Intervention de Jacques Berthou

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 14 novembre 2012 : 1ère réunion
Contrat d'objectifs et de performances de france expertise internationale fei — Communication

Photo de Jacques BerthouJacques Berthou, rapporteur :

Monsieur le président, mes chers collègues, vous m'avez confié la responsabilité de vous proposer un avis de la commission sur le contrat d'objectifs et de performances de France Expertise Internationale (FEI).

Je m'acquitte de cette tâche avec plaisir et intérêt d'autant plus que je fais partie du conseil d'administration de cette institution. Le rapport que je vous propose d'adopter m'a permis de mieux me rendre compte des enjeux et des perspectives de cet établissement concourant à l'action extérieure de l'Etat.

Quelques mots de contexte pour vous resituer cette procédure. Comme vous vous en souvenez peut-être, le Parlement a adopté en juillet 2010 une loi sur l'action extérieure de l'Etat qui a créé plusieurs opérateurs dont le plus connu est l'Institut Français, mais également France Expertise Internationale qui est l'opérateur du ministère des affaires étrangères en matière de promotion, de l'expertise française à l'international et 3,6 millions d'euros de frais de structure.

La loi prévoit que FEI et le ministère des affaires étrangères sont liés par un contrat. Ce contrat doit faire l'objet d'un avis des commissions compétentes du Parlement. C'est la raison d'être de mon rapport ce matin.

Je crois que c'est une procédure utile. En effet, l'Etat a de plus en plus tendance à externaliser certaines missions au profit d'opérateurs lui offrant plus de souplesse et de réactivité. Si le Parlement veut exercer son rôle de contrôle et d'évaluation, il lui faut suivre et évaluer ces opérateurs. Cette procédure d'avis nous en donne l'occasion. Elle permet d'évaluer l'action d'un établissement public comme FEI mais aussi la qualité du pilotage exercé par l'Etat.

Voilà pour la procédure, venons-en au fond.

Quelques mots pour vous présenter FEI très brièvement avant de resituer cet organisme dans un contexte plus général.

FEI est un EPIC, un Etablissement Public Industriel et Commercial qui sélectionne, recrute des experts internationaux du secteur public et du secteur privé pour répondre à des marchés d'expertise aux quatre coins du monde dans des secteurs très variés qui vont de la gouvernance à des domaines techniques comme les barrages hydrauliques en passant par la construction de systèmes juridiques modernes, la mise en place de réformes agraires, bref tout ce qui a trait au développement économique des pays du Sud. FEI a un chiffre d'affaires proche de 20 millions d'euros, une cinquantaine de salariés au siège de FEI à Paris.

Il s'agit d'un secteur à bien des égards stratégique. Le marché de la prestation intellectuelle est un marché considérable en Afrique, mais aussi dans les pays émergents qui sont dans une phase non seulement de croissance forte mais aussi de construction d'Etats modernes avec la mise en place de politiques publiques pour lesquelles ils ont notamment recours à l'expérience des pays occidentaux. Ce marché est estimé à plus de 100 milliards par an. C'est un marché dans lequel nous avons, nous la France, une valeur ajoutée, une expertise reconnue et donc un enjeu pour notre commerce extérieur d'autant plus important que, évidemment, ces expertises ont des effets induits très importants. Quand vous mettez en place les normes ferroviaires en Chine, si vous vous appuyez sur les standards français, vous maximisez les chances des entreprises françaises, si vous participez à la refonte du droit civil malgache selon que vous vous calquiez sur le système juridique français ou sur la Common law britannique, vous favoriserez les cabinets d'avocats francophones ou anglo-saxons. Les estimations des effets induits de ces marchés sont évidemment à prendre avec précaution. Les experts que j'ai rencontrés, notamment M. Nicolas Tenzer qui a écrit un rapport qui a fait date sur le sujet, parlent de 25 000 milliards de dollars.

Ce marché de l'expertise est loin d'être réservé aux seuls opérateurs publics. Il concerne évidemment les bureaux d'études du secteur privé et il est difficile de définir la part de marché de chacun.

Compte tenu des secteurs abordés qui touchent à la mise en place de politiques publiques, il est naturel que le secteur public soit concerné. C'est d'autant plus naturel qu'il y a là non seulement un enjeu économique, mais un enjeu d'influence majeur. A travers la mise en place de ces politiques publiques, c'est évidemment tout un système de valeurs que nous pouvons promouvoir. Quand la France perd l'appel d'offres de la rénovation du système juridique au Vietnam, elle perd un appel d'offres de 8,5 milliards d'euros mais également la possibilité de promouvoir sa vision du droit et j'allais dire sa vision du monde.

Dernier élément de contexte, ce marché de l'expertise française à l'international est une occasion de bénéficier en quelque sorte notre investissement dans les fonds multilatéraux d'aide au développement. La France contribue, comme nos collègues Cambon et Peyronnet le soulignent chaque année dans leur avis budgétaire, pour une très large part à la Banque mondiale, au fonds européen de développement, au fonds africain de développement, bref à l'ensemble des organisations internationales d'aide au développement. Ces organisations financent des projets de coopération dans lesquels figurent des appels d'offres pour des experts internationaux afin de renforcer les capacités de nos pays partenaires à mettre en oeuvre des projets de développement financés par la solidarité internationale.

On le voit, il s'agit donc là d'un enjeu politique, économique, de solidarité et d'influence. J'en viens à FEI, mais je crois que ce détour n'était pas inutile pour comprendre le contexte.

Quand FEI a été créé en 2010 en tant que établissement public, il prenait la suite d'une autre structure FCI qui avait fait l'objet de critiques assez sévères de la Cour des comptes. Ces critiques portaient sur l'opacité de sa gestion, sur le coût de ses prestations et sur sa dépendance à l'égard du budget de la coopération.

Les éléments d'évaluation dont nous avons pu disposer, notamment une évaluation relative à la gestion des assistants techniques financés par l'AFD, les contacts que nous avons pu avoir avec des personnalités indépendantes ou avec les responsables du ministère des affaires étrangères, nous laissent penser que FEI a ces dernières années considérablement amélioré sa gestion.

C'est aujourd'hui un opérateur qui ne reçoit plus aucune subvention du ministère des affaires étrangères, qui vit donc grâce aux marchés qu'il remporte dans des appels d'offres internationaux. Son chiffre d'affaires croit dans un secteur qui a connu un ralentissement avec la crise financière. Sa part de marché augmente. Son chiffre d'affaires est composé à hauteur de 20 % de projets communautaires, pour 25 % de projets financés par des bailleurs bilatéraux étrangers ou des fondations. Il a par exemple récemment remporté un appel d'offres, financé par la coopération britannique et suédoise en RDC, d'appui aux médias. Pour 25 % de projets financés par l'AFD, 15 % par le ministère des affaires étrangères, le reste 15 % étant réparti entre différents acteurs dont les collectivités locales. FEI est devenu un opérateur agréé de la commission européenne qui est ainsi habilitée à déléguer à FEI la gestion de certains contrats d'expertise.

L'évaluation sur la partie de l'activité de FEI qui concerne l'assistance technique, c'est-à-dire non pas seulement une prestation d'expertise de courte durée, mais la mise à disposition d'experts techniques, notamment au sein de ministères étrangers, souligne les progrès effectués par FEI en matière de gestion des assistants technique et de frais de gestion. Elle souligne qu'au regard des prestations de certains bureaux d'études privés, FEI offre parfois des prestations en plusieurs points meilleurs. Il y a toujours des critiques possibles et des marges de progression. On a entendu ici le directeur général de l'AFD souligner que le coût de certains assistants techniques pouvait être excessif. Il y a sans doute des marges de progression dans l'encadrement et le suivi des missions des assistants techniques et dans l'exploitation des informations que ces assistants recueillent auprès des Etats partenaires, mais globalement la gestion de cet opérateur va dans le bon sens.

J'en viens au contrat d'objectifs et de performances proposé par le ministère des affaires étrangères à l'opérateur.

Ce contrat définit des objectifs généraux et des indicateurs de performances. Le premier objectif est, on ne peut plus général, puisqu'il s'agit de contribuer à l'influence de la France en Europe et dans le monde, rien que cela ! Cet objectif est décliné dans un certain nombre de sous-objectifs dont je vous fais l'économie, mais qui s'appuient tous sur l'idée que FEI est un démembrement du ministère et son bras armé en matière de valorisation de l'expertise française. C'est un peu un paradoxe pour un établissement qui ne reçoit aucune subvention, autrement dit l'État fixe des objectifs de service public sans pour autant donner des moyens à son opérateur pour exercer ses missions. Ce constat est cependant à nuancer, nous le verrons par l'accès privilégié de FEI à certains projets financés par le budget de la coopération française.

Le deuxième objectif est de contribuer à l'amélioration qualitative de la projection de l'expertise française. Il s'agit d'une série d'objectifs qui vise à promouvoir l'expertise française dans les appels d'offres internationaux et à favoriser la qualité des prestations offertes pour répondre aux besoins des Etats partenaires. Le contrat fixe également à FEI pour objectif d'assurer la gestion de « l'initiative 5 % » issue du fonds mondial de lutte contre le Sida, le paludisme et la tuberculose. Un mot sur ce dispositif. Vous savez que nous contribuons à hauteur de 360 millions d'euros au fonds mondial contre le Sida et il a été souvent souligné que ce fonds passait presque exclusivement par des opérateurs anglo-saxons. L'initiative de 5 % vise à ce que 5 % de ces contributions soient alloués à des demandes d'expertise technique adressées à des opérateurs français. Le contrat demande à FEI d'assurer la mise en oeuvre opérationnelle de ce dispositif en faisant appel à l'ensemble des expertises publiques ou privées compétentes dans ce domaine en France mais aussi dans des pays francophones.

Le troisième objectif, lui aussi décliné en sous-objectifs, est de contribuer à renforcer la cohérence de l'offre française d'expertise internationale.

Le contrat demande à FEI de développer des partenariats avec les autres opérateurs d'expertise technique français. Quelques mots sur ce point qui mérite notre attention. J'ai dit que FEI était l'opérateur du MAE dans ce domaine, mais j'ai découvert à ma surprise qu'il existait une trentaine d'opérateurs publics dans ce domaine. Chaque ministère a son opérateur, le ministère des finances a notamment un opérateur, ADETEF, qui travaille dans le domaine financier et budgétaire, mais pas seulement, le ministère de l'intérieur avec CIVIPOL dispose également d'un opérateur important. Au-delà de ces trois opérateurs qui pèsent à peu près 60 millions d'euros, il y a 27 autres opérateurs très spécialisés qui représentent à peu près 15 millions d'euros. Je ne vous les cite pas tous, il y a ADECIA dans le domaine agricole, ADECRI, dans le domaine de la protection sociale ou France Vétérinaire International et j'en passe. Figurent notamment en annexe du contrat des objectifs de partenariats opérationnels. Nous y reviendrons, mais s'il est important de fixer cet objectif à l'opérateur, il revient aussi au Gouvernement de travailler au renforcement de la cohérence du dispositif public de l'expertise technique.

Le quatrième objectif fixé à l'opérateur est de développer une mission de service public au service de la promotion de l'expertise française en assurant une démarche de qualité dans la réalisation de ses activités, des actions de formation et l'animation du conseil d'orientation de l'expertise publique et privée qui rassemble l'ensemble de la profession.

L'ensemble de ces objectifs apparaît cohérent avec les objectifs de la politique de coopération au développement de la France et avec les enjeux politiques et économiques que j'ai indiqués. Les indicateurs de performances utilisés en termes de projets remportés sur appels d'offres ou de gestion de fonds communautaires semblent, autant qu'on puisse en juger, à la fois ambitieux et cohérents avec l'activité passée. En revanche, il nous apparaît que si FEI est en mesure d'assurer sa part de contrat, il conviendrait que l'Etat assume la sienne.

Or, comme l'ont souligné l'ensemble des interlocuteurs que j'ai rencontrés mais aussi ceux auditionnés par la commission au titre du budget de l'aide au développement, l'Etat doit aujourd'hui promouvoir une plus grande cohérence du dispositif public d'expertise publique dans son ensemble.

Pour le dire crûment, aujourd'hui la fragmentation des opérateurs publics français les conduit à être en concurrence les uns contre les autres face à des opérateurs étrangers, notamment britanniques ou allemands unis et qui de ce fait ont des tailles bien supérieures à celles des opérateurs français.

Je vous disais que l'ensemble des opérateurs français avaient un chiffre d'affaires cumulé de 80 millions d'euros, les trois plus gros d'entre eux atteignent un peu plus de 20 millions d'euros, le reste se répartit dans une vingtaine de sociétés. En face, la GIZ allemande avoisine les 300 millions d'euros, son équivalent anglais environ 400 millions d'euros. Autrement dit, les opérateurs français n'ont pas la taille critique pour être compétitifs sur les marchés internationaux. Cette fragmentation ne permet pas aux opérateurs de bénéficier d'économie d'échelle, de partager en commun des services de veille, des services juridiques de rédaction des contrats, etc. Cela ne permet pas de porter à l'étranger une offre française lisible. Non seulement ces opérateurs se font parfois concurrence, c'est-à-dire répondent aux mêmes appels d'offres en ordre dispersé, mais ils se font concurrence avec des modèles économiques assez différents, certains opérateurs comme l'ADETEF bénéficiant de subventions publiques, ce qui fausse la concurrence non seulement avec les opérateurs publics mais également avec les opérateurs privés. La situation est, de ce fait conflictuelle, avec des conflits de périmètre structurel entre les opérateurs.

Le contrat d'objectifs et de performances indique que FEI doit développer l'ingénierie projets dans tous les domaines qui relèvent des objectifs du millénaire pour le développement et en particulier dans le domaine de la santé ou encore de la sécurité. Autant de secteurs où il existe de nombreux opérateurs. Les modèles économiques divergents des différents opérateurs freinent considérablement les tentatives de coordination et dans ce cadre.

On a l'impression selon l'expression d'une personne auditionnée qu'il n'y a « pas de politique, pas de gendarme, pas de pilotage ».

Notre commission avait demandé à travers l'adoption d'un amendement à la loi sur l'action extérieure de l'Etat à ce que le Gouvernement établisse un rapport sur les moyens de renforcer la cohérence du dispositif public de l'expertise internationale. Ce rapport sur le renforcement de la cohérence du dispositif public de l'expertise technique internationale, de Mme Maugüé, a été remis au Parlement. Il comporte un certain nombre de préconisations qui sont loin d'avoir été appliquées. La principale d'entre elles consiste à établir un audit financier de l'ensemble des opérateurs pour apprécier leur viabilité économique et préconiser sur la base de cette évaluation des rapprochements.

Je me propose de souligner dans mon rapport la nécessité de procéder à cet audit et à ces rapprochements. Pour l'instant les ministères, soucieux de conserver, chacun dans leur coin, leur opérateur, ont refusé de procéder à ces audits et semblent assez loin de l'idée d'une coordination, voire d'un regroupement des opérateurs. On retrouve en particulier la concurrence en matière de coopération entre le ministère des affaires étrangères et le ministère des finances. L'un avec FEI, l'autre avec ADETEF. Par ailleurs, ces deux ministères ont fini par accéder à la demande de l'AFD de créer un fonds d'expertise technique. Il n'est pas sûr que ce fonds ne devienne pas un nouvel opérateur, il est possible qu'il passe par des opérateurs existants, mais le directeur général de l'AFD n'a pas exclu qu'il participe à ce qu'il a appelé « une saine émulation » et ce qui peut apparaître comme une division des forces.

Comme le ministre du développement l'a concédé, il y a là un sujet. Il faut se saisir de l'opportunité de la création de ce fonds, du rapport Maugüé et à vrai dire des nombreux rapports Tenzer, Juppé et autres qui se sont succédé sur ce sujet depuis 10 ans pour inviter les pouvoirs publics à faire en sorte que dans ce secteur porteur, l'équipe France parte à la conquête des marchés internationaux unie.

Pour cela, il faudra faire preuve d'imagination et de volonté politique. Il s'agit de dépasser les clivages entre les ministères pour faire émerger un intérêt collectif et de ne pas opposer la solidarité et l'influence. Les solutions ne sont pas évidentes. On peut imaginer qu'une institution joue un rôle de facilitateur et prenne en charge les activités susceptibles d'être mutualisées entre les opérateurs. Cela aurait pu être FEI, ça pourrait être l'AFD avec la création d'un opérateur transversal filiale de l'Agence. Sans doute n'a-t-on pas les moyens de créer ex nihilo un organisme de la taille des britanniques ou des allemands. On peut imaginer à l'inverse une division du travail plus claire entre chaque ministère et une harmonisation du modèle économique. Une chose est sûre en tout cas, le statu quo n'est pas souhaitable, la situation actuelle ne sert pas l'intérêt collectif de la France.

Je vous propose donc de nous saisir de l'occasion de ce contrat pour dire dans le prolongement du rapport de la commission sur la loi relative à l'action extérieure de l'Etat, que nous sommes fermement attachés à ce que ce dossier soit pris en main. Je pense que le ministre des affaires étrangères actuel a l'autorité et la légitimité pour saisir ses homologues de cette question.

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