Intervention de Amiral Edouard Guillaud

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 12 octobre 2011 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2012 — Mission défense - Audition de l'amiral edouard guillaud chef d'état-major des armées

Amiral Edouard Guillaud, chef d'état-major des Armées :

Je crois qu'il faut porter sur la situation un regard lucide et ne pêcher ni par optimisme ni par pessimisme. L'assassinat de l'ex-Président Rabbani constitue effectivement une très mauvaise nouvelle car il était un symbole. Le rôle du Pakistan est en effet essentiel. J'observe, d'ailleurs, que le Président Karzaï a estimé à la suite de l'assassinat du Président Rabbani qu'il convenait de cesser de discuter avec les Talibans et discuter directement avec le Pakistan. Je constate également l'émergence de l'Inde qui joue un rôle de plus en plus important, notamment à travers une aide directe qui s'élève à plus d'un milliard de dollars par an et qui vient de signer avec l'Afghanistan un traité d'amitié qui comporte un volet de formation militaire. La situation au Pakistan est préoccupante. Mais la question relève plus de l'action de la diplomatie que des militaires.

S'agissant des désertions, je serai plus optimiste. Il y avait 25 % de désertions par mois il y a cinq ans. Ce taux s'est considérablement réduit aujourd'hui à quelques pourcents. Cette situation s'explique en grande partie par le doublement des soldes des soldats de l'armée afghane.

S'agissant du transfert, je tiens à souligner qu'il n'y a aucun territoire qui ait été repris par les Talibans. Ces derniers ont subi de lourdes défaites au Sud et au Sud-Ouest. Du coup, ils sont devenus plus actifs à l'Est du pays, ce qui concerne au premier chef les Français, notamment dans la région de Kapisa. Cela n'empêche pas que la situation se soit considérablement améliorée notamment en Surobi où par exemple le nombre d'IED a notablement diminué contrairement à la Kapisa. Est-ce qu'on se retire trop tôt ? Je crois que non. Nous nous retirons progressivement, la transition du district de Surobi permettant dans un premier temps de renforcer notre présence en Kapisa. La situation dans cette province est complexe notamment en raison d'une composition ethnique hétérogène. La situation postérieure au retrait de 2014 sera effectivement difficile. La fixation d'une date de retrait donne évidemment un coup de fouet aux forces talibanes, mais elle présente aussi l'avantage de fixer une échéance au Gouvernement afghan pour prendre ses responsabilités et asseoir son autorité. C'est une arme à double tranchant.

L'avenir de la situation en Afghanistan après 2014 sera avant tout l'affaire des diplomates et des politiques. Les Etats-Unis négocient actuellement un traité d'amitié avec l'Afghanistan afin de ne pas reproduire la même erreur que les Russes après leur départ de 1989 qui avait laissé un grand vide. Il ne s'agit pas seulement de maintenir une forme de présence militaire mais également de développer une relation de coopération dans différents domaines, et notamment pour la France dans le domaine de la formation.

En ce qui concerne la Libye, les opérations ont réservé de mauvaises surprises et notamment la découverte non pas de dizaines, voire de centaines, mais bien de plusieurs milliers de dépôts de munitions. Il y avait beaucoup de ce que l'on appelle des manpads des missiles portatifs anti-aérien, de type SA 7. Heureusement la plupart de ces manpads étaient dépourvus des piles idoines, sans doute parce que Kadhafi se méfiait de ses propres troupes. Certaines de ces munitions ont pu être prélevées au profit de trafiquants d'armes. Le Sahel est une zone de trafic depuis des millénaires. C'est actuellement une plaque tournante du trafic de drogue en provenance d'Amérique du Sud. Il pourrait devenir également une plaque tournante du trafic d'armes, si cela s'avérait temporairement plus lucratif. AQMI est assurément un objet de préoccupation. Nous nous efforçons à travers la coopération sécuritaire avec les pays concernés de réduire son impact sur la zone. Les résultats obtenus sur le terrain dépendent largement de la volonté des différents pays de s'attaquer au problème. Or cette volonté est variable.

S'agissant de l'Europe de la défense, j'ai l'habitude de dire qu'elle est en hibernation. C'est une vue optimiste, puisqu'elle implique qu'il y aura un réveil, un printemps. L'Europe de la défense a manqué le coche de la Libye. Les opérations comportaient plusieurs volets : embargo maritime ; no-fly zone ; protection des populations. Les structures européennes auraient pu prendre la responsabilité de la gestion de l'embargo maritime. C'était la proposition de l'OTAN.

Entre militaires européens nous sommes tous d'accord. Mais on ne fera pas l'Europe de la défense sans la volonté des Etats. Les progrès dépendront de la volonté politique des peuples et de leurs représentants. J'ajoute que les structures militaires européennes à Bruxelles n'ont montré aucune appétence pour prendre des initiatives.

Les opérations en Libye ont montré certaines lacunes, dans au moins trois domaines : le ravitaillement en vol des avions. Les Etats-Unis ont mis en permanence une trentaine de ravitailleurs, ce qui suppose une capacité de 40 à 50 appareils en alerte ; les drones, y compris les drones armés, la suppression des défenses anti-aériennes (SEAD), notamment du fait de l'absence des forces allemandes, car il y a effectivement des capacités en Europe qui n'ont pas été utilisées. Les Allemands ont notamment un vrai savoir faire en matière de SEAD. Ils ont des Tornado avec des équipages parfaitement rodés et très bien équipés. Du temps de la guerre froide, c'était leur spécialité.

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