Tout élu est passionnément engagé dans la lutte pour le maintien d'activités qui illustrent et enrichissent nos départements, s'agissant des sénateurs, ou vos circonscriptions. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, cette proposition de loi aurait pu rassembler très largement les élus, de tous bords politiques. Nous ne serions pas forcément parvenus à une unanimité sur le sujet mais nous aurions pu, tous ensemble, moderniser le droit français pour favoriser le maintien des activités sur nos territoires. Nous n'avons pas réussi. D'après moi, n'y voyez pas une remise en cause de l'excellent travail de notre rapporteure, Mme Emery-Dumas, ainsi que des rapporteurs pour avis, la raison principale est le manque de temps imparti pour l'examen de ce texte, complexe, le choix de recourir à la procédure accélérée comme de convoquer la commission mixte paritaire, Mme Procaccia me le rappelait à l'instant, avant même la fin de nos débats dans l'hémicycle. Tout cela a généré une certaine tension qui ne permettait d'aller au fond des sujets au coeur de cette proposition de loi.
Le premier d'entre eux - mon collègue Jean-Marc Todeschini ne me contredira pas sur ce point - tous les élus le connaissent bien car il est historique : il s'agit de la continuité de l'entreprise. La proposition de loi vise un cas particulier et, reconnaissons-le, exceptionnel, qui est celui d'une grande entreprise, comprenant plus de mille salariés, décidant de saborder un établissement rentable. Vous en conviendrez, ce cas particulier ne reflète pas l'ensemble des difficultés que nous rencontrons sur le terrain en liaison avec les élus locaux, le maire, les salariés concernés et leurs représentants. Nous aurions pu approfondir, en ayant davantage de temps, la notion de rentabilité. Certains ont évoqué la rentabilité boursière... Je n'ai pas l'intention de rouvrir le débat mais toute entreprise nécessite des capitaux. Nier cette évidence revient à condamner le développement des entreprises.
J'en viens ainsi au deuxième sujet : la recherche de capitaux de long terme. Or, madame la rapporteure de l'Assemblée nationale, lorsque vous indiquez que l'objet de la proposition de loi est de faire reculer la finance, je vous assure que le vote de ce texte aboutira totalement, en l'état, à ce résultat ! Nous ferons reculer la finance, mais nous découragerons aussi tout investisseur à s'engager, notamment dans les activités de production, qui sont les plus exposées.
En couplant ces deux sujets, la reprise des sites rentables et la préférence pour les capitaux de long terme, on inquiète les investisseurs, sans parvenir à apporter de véritables réponses aux candidats repreneurs.
Alors que nous avons la même volonté, alors que nous avons les mêmes expériences, nous ne sommes pas arrivés à un accord de bon sens. Certes, nous avons tous nos propres convictions, mais de notre côté, nous considérons que l'effet d'affichage est contre-performant, que nous allons inquiéter les investisseurs sans régler les principaux problèmes qui se posent : le passif social et le passif environnemental. Aujourd'hui, il est difficile de trouver un repreneur, plus difficile encore de rassembler des capitaux, et encore plus difficile de surmonter les passifs de sites défaillants - qui ne sont pas visés par cette proposition de loi, uniquement centrée sur les sites rentables. Or, le texte n'organise pas la transmission du passif, qui demeure à la charge du repreneur. Celui-ci se trouve donc dès le départ découragé par le poids de ce qu'il doit assumer.
Enfin, si nous sommes tous d'accord pour encourager l'actionnariat de long terme, faut-il méconnaître le rôle utile des offres publiques d'acquisition (OPA), qui ont l'immense avantage de bousculer les habitudes, en particulier en France, d'un capitalisme « de la barbichette », où tout le monde se connaît, se soutient, s'épaule, se coopte, et où l'on gère tranquillement les entreprises dans un conformisme qui est à l'avantage des cadres dirigeants ? Certes la mondialisation a légèrement fait évoluer les choses, mais le constat demeure pour l'essentiel valide. Votre choix de la non-neutralité des organes de direction pose d'ailleurs question. Une entreprise est certes jugée par ses clients, mais aussi par ceux qui proposent aux actionnaires d'autres solutions de gestion et de direction. La proposition de loi n'interdit pas les OPA mais laisse entendre que nous voulons mettre les entreprises à l'abri des traders et des raiders fous, à l'abri des spéculateurs irresponsables, mais vous risquez aussi de les laisser prisonnières d'un capitalisme sans capitaux - caractéristique des entreprises françaises - et de personnes cooptées ne rendant jamais compte aux actionnaires de leurs décisions, et ne leur versant jamais de dividendes, ce qui constitue la meilleure façon de les décourager d'investir.
En somme, sur un si beau sujet, la procédure accélérée ne se justifiait pas. Nous ne serions probablement pas tombés d'accord, mais nous aurions évité la paralysie à laquelle nous arrivons à cet instant.
Permettez-moi enfin une dernière réflexion, très politique. Même si j'ai beaucoup d'estime pour Mme Annie David, j'avoue ne pas être totalement satisfait d'ajouter ma voix à celles de certains membres de la formation politique à laquelle elle appartient pour faire battre un texte gouvernemental. Il me semble que si les socialistes avaient eu la passion de convaincre, non pas seulement les représentants des différents courants de leur majorité - Dieu sait qu'ils sont nombreux -, mais également l'opposition, il y aurait sûrement eu des sénateurs de bonne volonté pour faire des choses utiles...