Intervention de Jean-Pierre Chevènement

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 27 novembre 2012 : 1ère réunion
Place de la france dans l'otan et perspectives de l'europe de la défense — Audition de M. Hubert Védrine

Photo de Jean-Pierre ChevènementJean-Pierre Chevènement :

Votre remarquable rapport est à la fois réaliste et dynamique.

Réaliste, car tout le monde est bien obligé de convenir comme vous qu'aujourd'hui une sortie de la France du commandement intégré est une non option. Vous avez raison de le dire. Je pense d'ailleurs que cette réponse était attendue.

Mais vous avez ajouté quelque chose de très important. Il faut que la France soit en mesure de garder une capacité propre d'analyse et d'anticiper. Et vous avez mentionné un très bon exemple avec le système de défense anti-missiles de l'OTAN. Il est évident que sur cette question, il existe un désaccord de fond entre les pays dotés de l'arme nucléaire, comme la France et le Royaume-Uni, et les autres, en particulier l'Allemagne. Il faut le dire. Car, sinon, nous risquons d'être pris dans un engrenage.

La voix de la France doit donc se faire entendre en amont, au sein de l'alliance, comme d'ailleurs hors de l'Alliance au sein d'autres enceintes. Et, nous devons garder une capacité propre d'analyse, sur les sujets intéressant l'Alliance atlantique et les autres. Ce n'est pas parce que notre pays a réintégré le commandement militaire intégré de l'OTAN, que nous devons nous aligner systématiquement sur les positions américaines. La France reste un pays souverain et indépendant. Notre pays doit donc avoir une capacité d'expression propre. Lorsque le Général de Gaulle a reconnu la République populaire de Chine, en 1964, il n'a pas demandé la permission de l'OTAN.

L'expression de « famille occidentale » est très ambiguë. Certes, nous partageons des valeurs communes avec les pays occidentaux, dont les Etats-Unis, comme l'attachement à la démocratie et aux droits de l'homme. Mais, au sein des pays occidentaux, les Etats-Unis occupent une place prépondérante. Or, nos intérêts ne sont pas toujours identiques, ne serait-ce qu'en raison de la géographie, car le point de vue sur le monde est très différent depuis Washington et depuis Paris, Berlin ou Varsovie. Je préfère donc personnellement ne pas utiliser cette expression et dire que la France fait partie de la grande famille de l'humanité.

Nous avons ainsi des relations particulières avec l'Algérie, ne serait-ce qu'en raison de l'histoire ou de la place du français, ou encore avec la Russie, qui est un grand pays européen et qui continue de jouer un rôle important sur la scène internationale. Nous avons aussi des relations particulières avec certains pays émergents, en Amérique du Sud, ou en Asie, comme la Chine.

Nous devons donc ne pas nous laisser enfermer dans une conception ethno-centrée. Certes, les Etats-Unis restent nos alliés, mais ce n'est pas pour autant que nos intérêts sont toujours identiques.

A la différence des Etats-Unis, qui se tournent de plus en plus vers la zone Asie-Pacifique, l'Europe a une proximité directe avec le monde arabo-musulman, avec l'Afrique et avec la Russie. Et cette proximité a des implications sur sa politique étrangère.

Ainsi, sur le dossier israélo-palestinien, la France et l'Europe doivent conserver toute leur indépendance par rapport aux Etats-Unis, par exemple en ce qui concerne le vote sur le rehaussement du statut de la Palestine au sein de l'Assemblée générale de l'ONU.

De même, le système de défense anti-missiles de l'OTAN a des implications directes sur les relations entre l'Europe et la Russie et nous devons tenir compte des préoccupations de la Russie, notamment s'agissant des phases 3 et 4, sur la dissuasion nucléaire.

Il en va de même en Afrique, avec par exemple l'attitude ambiguë des Etats-Unis à l'égard de l'évolution de la situation en République démocratique du Congo et du rôle du Rwanda et de l'Ouganda, ou encore des relations avec la Chine.

Cette exigence d'une politique étrangère indépendante va à mes yeux au-delà d'une simple capacité d'influence au sein de l'alliance. Il faut qu'elle s'accompagne d'une véritable capacité de réflexion autonome.

Ma question est donc la suivante : comment pourrons-nous maintenir cette capacité autonome de réflexion et d'analyse ?

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