Intervention de Zalmai Rassoul

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 26 octobre 2011 : 1ère réunion
Audition de M. Zalmai Rassoul ministre des affaires étrangères d'afghanistan

Zalmai Rassoul, ministre des affaires étrangères d'Afghanistan :

Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je suis très heureux et honoré d'être devant cette auguste assemblée. Certains d'entre vous le savent, j'ai un attachement particulier à la France où j'ai vécu les années heureuses de ma jeunesse. Lorsque les circonstances me le permettent, c'est toujours un grand plaisir pour moi de retrouver, l'espace de quelques jours, la culture et l'hospitalité française.

Je vous remercie de l'opportunité qui m'est offerte de faire le point avec vous sur la situation en Afghanistan, d'échanger nos points de vue sur nos réalisations communes, mais aussi d'évoquer les défis qui restent à relever et la manière dont nous serons à même d'y répondre dans les mois à venir. Mais, avant tout, il est de mon devoir de rendre un hommage vibrant à la mémoire des soldats et officiers français qui ont donné leur vie pour la paix et la sécurité de l'Afghanistan et du monde. Leur bravoure et leur courage resteront gravés pour toujours dans le coeur et la mémoire du peuple afghan.

Durant la décennie qui a précédé la chute des talibans en 2001, l'Afghanistan a vécu une page sombre de son histoire, probablement la période la plus sombre de notre longue histoire en tant que nation, marquée par un profond isolement et l'indifférence du reste du monde. Pendant ces années, tous les segments de la société, hommes, femmes ou enfants, ont été atteints, de manière profonde dans leur vie, par les luttes destructives entre factions. Cette période a été suivie par l'horreur du régime taliban. Pendant près de sept ans, les talibans et les terroristes régionaux et internationaux qui leurs étaient affiliés, ont brûlé des écoles, massacré des innocents, banni les femmes de l'espace public, faisant d'elles des non citoyennes. Ils ont limité tous les droits sociaux, civiques et politiques et condamné le peuple afghan à la souffrance, la faim et la pauvreté. Du fait d'un financement important, accompagné de la complicité, de la direction et du soutien des extrémistes extérieurs, l'Afghanistan a été transformé en base arrière d'entraînement des terroristes internationaux, voué à l'exportation d'un extrémisme religieux violent et du terrorisme dans le monde entier.

La tragédie du 11 septembre, les événements meurtriers qui ont suivi en Europe et dans le reste du monde ont prouvé le caractère global du terrorisme.

Aux antipodes de la décennie précédente, l'Afghanistan est aujourd'hui un pays transformé à de très nombreux égards. Ceci n'est nullement une exagération, des faits solides et des réalisations remarquables en témoignent. Nos efforts ont donné des résultats tangibles dans tous les domaines, que ce soit dans le domaine institutionnel, de la gouvernance, des droits de l'homme et du développement économique et social :

- actuellement près de 8 millions d'enfants, de toutes les régions, se rendent chaque jour à l'école. Cela représente 70 % d'enfants scolarisés en plus depuis 2001 et 40 % de ces enfants sont des jeunes filles ;

- plus de 70 000 hommes et femmes assistent à des cours d'université ou d'instituts public et privé et reçoivent une éducation supérieure à travers le pays ;

- nous assistons à un développement sans précédent du secteur des télécommunications. 15 millions d'Afghans ont désormais accès au téléphone mobile. Nous disposons de plus de 5 grandes compagnies de téléphonie mobile ;

- dans le domaine de la santé, les progrès sont remarquables. Aujourd'hui, plus de 80 % des Afghans ont accès aux soins primaires contre 8 % avant 2001. La campagne de vaccination, inexistante pendant la décennie précédente, connaît un succès significatif ;

- notre pays possède désormais le plus grand nombre de kilomètres de routes goudronnées qu'il n'ait jamais compté. Ils forment un réseau routier du sud au nord et de l'est à l'ouest, de plus de 10 000 km, permettant un plus grand nombre d'échanges de marchandises, de savoir, de services et contribuent à asseoir l'autorité du gouvernement central ;

- nous assistons également à l'émergence d'un secteur privé national. Des hommes d'affaires afghans fondent et développent avec beaucoup de succès des entreprises à l'intérieur et à l'extérieur de l'Afghanistan, dans différents domaines : construction, transports terrestre et aérien, import-export, médias ;

- aujourd'hui, nous sommes le pays de la région qui possède le secteur des médias le plus dynamique. Grâce à la liberté d'expression garantie par la Constitution de 2004, nous avons assisté au développement fulgurant des médias. L'Afghanistan compte 36 chaînes télévisées, près d'une centaine de stations-radio communautaires et des centaines de journaux et magazines distribués à travers le pays.

L'Afghanistan est une jeune démocratie. En près de dix ans après la chute des talibans, nous pouvons être fiers des progrès accomplis, notamment grâce à l'instauration des instituions démocratiques prévues par notre Constitution -qui est considérée comme l'une des plus démocratiques de la région-. L'Afghanistan possède un Président et un Parlement élus par le suffrage universel et de solides fondations pour construire un avenir de paix et de stabilité.

Toutes ces réalisations auraient été impossibles sans le partenariat entre notre Gouvernement et la communauté internationale, au sein de laquelle la France a joué un rôle prépondérant. Pour nous les Afghans, la France est un pays ami auquel nous avons un attachement sentimental particulier. Notre histoire est longue et riche, le Roi Amanullah et la Reine Soraya ont visité la France en 1928, le Roi Zaher Shah en 1965 et le Président Karzai en 2008, afin de présider, avec le Président Sarkozy et le Secrétaire général des Nations unies, à la grande conférence de Paris. Nous célébrerons les 90 ans de l'établissement de nos relations diplomatiques l'année prochaine. Pendant notre longue histoire, la France a toujours été aux côtés du peuple afghan, en particulier dans les moments les plus difficiles. Nos relations culturelles ont perduré tout au long de notre histoire. Nous sommes profondément reconnaissants de l'aide apportée par la France, aide qui a permis des transformations tangibles dans la vie d'innombrables Afghans, notamment par le renforcement des capacités des troupes afghanes, de la gendarmerie, du secteur de la santé, de l'agriculture et de la justice.

Désormais, grâce à nos efforts et à l'aide de nos partenaires, l'Afghanistan n'est plus l'épicentre du terrorisme, mais nous restons victimes du terrorisme. Les terroristes continuent à infiltrer nos frontières avec la volonté de nuire à notre peuple et aux soldats des nos pays partenaires. Malgré ce défi qui reste à relever, le peuple afghan aspire à la paix, à la stabilité et la prospérité. Et nous sommes convaincus qu'afin de les consolider, nous avons besoin non seulement d'efforts militaires mais surtout de réponses politiques régionales.

Avec tous ces progrès, pourquoi n'avons-nous pas réussi dans le domaine sécuritaire ? Plusieurs facteurs y ont contribué. Dans les années 2004-2005, où nous avions un besoin essentiel pour former et entraîner les forces militaires et sécuritaires, nous avons perdu du temps. Nos amis étaient occupés à d'autres guerres. Deuxièmement, malgré nos demandes, peu d'attention a été portée au problème des sanctuaires des talibans au Pakistan, et ces derniers ont eu le temps de s'entraîner. Je reviendrai dessus lors de vos questions sur nos relations avec le Pakistan et nos relations régionales.

Nous sommes confiants qu'avec l'appui constant de la communauté internationale, y compris avec le concours actif de nos voisins, nous pourrons consolider la paix et la prospérité en Afghanistan.

Alors que nous avançons sur le chemin de la démocratie, de la paix et de la stabilité, 2011 est une année cruciale pour nous. Dans l'esprit de la Conférence de Kaboul et du Sommet de l'OTAN à Lisbonne, le processus de transition est désormais engagé. Les forces de sécurité afghane, de mieux en mieux entraînées et équipées, vont progressivement prendre le relais des forces internationales pour le contrôle de la sécurité en Afghanistan. Car la sécurité en Afghanistan est avant tout une responsabilité afghane.

La première phase de la transition a été conduite avec succès dans sept villes principales et provinces. Avec la deuxième phase qui sera bientôt annoncée, la sécurité de plus 50 % de la population sera assurée. Surobi, où vos forces sont engagées, fera probablement partie de cette zone de transition.

En plus de la solide résolution afghane, le succès de la transition dépend du maintien et de la constance du soutien de la communauté internationale, principalement dans le domaine du renforcement des capacités de nos institutions dans le domaine de la sécurité.

Comme le président Karzai l'a déclaré cette année à l'Assemblée générale des Nations unies : « Avec l'aboutissement du processus de transition, nous les Afghans et nos partenaires internationaux nous accomplirons l'objectif stratégique le plus important de notre partenariat de dix ans, l'émergence d'un Etat afghan souverain, un pays ou les Afghans pourront vivre en paix ensemble et avec le reste du monde ».

Parallèlement au processus de transfert des responsabilités dans le domaine de la sécurité, tous nos efforts sont tournés vers la consolidation du volet économique. Ce sera une tâche difficile qui demandera du temps et un engagement durable de nos partenaires internationaux pendant et après le processus de transition.

Nous sommes déterminés à optimiser le potentiel de nos ressources naturelles afin de renforcer notre économie. De plus, nous avons accordé la priorité aux investissements étrangers et construit les infrastructures adéquates. Ces efforts vont nous permettre de jouer un rôle clé dans le renforcement et l'approfondissement de notre intégration économique régionale, en reprenant notre rôle historique de carrefour entre l'Asie centrale, l'Asie du Sud et le Moyen-Orient.

Nous sommes heureux que l'initiative de la nouvelle route de la soie ait attiré l'attention et gagné en reconnaissance. Ensemble avec nos partenaires internationaux, nous concevons la nouvelle route de la soie comme un réseau d'échanges multiples entre les pays de l'Asie centrale, de l'Asie du Sud et le Moyen-Orient et le reste du monde. Un réel partenariat de coopération économique créera des débouchés et des bénéfices qui permettront de renforcer la paix et la stabilité régionale.

Nous avons un agenda politique important et chargé. Nous attendons avec impatience les conférences d'Istanbul et de Bonn, qui auront lieu respectivement en novembre et décembre.

A Istanbul, avec les autres pays du coeur de l'Asie et avec nos partenaires, nous définirons la nouvelle vision régionale pour la paix et le développement. Nous parviendrons à cela en sollicitant un engagement solide et en instaurant des mesures de confiance, au niveau régional, dans le domaine politique, économique, éducatif et culturel. L'Afghanistan est au coeur de ce processus car un Afghanistan en paix, stable et prospère, n'est pas seulement une obligation, mais un impératif pour la paix, la sécurité et la prospérité de la région.

A Bonn, nous ferons le point avec la communauté internationale sur nos réalisations pendant la précédente décennie par le biais de la transition, la réconciliation et la coopération régionale. Nous partagerons également notre vison des dix ans à venir, pour la transition, la consolidation de notre stabilité, notre démocratie et notre développement économique. Et par-dessus tout, à Bonn, nous lancerons un appel à la communauté internationale afin que l'aide et la coopération soient maintenues après 2014.

Pour conclure, j'aimerais saisir, encore une fois, cette opportunité pour remercier le Gouvernement et le peuple français de son appui pour la sécurité et la prospérité du peuple afghan. Je souhaite réaffirmer notre volonté d'achever la transition qui aboutira à la prise de responsabilité totale du Gouvernement afghan dans le domaine de la sécurité. Nous comptons sur l'engament de nos partenaires tels que la France pour créer un élan irréversible pour la consolidation de la paix, de la stabilité et de la prospérité en Afghanistan.

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