Intervention de Hubert Védrine

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 26 octobre 2011 : 1ère réunion
Evolutions stratégiques intervenues depuis 2008 — Audition de M. Hubert Védrine ancien ministre des affaires étrangères

Hubert Védrine, ancien ministre des affaires étrangères :

Les États-Unis sont ancrés dans l'idéologie du libre échange et ont pensé que la mondialisation leur serait uniquement profitable. Je rappelle que Henry Kissinger est parvenu à séparer la Chine de l'URSS, ce qui a constitué une réussite politique majeure, mais a été contraint d'agir, au début, dans l'ombre, car le Congrès était hostile à ce projet. Je rappelle également que, du temps de la guerre froide, les États-Unis avaient créé le COCOM (Coordinating committee for multilateral exports controls), instrument de contrôle des transferts de technologie vers l'URSS. La mondialisation aurait dû conduire les pays occidentaux à s'en inspirer pour établir un code de bonne conduite, envers les pays émergents, en matière de transfert de technologie. Parmi les échecs patents de la diplomatie américaine, qui démontrent son absence de pensée stratégique, figure son attitude envers Israël : le Congrès des États-Unis s'aligne sur la ligne actuelle du Likoud, elle-même dictée par les colons les plus extrémistes. Ceci crée pour Washington un embarras stratégique qui ne pourrait être surmonté que par une action résolue envers la droite israélienne pour la ramener à la raison, et un soutien parallèle aux Palestiniens. Seule une initiative de ce type serait de nature à apporter aux États-Unis la sécurité stratégique qui leur manque cruellement au Moyen-Orient.

La question la plus marquante qui se pose aujourd'hui est de savoir si les démocraties occidentales sont capables de dépasser leurs réflexes à court terme, en politique comme en économie, pour s'inspirer de l'exemple chinois, qui s'appuie sur une pensée à long terme très argumentée. Je prends quelques exemples des effets nocifs de cette pensée à court terme : les États-Unis n'ont pas de stratégie claire pour l'avenir de l'Irak ; il n'existe aucune réflexion sur l'après retrait. Cela ne va-t-il pas profiter à l'Iran ? En Afghanistan, le projet de construire un État moderne était hors de portée de la coalition, voire même un mensonge cynique et la Chine observe avec attention la façon dont elle se retirera de ce pays. Ces deux exemples illustrent la faible capacité stratégique occidentale et, particulièrement, américaine, alors que les États-Unis disposent, dans le même temps, d'une puissance militaire sans égale. Cependant, l'intérêt de la France n'est pas d'assister passivement au passage des Etats-Unis d'une volonté de pouvoir total à une volonté de pouvoir relatif, mais de s'associer à cette transition.

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