nucléaire et le respect de ses obligations en tant que signataire du TNP.
Comme nous l'a fait remarquer le représentant chinois, l'AIEA n'a pas apporté de preuves formelles du caractère militaire du programme nucléaire iranien. Il existe toutefois un faisceau d'indices qui convergent en ce sens. Lors de son audition, nous pourrons nous interroger sur les contradictions du programme iranien : dimensionnement insuffisant pour un programme énergétique civil, mais trop important pour un usage strictement médical ; irrationalité économique compte tenu de la capacité électrique installée dans le pays - 70 000 MW -, des besoins réels constatés au pic de consommation annuelle - 45 000 MW - et du statut d'exportateur d'électricité de l'Iran.
Je vais aborder pour conclure la question du processus de paix et la question du statut de la Palestine à l'ONU. En raison d'annulations de rendez-vous, nous n'avons malheureusement pas pu rencontrer le représentant palestinien à l'ONU, M. Mansour. Cela étant, la question de l'éventualité du dépôt d'une demande palestinienne pour obtenir un statut de non-membre du type de celui du Vatican, a été au coeur de nos entretiens.
Bien évidemment, tout cela s'inscrivait dans le contexte des élections américaines. Comme nous l'avait dit l'un des représentants permanents, la victoire de M. Romney aurait « remis les compteurs à zéro ». Au contraire, la victoire de Barack Obama ouvre de nouvelles perspectives et une réelle opportunité de relance. La France et le Royaume-Uni prendront sans doute l'initiative de faire des propositions aux Etats-Unis pour relancer le processus de paix. Il est néanmoins nécessaire de rappeler deux faits : le premier c'est qu'Israël n'a sans doute jamais été autant soutenu qu'au cours du premier mandat Obama ; le second est que, dans le contexte actuel où les questions économiques ont dominé la campagne électorale, les affaires extérieures, fussent-elles au Moyen Orient, ne sont pas nécessairement prioritaires sur l'agenda du président américain.
Nos interlocuteurs ont dressé un constat unanime et sombre : le statu quo actuel devenait intenable et la solution des deux Etats risquait d'être bientôt caduque. Le Secrétaire général a tiré la sonnette d'alarme, estimant en outre que la situation financière de l'Autorité palestinienne était critique et nécessitait une aide urgente. Il a salué « la France qui a montré l'exemple ». Le temps était compté. La Palestine pourrait difficilement tenir le coup passivement pendant les longs mois qui se profilaient jusqu'au-delà de l'élection israélienne de février 2013.
Lorsque nous étions à New York, il était difficile d'anticiper quel serait au final le choix du Président Abbas s'agissant de la demande de rehaussement du statut de la Palestine cette année. Il avait certes annoncé le dépôt d'un projet de résolution à l'Assemblée générale, qui ne pourrait en tout état de cause intervenir qu'après l'échéance du 6 novembre, sachant qu'un vote dont l'issue favorable est certaine à l'Assemblée générale aurait un prix et signifierait une crise dans les relations avec les Etats-Unis, quel que soit le nouveau Président élu.
Les avis étaient partagés. Cette question est aujourd'hui tranchée. A la session de septembre 2012, Mahmoud Abbas a renouvelé sa démarche et a demandé l'admission comme Etat non-membre qui relève de la seule Assemblée générale. Ce statut confèrerait à la Palestine les prérogatives des Etats sauf le droit de vote. Elle permet d'intégrer toutes les agences de l'ONU, comme c'est déjà le cas pour l'Unesco, grâce notamment au vote positif de la France l'année dernière.
Nous allons donc être rapidement confrontés à la détermination de la position de la France, sachant que le vote est acquis et que, dans son 59e engagement de campagne, le Président Hollande avait indiqué : « Je soutiendrai la reconnaissance internationale de l'État palestinien. »
Une question délicate était celle du financement de l'ONU, puisque la loi américaine oblige l'exécutif à cesser tout financement d'une organisation internationale qui reconnaîtrait la Palestine comme Etat. C'est ainsi que la participation des Etats-Unis à l'UNESCO a immédiatement été supprimée. A une question que nous avons posée à la représentante permanente-adjointe américaine, celle-ci a tenu à préciser que les juristes du département d'Etat avaient déjà été consultés et que, selon eux, les dispositions législatives actuelles pourraient ne pas s'appliquer si la Palestine était reconnue comme Etat non-membre sans droit de vote.
Nous sommes pour l'instant dans l'incertitude quant à la position définitive de notre diplomatie. Les termes de la résolution qui sera présentée à l'Assemblée générale sont en cours de discussion et nous pouvons imaginer les pressions qui s'exercent. Il me semble que les Palestiniens ne peuvent plus reculer et que le résultat du vote est certain. Quelle autre position pourrions-nous adopter que de voter en faveur de ce statut élargi comme nous l'avions fait - de manière plus ferme encore - à l'UNESCO ?
Le paradoxe c'est de voir progresser une reconnaissance internationale vers un Etat de plein exercice dont la base géographique et territoriale et la survie financière sont de plus en plus improbables et impossibles.