Intervention de Jean-Louis Carrère

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 11 juin 2013 : 1ère réunion
Audition du général denis mercier chef d'état-major de l'armée de l'air

Photo de Jean-Louis CarrèreJean-Louis Carrère, président :

Mon général, le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale a été adopté par le président de la République. Le Parlement en a débattu. Nous attendons les arbitrages du Conseil de défense pour la future loi de programmation militaire que nous devrions examiner à l'automne prochain.

Votre audition, après celle du CEMA et des autres chefs d'état-major, s'inscrit dans cette perspective.

Je ne reviens pas sur le contenu du Livre blanc que vous nous commenterez peut-être tant en ce qui concerne le contrat opérationnel que le modèle d'armée qui concernent les forces aériennes, leur cohérence et leur articulation avec les autres forces armées.

Les performances et le caractère opérationnel des forces aériennes ne sont plus à démontrer et je ne peux que constater leur extraordinaire réactivité dans les opérations récemment menées, en particulier en Libye et au Mali. Le Livre blanc et la LPM vont-ils nous permettent de préserver cet outil ?

Nous souhaitons vous entendre sur votre appréciation globale et notamment sur la réduction du format de notre aviation de chasse à 225 avions, marine comprise, à une cinquantaine d'avions de transport tactique, à 7 avions de détection et de surveillance aérienne, à 12 ravitailleurs multirôle, à 12 drones MALE, auxquels s'ajoutent des avions légers de surveillance de reconnaissance et huit systèmes sol-air de moyenne portée.

Outre cette énumération à la baisse par rapport au format de 2008, plusieurs affirmations sont lourdement chargées d'interrogations. On nous dit que les forces aériennes « conserveront par ailleurs un nombre d'aéronefs suffisants, en prolongeant des avions plus anciens mais de haut niveau et spécialisés ». Qu'est-ce que cela signifie ?

« La préparation opérationnelle sera différenciée ». La différenciation est un principe mis en avant par le Livre blanc. N'est-il pas un cache misère ?

Nous savons à quel point la formation est vitale pour nos pilotes. Qu'entendez-vous par une « rénovation de la formation des pilotes de chasse » ?

Nous souhaitons également vous entendre sur nos déficits capacitaires en matière de transport (quelles sont les perspectives pour la livraison des A400 M ? Leur nombre sera-t-il revu à la baisse ? Et de combien ? Quelles conséquences pour l'industrie ?). Vous nous direz naturellement un mot des drones, sujet qui nous préoccupe, vous comme nous, depuis longtemps, en particulier pour ce qui concerne les drones MALE, et du ravitaillement en vol avec la livraison des MRTT.

Mais nous savons qu'il existe aussi un certain nombre de faiblesses en matière de reconnaissance et d'équipements de nos avions en pod Damoclès ou Reco NG. Je suis sûr que nos rapporteurs ne manqueront pas de vous interroger sur la cohérence globale des programmes d'équipement de nos aéronefs.

Nous serons enfin très intéressés sur vos analyses en matière de coopération internationale, de mutualisation, notamment -mais pas seulement- avec le Royaume-Uni. Pouvons-nous, en particulier, approfondir et élargir la coopération qui existe avec EATC ?

Dernier point, l'armée de l'Air, comme les autres armées, sera touchée par les réductions supplémentaires d'effectifs. Vous nous direz comment les dispositions prises au niveau du Livre blanc sont ressenties par les hommes et les femmes des forces aériennes et quel est l'état de leur moral.

Je partage bien évidemment le souhait du Président de la République de voir la loi de programmation militaire (LPM) adoptée avant la loi de finances afin qu'aucune ambiguïté n'existe sur le fait d'avoir les autorisations de programmes à la hauteur des crédits de paiement. Cette concomitance n'a pas toujours été respectée dans le passé, créant des difficultés.

Je vous passe la parole.

Général Denis Mercier, chef d'état-major de l'armée de l'Air. - Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les sénateurs, je suis heureux de pouvoir m'exprimer devant vous et soyez assurés que je m'exprimerai avec une totale franchise. Avant de commencer je souhaiterais revenir quelques instants sur ce que vous venez de dire à propos de la LPM qui doit être débattue et votée avant la Loi de finances. C'est essentiel parce les LPM sont construites en autorisations d'engagement qui sont nécessaires pour pouvoir par la suite engager les crédits de paiements qui nous sont attribués. Pour les travaux du Livre blanc, j'estime que c'est une bonne chose que les chefs d'état-major d'armées aient pu y participer et faire des propositions, aussi j'ai eu la satisfaction de voir que certaines des propositions faites par l'armée de l'Air comme l'entraînement différencié ont été retenues.

J'ai souhaité que les aviateurs regardent devant eux et aient un projet. Avec le haut commandement de l'armée de l'Air, nous avons défini un projet qui s'appelle « unis pour faire face », qui est désormais notre devise. « Faire face » était la devise de Guynemer, et « unis » traduit le rassemblement de tous les aviateurs nécessaire à la réussite de nos missions. Tous les commandeurs de l'armée de l'Air sont allés présenter ce projet sur l'ensemble de nos bases aériennes afin de délivrer le message suivant aux aviateurs : « le Livre blanc et la LPM ne sont pas subis, nous avons un projet qui nous permet de maîtriser notre destin et construire notre avenir ensemble». Bien sûr, je l'ai aussi présenté à l'état-major des armées, au major général des armées. Cela nous permet d'intégrer et de décliner les suites du Livre blanc dans une cohérence d'ensemble. C'est important pour moi, car cela permet de répondre aux inquiétudes naturelles de nos personnels concernant leur avenir et le format de l'armée de l'Air. L'objectif était de leur montrer que même si les formats comptent, le maintien de notre cohérence, qui est au coeur de notre projet, est encore plus important. Ce projet nous a ainsi permis d'anticiper un certain nombre de choses et également d'être force de proposition.

Je voudrais commencer par vous parler des capacités opérationnelles de l'armée de l'Air. Ces capacités sont fondées sur deux missions permanentes essentielles qui sont nées dans les années 1960 : la défense aérienne et la dissuasion. En 1961, est créée une structure centralisée dédiée à la défense aérienne : le commandement air des forces de défense aérienne (CAFDA. La mission de dissuasion est née en 1964, elle aura donc cinquante ans l'année prochaine, avec la constitution de sa première composante qui était la composante aéroportée. Ces deux missions permanentes ont véritablement structuré l'ensemble des capacités de l'armée de l'Air. Elles nous ont en effet permis d'avoir des centres de planification et de conduite des opérations extrêmement performants, de bénéficier de réseaux de communication et de commandement extrêmement durcis, de savoir les maintenir et les utiliser ainsi que de disposer de bases aériennes en alerte permanente. Pratiquement la totalité des bases aériennes françaises sont capables quasi-instantanément de passer du temps de paix au temps de crise. Elles le démontrent au quotidien à travers la mission de police de l'air, pour laquelle elles accueillent en permanence quatre plots de deux avions de chasse et trois plots d'hélicoptères. Elles le démontrent aussi avec la mission de dissuasion pour laquelle elles sont en alerte permanente, reliées à des centres de commandement et de conduite grâce à des réseaux extrêmement durcis. La mission de dissuasion nous a permis d'assurer bien sûr la protection des intérêts vitaux de l'Etat, mais aussi de tirer les forces conventionnelles par le haut en nous dotant des capacités de planification, de ciblage et de conduite des opérations complexes, à longue distance de la France. Ce sont ces missions qui font qu'aujourd'hui, sept jours sur sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, nous disposons d'au moins un millier d'aviateurs qui sont en permanence en train d'armer des postes nous permettant de basculer instantanément du temps de paix au temps de crise. Comme les précédents Livres blancs, le dernier précise de nouveau que nous devons être capables d'intervenir dans un délai de sept jours mais il souligne également que dans ce délai, l'armée de l'Air doit détenir une capacité d'intervention immédiate. Cette réactivité est possible parce que nous disposons de ces centres de commandements, de ces réseaux et de ces bases aériennes toujours prêts à agir.

C'est cela que, depuis cinquante ans, police du ciel et dissuasion nous ont apporté, structurant véritablement notre capacité à réagir très vite. Cette capacité que nous avons mise en place nous a permis d'intervenir dans un très large spectre d'opérations comme lors des événements de Fukushima pour aller chercher des ressortissants français au Japon, alors que les compagnies aériennes françaises avaient cessé leur desserte du pays; Cette capacité nous permet d'aller recueillir du renseignement tous les jours là où cela nous est demandé ; cette capacité nous a permis le 19 mars 2011 d'aller frapper les chars de Kadhafi afin d'éviter un bain de sang, ou le 13 janvier 2013 d'aller projeter, sur ordre du Président de la République, quatre Rafale depuis la France pour aller atteindre des objectifs au Mali afin d'enrayer l'avancée des troupes rebelles qui s'apprêtaient à fondre sur Bamako. C'était un raid particulièrement difficile et long, qui a duré près de neuf heures quarante de vol, en partant de la France, en restant deux heures sur zone et en se posant à N'Djamena. Cela nous donne une capacité de réaction immédiate très forte.

S'agissant de nos capacités opérationnelles je souhaiterais cependant souligner trois points de vigilance:

- En premier lieu concernant la protection : la loi de programmation précédente a décalé énormément la rénovation de nos radars dans le cadre du programme SCCOA. Nous avons en ce moment une modernisation qui est faite vers le système ACCSS (Air Command and Control System) et qui sera bien prise en compte dans la LPM à venir. La 4ème étape du programme SCCOA a dû être scindée en deux phases dans la précédente LPM, avec un décalage de trois ans a minima de la livraison de nouveaux radars de surveillance et de défense aérienne. On ne peut plus décaler les livraisons de ces radars car ceux-ci doivent remplacer le parc de radars actuel, dont les obsolescences profondes limitent l'efficacité. Cette évolution des radars permettra de maintenir le niveau de détection actuelle et de pouvoir y abaisser les planchers de détection afin d'avoir une détection plus fine des éventuelles menaces.

- En second lieu, les réseaux de systèmes d'information et de communication qui sont importants pour le SCCOA. Nous avons besoin d'une feuille de route précise car les réseaux sont essentiels pour les systèmes de commandement. C'est un point de vigilance particulier, car il s'agit du « sang » de nos armées. Si nous ne disposons pas de ces réseaux nous ne pouvons rien faire.

- Enfin, l'arrivée du MRTT qui a été décalée maintes fois par le passé. Vous savez que nos avions ravitailleurs ont cinquante ans et nous posent beaucoup problèmes : ils demandent de la sur-maintenance, ils nous coûtent cher. Si cette flotte devait rester clouée au sol pour une raison technique ou autre, la composante aéroportée serait inutilisable et nous ne disposerions plus de capacité à intervenir à distance, c'est-à-dire qu'en fait nous ne ferions plus grand-chose. C'est vraiment la flotte clé de voute de notre dispositif.

Le Livre blanc affirme quatre principes directeurs qui ont été rappelés par le Président de la République et le ministre de la défense, à savoir : autonomie stratégique, cohérence, différenciation des forces et mutualisation. Nous inscrivons nos missions totalement dans ces principes.

L'autonomie stratégique, repose d'abord sur ces missions « socle » que j'ai mentionnées : la dissuasion et la protection ; elle repose aussi sur notre capacité à intervenir très vite. Il y a très peu d'armées de l'air en Europe qui ont la capacité de réagir en quelques heures à une décision de leurs plus hautes autorités. Cette capacité est d'abord politique grâce à un processus décisionnel très réactif. C'est aussi une capacité opérationnelle, qui suppose d'avoir des bases aériennes en alerte jour et nuit et capables de monter en puissance en quelques heures. Seules trois forces aériennes ont cette capacité en Europe aujourd'hui : l'US Air Force, la Royal Air Force et nous. Du reste, nous avons développé une initiative tripartite qui nous permet de réagir très vite si nous devions être engagés ensemble.

Le deuxième principe mis en avant par le Livre blanc est le principe de cohérence qui est extrêmement important. Il s'exprime dans notre capacité à disposer de forces adaptées à toutes les phases d'une opération, comme nous l'avons démontré durant l'opération Serval. Cette cohérence mobilise de nombreuses compétences et savoir-faire lors des opérations que nous menons. Nous avons pu le constater lors de l'aéro-largage de plus de deux-cent cinquante parachutistes sur Tombouctou, lors des opérations réalisées par les forces spéciales avec des prises d'assaut de terrain sommaire de nuit, lors des missions de bombardement ou d'appui au sol, lors des missions de reconnaissance et de surveillance impliquant des drones. Je souligne en outre que l'ensemble de ces missions ont été menées dans un espace aérien contrôlé à partir de la France avec des forces aériennes qui décollaient à partir de plus de sept pays simultanément.

Cette cohérence montrée au Mali a aussi reposé sur notre aptitude à construire des réseaux de communication avec des spécialistes des systèmes d'information et de communication (SIC) très performants et à construire des bases aériennes de théâtre, notamment à Bamako ou à Niamey. Cette cohérence s'exprime également sur un point qui me tient beaucoup à coeur : la réactivité des bases de défense. Aujourd'hui, nous continuons à avoir une approche segmentée des bases de défense. Or la mission du 13 janvier a exigé de nous d'aller chercher des armements dans un dépôt très éloigné de la base aérienne de départ de nos avions de chasse. Nous avons dû emmener des mécaniciens et des équipages en provenance d'autres bases aériennes afin qu'ils puissent prêter main forte aux équipes de Saint-Dizier ou embarquer à Istres vers le théâtre d'opérations sur les avions de ravitaillement en vol. Nous avons dû transporter, nourrir, loger tous ces personnels dans des délais très réduits un week-end. Toutes ces missions indispensables n'auraient pas été possibles sans une réactivité complète des personnels des bases de défense. Aussi il faut qu'il soit bien compris que ce personnel participe complètement à la réalisation des missions opérationnelles, sinon nous courrons le risque de nous retrouver avec des équipages et des mécaniciens qui sont capables de réagir en quelques heures avec un soutien général qui ne se fera pas et compromettra la mission. Aussi il faut savoir récompenser tous ces personnels pour les services qu'ils ont accomplis car ils ont participé à la mission. Les services de la base de défense de Saint-Dizier ont participé entièrement à la réalisation de la mission du 13 janvier. C'est aussi simple que cela.

Le troisième principe porté par le Livre blanc est celui de la différenciation des forces. Il repose d'abord sur une différenciation du matériel qui pour l'armée de l'Air se traduit dans la poursuite de la montée en puissance des Rafale tout en pérennisant des Mirage 2000 qui nous permettront de maintenir le format. En effet, sans ces Mirage 2000 nous ne serions pas capables de disposer d'un format à 225 avions de chasse tel qu'il est exprimé dans le Livre blanc. Cette différenciation se retrouve également dans notre façon de concevoir l'entraînement de nos équipages. L'engagement au combat de l'aviation de chasse nécessite des personnels qu'ils soient parfaitement entraînés. Autant pour l'aviation de transport, lors des missions logistiques -pas pour les missions tactiques-, il peut être acceptable qu'un un co-pilote à l'instruction réalise une partie de la mission, autant cela ne peut pas se concevoir pour les missions de l'aviation de chasse. En effet, aujourd'hui les missions du premier jour, qui sont les missions d'entrée en premier, sont des missions très complexes et dangereuses qui nécessitent des équipages disposant d'un niveau d'entraînement très poussé. En revanche, dès que les deux ou trois premiers mois de l'engagement sont passés, les missions sont moins denses et nécessitent un niveau d'entraînement moins exigeant. Si nous voulions que l'ensemble de nos pilotes soient entraînés pour le premier jour et disposer aussi de la capacité à durer, il nous faudrait plus d'avions et de crédits et on ne saurait pas financer ce format. C'est pour cela que nous sommes passés de 270 avions en parc à 225, mais en considérant une nouvelle organisation de notre capacité à durer. Pour les équipages d'avions de chasse cela se traduit par la mise en place de deux cercles. Un premier cercle d'équipages qui doivent s'entraîner sur tout le spectre des opérations car ils seront appelés à faire ces missions très exigeantes et un deuxième cercle d'autres équipages utilisés pour garantir notre capacité à durer. Les équipages du deuxième cercle, après un passage dans le premier, sont affectés ensuite comme instructeurs sur des avions de complément utilisés comme avions d'instruction. Ces avions de compléments coûtent beaucoup moins cher à l'heure de vol, mais peuvent être configurés comme des avions de combat. C'est ce que l'on vise aujourd'hui pour la formation des pilotes de chasse à Cognac, autour d'un turbopropulseur du type du Pilatus PC-21 qui possède de bonnes performances et dont tous les écrans peuvent être configurés à l'identique de ceux du Rafale. Cela permettrait aux pilotes de faire sur cet avion 140 heures d'entraînement sur les 180 annuels requis et de faire les 40 heures supplémentaires sur Rafale. Des économies non négligeables seraient ainsi réalisées. Le jour où le besoin d'utiliser ces pilotes en opérations apparaît, nous pouvons les entraîner de façon plus complète en deux ou trois mois, et ils nous permettront de durer sur le théâtre.

L'opération Serval est une bonne illustration de la nécessité de nous organiser différemment pour durer. Plus de 90 % des équipages aptes à des missions de guerre sur Rafale y ont déjà effectué au moins un détachement voire deux pour certains. Cela montre que nous sommes devenus très « échantillonaires » et qu'il nous faut du coup entraîner différemment nos personnels. La durée très longue des missions au Mali nous l'impose : N'Djamena-le Mali, c'est l'équivalent en distance d'un vol entre Istanbul et la France. Nos équipages font des missions qui durent entre sept et neuf heures de vol, parfois de nuit. Il faut les relever au bout d'un mois parce qu'ils atteignent rapidement entre 80 et 90 heures de vol sur leurs 180 heures annuelles. Si on ne les relevait pas, ils ne voleraient plus pendant onze mois.

Enfin, le dernier principe abordé dans le Livre blanc est celui de la mutualisation que nous mettons déjà en oeuvre au niveau interarmées. Nos pilotes d'hélicoptères sont formés dans l'armée de terre. Les mécaniciens aéronautiques de toutes les armées sont formés dans l'armée de l'Air. Nous avons déjà un certain nombre de mutualisations possibles avec tous les programmes qui sont contenus dans le Livre blanc. Je pense à l'A400M, aux drones et au MRTT, qui sont des programmes qui appellent des mutualisations au niveau européen. Dans ce cadre, le commandement du transport européen (EATC) est arrivé à une telle maturité maintenant qu'il est possible de le faire évoluer. Certains pays sont fortement intéressés pour nous rejoindre. Je pense à l'Italie. Il faudra convaincre nos amis britanniques, mais je pense qu'ils peuvent être aussi intéressés. Le meilleur équipement pour cela est l'A400M. Ce dernier va nous permettre de faire du soutien et d'élaborer des normes communes avec les Britanniques. Nous allons partager la formation avec les Allemands. Enfin ces avions seront mis à la disposition de l'EATC ; l'A400M sera ainsi un formidable intégrateur européen. J'attends beaucoup de cet avion qui doit maintenant arriver sur les parkings de l'armée de l'Air.

Le Livre blanc définit également nos formats. Concernant celui de l'aviation de chasse nous avons certes une diminution du parc d'avions de combat, 225 avions de chasse, air plus marine, mais, comme je l'ai souligné précédemment, nous compensons cette diminution par le maintien d'un volume de pilotes de chasse, entraînés différemment, qui nous donnent une capacité à durer équivalente et cela est important ; concernant les autres matériels il est prévu cinquante avions de transport tactique, douze drones, huit batteries sol-air SAMP/T. En parallèle de cette diminution des formats il y a une véritable modernisation de prévue dont celle du SCCOA qui, pour moi, est pérennisée ainsi que celle de la composante aéroportée avec le MRTT et la transformation de l'escadron de 2000N sur Rafale.

Ces nombres représentent, pour l'armée de l'Air, une diminution supplémentaire de 30 %, notamment pour l'aviation de chasse, sachant qu'elle avait déjà diminué de 30 % précédemment. Nous avions 320 avions de combat en ligne en 2008 pour l'armée de l'Air. Nous terminerons aux alentours de 165 au terme de la LPM pour l'armée de l'Air. C'est une diminution importante, que nous avons acceptée, grâce au principe de l'entraînement différencié et aussi parce que, avec le programme MRTT et d'autres programmes, nous arrivons à nous moderniser et à maintenir ainsi notre cohérence. C'est cela qui m'importait et voilà pourquoi je dis aux aviateurs : ne vous arc-boutez pas sur les formats, regardez la cohérence. Ce serait aujourd'hui une incohérence notoire d'avoir beaucoup d'avions de combat, mais ne pas avoir de MRTT.

Pour être franc avec vous, les chiffres évoqués marquent cependant un seuil-limite. Si nous devions descendre en-dessous, nous ne serions plus capables de faire les mêmes missions, ou alors cela serait très compliqué. Ces chiffres garantissent encore une cohérence, mais il est impératif de les stabiliser parce que, dans les dernières années écoulées, nous n'avons pas cessé de diminuer nos formats.

Il existe toutefois un problème dans le fait que ces chiffres masquent la réalité de la LPM pour laquelle la montée en puissance de certains programmes est parfois très lente. C'est le cas pour les MRTT pour lesquels la cible de douze appareils - nous en avions demandé quatorze -ne sera atteinte que tardivement, nous imposant de fait de conserver nos C135 plus longtemps que prévu, ce qui n'est pas sans présenter de problèmes liés à leur âge. La réalité du budget, puisque toutes les armées ont le même problème, impose de faire des efforts. Mais en cas de retour à bonne fortune, il faudrait être capable d'augmenter les cadences.

Quel est le coût d'un MRTT ?

Général Denis Mercier, chef d'état-major de l'armée de l'Air.- Nous sommes en attente de la proposition d'Airbus pour vous répondre.

Combien aura-t-on d'A400M au final ?

Général Denis Mercier, chef d'état-major de l'armée de l'Air.- Ce n'est pas précisé dans le Livre blanc qui parle uniquement de cinquante avions de transport tactique pour lesquels la flotte de CASA n'est pas concernée car elle ne dispose pas des mêmes capacités.

Sur les équipements nous sommes partis sur une rénovation à moindre coût du Mirage 2000. Si nous ne rénovons pas nos Mirage 2000 ils ne seront plus utilisables, et compte tenu du rythme de production des Rafale, nous ne serons pas capables de respecter le format de l'aviation de chasse. Nous allons moderniser les 2000-5 qui ont un radar très performant en les portant, si possible, à 9 000 heures alors qu'ils étaient donnés pour 7 000 heures. C'est une première pour un avion de chasse qui nécessite de prendre un certain nombre de garanties. Il va nous falloir maintenir une partie de la ligne des Mirage 2000 D en traitant les obsolescences du radar, de calculateurs, de missiles, et si possible en les dotant des capacités d'emport d'AASM et de pods canons pour certains avions. Cela nous permettrait d'avoir des avions un peu différenciés qui nous permettraient d'assumer un certain nombre de missions en l'absence de menaces anti-aériennes, comme en Afrique. Cet avion est ainsi intervenu dès les premiers jours au Mali. Mais nous ne pourrions pas l'engager sur des théâtres avec une menace sol-air importante.

Le nombre de 225 avions de chasse repose sur des Rafale et des Mirage 2000. Au-delà de 2020 nous aurons besoin d'une nouvelle tranche Rafale dans un volume à définir afin de compléter le parc et ensuite de remplacer les Mirage2000.

L'acquisition d'équipements est une chose importante qui permet de faire fonctionner l'industrie de défense mais il ne faut pas non plus que cela se fasse au détriment de l'entraînement. Notre entraînement aujourd'hui est diminué d'au moins vingt pour cent. L'entraînement nécessaire pour un pilote de chasse polyvalent est de cent-quatre-vingt heures de vol réelles et des missions réalisées grâce aux simulateurs. Sans ces derniers, il faudrait beaucoup plus d'heures de vol. Quatre cents heures de vol pour un pilote de transport et deux cents heures de vol pour un pilote d'hélicoptère sont environ nécessaires. Aujourd'hui, nous sommes à un petit cent cinquante heures pour les pilotes de chasse, deux cent trente heures pour les pilotes de transport et cent soixante heures pour les pilotes d'hélicoptères. Cela vient d'une sous-dotation chronique de l'entretien programmé des matériels (EPM) dans la loi de programmation précédente. J'appelle de mes voeux pour 2014-2015 le maintien de l'entraînement au moins au niveau d'aujourd'hui, c'est-à-dire avec moins 20 %, de manière à stabiliser cela. Nous allons diminuer rapidement le format pour avoir un entraînement cohérent en 2016 et, si nous y parvenons, faire remonter alors notre activité d'entraînement. Cela nécessite un effort important de notre part notamment sur les équipages. A titre d'exemple nous avons dû annuler cette année notre participation à l'exercice Red Flag, exercice majeur aux Etats-Unis. Nous avons dû également annuler un exercice au Brésil.

Une fois que le format aura été diminué, il est extrêmement important pour nous de remonter notre niveau d'activité. Cela n'est pas garanti, car faire remonter un niveau d'activité ne repose pas uniquement sur une question d'argent, c'est aussi une question d'organisation et de contrats. Nous nous sommes mis en situation de travailler mieux en réorganisant la SIMMAD. Cette réorganisation a été effective l'été dernier en mettant une partie de la structure à Paris et une grande partie à Bordeaux, où les industriels nous ont rejoints pour mettre en place des plateaux techniques. Depuis des années nous n'avons pas arrêté de moderniser et de réorganiser le maintien en conditions opérationnelles (MCO). Si nous voulons pouvoir mesurer les résultats des actions passées, il faut stabiliser - au moins quelques années - les réorganisations et les crédits qui lui sont accordés.

Le MCO souffre depuis des années d'une instabilité chronique. Je souhaiterais qu'il nous soit laissé le temps de travailler sur nos objectifs : remonter l'activité et diminuer les coûts. Mais nous ne pouvons pas le faire avant deux ans, car les contrats sont signés et nos formats vont diminuer. Pour moi c'est une vraie inquiétude. Je souhaite qu'on nous stabilise le paysage et qu'on nous laisse travailler en toute quiétude. Nous saurons trouver des idées intelligentes pour réduire les coûts.

Un autre point important est celui des effectifs. Le Livre blanc annonce une réduction supplémentaire de 24 000 auxquels s'ajoutent les 10 000 restant encore à faire du précédent Livre blanc. Dans les 10 000 restants à faire, l'armée de l'Air est concernée par 2 400 suppressions sur le BOP (budget opérationnel de programme) Air. Nous avons aussi des aviateurs en dehors du BOP Air. Nous sortons d'une réorganisation qui représente une diminution de 16 000 personnels, la fermeture de douze bases aériennes et la contraction de tous nos formats de 30 %. Cette réorganisation nous a permis de rationnaliser un certain nombre de choses. Mais aujourd'hui, si nous voulons encore rendre des effectifs au niveau de l'armée de l'Air, les seules réorganisations fonctionnelles ne suffiront plus et il faudra passer par des fermetures d'implantation. J'appelle de mes voeux un certain nombre de restructurations. Cela me permettrait de rendre 4 000 emplois budgétaires. Sans ces restructurations et fermetures de sites je ne saurai pas rendre ces effectifs.

En outre, j'ai 22 % d'aviateurs qui sont hors BOP Air dans les structures interarmées. Je n'ai aucune visibilité pour l'instant sur les volumes de diminution les concernant. Une coordination interarmées s'avère nécessaire.

En résumé, la LPM est un modèle cohérent, mais difficile car il nous demande une nouvelle réduction conséquente. Mais nous savons l'expliquer parce qu'elle s'inscrit dans un projet de modernisation. Si ce projet est respecté - c'est le sujet - les aviateurs comprendront aisément les réductions d'effectifs et adhéreront au projet et aux efforts qui leur sont demandés. Si la modernisation et l'activité ne sont pas au rendez- ce serait beaucoup plus difficile de le comprendre et d'y adhérer.

Les risques, le chef d'état-major des armées l'a souligné, sont évidemment budgétaires avec la question des ressources budgétaires exceptionnelles ; des risques dans le domaine des équipements avec la gestion flotte ancienne-flotte nouvelle qui est très compliquée avec l'étalement dans le temps de la livraison des matériels ; des risques opérationnels avec le niveau d'activité qui est le vrai risque que j'identifie et enfin des risques concernant les effectifs qui dépendent beaucoup des restructurations que nous serons en mesure de conduire.

J'ai rencontré des aviateurs qui savent comprendre cela, mais qui ne le comprendront que si ce qu'on leur parle un langage de vérité.

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