Intervention de Roger Madec

Réunion du 29 mars 2006 à 15h00
Droit de préemption et protection des locataires en cas de vente d'un immeuble — Adoption d'une proposition de loi en deuxième lecture

Photo de Roger MadecRoger Madec :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, alors que le rythme des opérations de ventes par lots, dites « ventes à la découpe », s'était ralenti lors de l'examen en première lecture de la présente proposition de loi, ce phénomène reprend aujourd'hui de plus belle.

Cette nouvelle reprise des ventes à la découpe démontre qu'il est urgent d'adopter des mesures efficaces afin de protéger les locataires contre ce fléau spéculatif.

Avant de revenir sur le contenu du texte, je souhaite redire combien l'ampleur et la nature actuelles des ventes à la découpe sont devenues inacceptables et très préoccupantes.

Certes, me direz-vous, cette méthode de mise en vente existe depuis longtemps. C'est vrai. Elle a été développée par les propriétaires, bailleurs institutionnels publics ou privés, et intervenait traditionnellement à la suite de travaux de réhabilitation ou pour gérer un patrimoine locatif.

Aujourd'hui, la situation est tout à fait différente. Ces opérations ne sont plus effectuées par des bailleurs, mais par des investisseurs financiers. Elles ne correspondent plus à aucune réalité économique, mais à des impératifs financiers.

Je ne citerai qu'un exemple : en 2004, le fonds de pension américain Westbrook a découpé 3 600 logements. Ce sont non pas dix ou cent locataires qui ont été mis à la porte, mais des milliers !

Nous savons comment fonctionnent les acteurs financiers. Ils obéissent à des critères de rendement à très court terme, comme l'a rappelé Mme Borvo tout à l'heure, avec un objectif de rentabilité de 30 % en cinq ans. C'est au nom des mêmes objectifs financiers qu'une société immobilière liquide son parc de logements.

Les ventes à la découpe témoignent incontestablement de la financiarisation du marché du logement. Or la question du logement est trop grave pour permettre une telle dérive. Un appartement n'est pas un simple actif financier ou un titre de créance. C'est la vie !

Pourtant, cette évolution dangereuse ne semble pas préoccuper la majorité. Elle crée en effet elle-même les conditions de cette financiarisation avec, par exemple, l' « amortissement Robien ». Ce dispositif, qui est conçu comme un outil d'optimisation fiscale, fait des futurs propriétaires de simples investisseurs financiers.

C'est bien cette logique que nous refusons, et ce d'autant plus vivement que le contexte est extrêmement défavorable aux locataires.

L'augmentation des loyers est en effet très forte, que ce soit à Paris ou dans les grandes métropoles. Les prix de l'immobilier explosent. Même dans les arrondissements populaires de Paris, tel celui que j'administre, le prix du mètre carré a atteint un record vertigineux. L'immense majorité des locataires frappés par le fléau de la vente à la découpe rencontrent donc les pires difficultés pour se reloger.

Les ventes à la découpe ont une autre conséquence immédiate : elles entraînent le transfert des habitants modestes et des classes moyennes du centre vers la périphérie des grandes villes. Elles ne favorisent donc pas la mixité sociale qui fait la richesse de nos villes et de nos quartiers. Au contraire, ces ventes sont à l'origine d'une déstabilisation sociale.

Aujourd'hui, l'ampleur du phénomène des ventes à la découpe atteint des proportions inégalées. À Paris, les ventes par lots concernent près d'une transaction immobilière sur cinq. Plus de deux cents immeubles font actuellement l'objet d'une mise en lots, dont près de la moitié par des administrateurs de biens. D'autres métropoles sont également, hélas ! frappées de plein fouet par ce fléau.

Il est donc urgent, madame la ministre, de prendre des mesures résolues afin de freiner le rythme des ventes à la découpe. La financiarisation de l'immobilier, le niveau élevé des loyers, le départ des locataires modestes et l'ampleur du phénomène le justifient pleinement.

Il s'agit non pas d'interdire cette pratique - c'est le libéralisme et la loi du marché ! - mais de l'encadrer, afin d'empêcher son instrumentalisation à des fins purement financières. La vente par lots doit être une méthode de gestion du patrimoine locatif et non une technique d'optimisation financière.

Les groupes socialistes du Sénat et de l'Assemblée nationale ont fait des propositions en ce sens. Lors de l'examen en première lecture de la proposition de loi, vous en aviez repris quelques-unes - et nous nous en félicitons -, mais vous aviez préféré écarter les plus significatives d'entre elles.

Le texte dont nous discutons aujourd'hui est nettement insuffisant, même s'il a le mérite d'exister. Les locataires, qui sont les principaux concernés, ont exprimé leur insatisfaction par la voix de leurs associations. La presse s'en est d'ailleurs grandement fait l'écho ce matin. Quant aux opérateurs immobiliers, ils ont fait la preuve de l'inconsistance de cette proposition de loi en accélérant les ventes à la découpe depuis son examen en première lecture par le Parlement.

Plusieurs dispositions de ce texte seront en effet totalement inefficaces dans la pratique, et vous le savez bien !

Il en est ainsi, tout d'abord, de la possibilité offerte aux maires d'exercer leur droit de préemption au nom du maintien des locataires dans leur logement. Cette mesure est présentée comme une grande avancée pour la cause des locataires. Mais encore faudrait-il que les maires aient les moyens financiers d'effectuer de telles transactions immobilières ! Aucune collectivité territoriale n'a en effet les moyens de faire face à l'appétit financier des investisseurs privés ou des fonds de pension. Ni les villes de grande taille, ni celles de taille moyenne, encore moins celles de dimension modeste n'auront les moyens de préempter un nombre suffisant d'immeubles. Ainsi la transaction du fonds de pension Westbrook portait-elle sur un montant de 1, 15 milliard d'euros !

Il en est ainsi également du dispositif d'incitation fiscale. Certes, nous avons proposé de réduire les droits d'enregistrement lorsque l'acquéreur d'un logement vendu à la découpe s'engage à ne pas donner congé au locataire, mais nous proposions que ce dispositif soit obligatoire et que la perte de recettes en résultant pour les collectivités locales soit compensée par une augmentation de la dotation globale de fonctionnement, la DGF. En privant les collectivités de toute compensation, vous rendez ce dispositif peu efficace et peu opérationnel. Rares seront en effet les propriétaires et, par suite, les locataires qui, un jour, profiteront de cette incitation fiscale.

Il en est ainsi, enfin, du droit de préemption que vous créez et que pourra exercer un locataire lors de la vente d'un immeuble en bloc lorsque le propriétaire ne se sera pas engagé à maintenir l'immeuble sous statut locatif pendant six ans.

Cette disposition est, paraît-il, la mesure phare du texte. Pourtant, nous le savons tous, elle ne profitera qu'à une minorité de personnes. Il est en effet généralement estimé qu'un tiers seulement des locataires ont les moyens de racheter leur logement.

Ainsi, dans l'est parisien, que je connais bien, la majorité des locataires victimes des ventes à la découpe n'ont généralement pas les moyens de racheter leur logement. Comment des smicards ou des gens modestes, qui vivent là depuis trente ans, peuvent-ils faire face à des prix atteignant 4 000 ou 5 000 euros le mètre carré ? C'est impossible !

Aussi, les acquéreurs d'immeubles en bloc ne risquent pas, dans les quartiers populaires, de voir un locataire exercer ce nouveau droit de préemption. Rien n'incitera réellement ces acquéreurs à s'engager à maintenir les logements en statut locatif, comme les y encourage l'article 1er du texte.

En outre, le propriétaire de l'immeuble pourra très facilement contourner l'engagement de maintenir les logements en statut locatif pendant six ans en vendant directement à la découpe, sans vente en bloc au préalable.

Au final, seule la minorité de locataires les plus aisés verra sa situation s'améliorer. Les autres devront se contenter de quelques avancées essentiellement procédurales.

Ces progrès sont largement insuffisants. Ils traduisent votre manque de volonté - excusez-moi, madame la ministre, mon propos n'est pas polémique, je ne fais qu'un constat - d'apporter une solution aux excès des ventes à la découpe. Or les solutions existent, Jean-Pierre Sueur les a rappelées.

La première solution serait de donner au maire la capacité de suspendre la vente par lots d'un immeuble. Il n'y aurait pas là atteinte excessive au droit de propriété puisque le propriétaire devrait seulement s'engager à maintenir un nombre suffisant d'appartements en statut locatif. Au demeurant, une telle mesure aurait un effet dissuasif sur les spéculateurs.

La seconde solution consisterait à réglementer la profession de marchand de biens. Dans la mesure où ces marchands n'assurent pas les mêmes fonctions qu'un bailleur, il convient de leur retirer le droit de recourir au congé pour vente. De plus, ils sont les principaux opérateurs de ventes par lots.

Pour la suite de nos propositions, je vous renvoie à nos amendements. Tous traduisent notre volonté de bien et mieux protéger les locataires - y compris ceux qui sont moyennement aisés et installés dans la société, aussi frappés de plein fouet par ce phénomène -, sans porter atteinte au droit de vente.

Vous l'avez compris, madame la ministre, le texte qui nous est présenté aujourd'hui ne saurait nous satisfaire en l'état. J'espère que chacun d'entre nous en prendra conscience au cours du débat et que l'adoption de nos amendements nous permettra de le voter.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion