Intervention de Jean-Louis Carrère

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 18 septembre 2013 : 1ère réunion
Loi de programmation militaire — Audition du général ract-madoux chef d'état-major de l'armée de terre

Photo de Jean-Louis CarrèreJean-Louis Carrère, président :

Mon général, c'est toujours avec un grand plaisir que nous vous accueillons. Permettez-moi tout d'abord de vous remercier très chaleureusement pour votre accueil aux universités d'été de la défense à Pau, au cours desquelles nous avons pu mesurer l'étendue des savoir-faire de l'armée de Terre ... Et l'étendue de ses besoins en matière de modernisation des équipements.....

Le projet de loi de programmation militaire est désormais soumis à notre examen. Nous souhaitons entendre vos analyses. Aussi, je serai très bref et me bornerai à quelques grandes interrogations :

- Le nouveau contrat opérationnel de l'armée de Terre vous semble-t-il cohérent et soutenable compte tenu des moyens alloués ?

- Quelle part l'armée de Terre prendra-t-elle aux futures déflations d'effectifs, qui porteront pour un tiers sur l'opérationnel ? Vous disiez préférer des fermetures à des réductions saupoudrées, qui anémient les unités : qu'en sera-t-il ?

- Que signifiera concrètement la « différenciation » - n'est-ce pas un cache misère de l'instauration d'une armée à deux vitesses, tant en termes d'entraînement que d'équipement ?

- La préparation opérationnelle et la disponibilité des matériels ne se redresseront au mieux qu'en 2016. La LPM fixe un objectif à 90 jours d'entraînement (plus les OPEX), alors que nous considérions les 105 jours actuels de l'armée de Terre comme insuffisants... Comment l'armée de Terre va-t-elle vivre cette période ?

- Qualité du recrutement, fidélisation et cohésion civils-militaires me semblent trois points de fragilité en matière de ressources humaines. Quelle est votre analyse ?

- Enfin, quel est votre principal point de vigilance : le lancement du programme SCORPION ?

Nous serons collectivement - et peut-être même unanimement ? - attachés à renforcer, dans le projet de loi de programmation, le contrôle parlementaire de son exécution. Je suis aussi très attentif à tout ce qui peut renforcer le lien armée-nation, et ouvert à vos suggestions dans ce domaine. Vous avez la parole.

Général Ract-Madoux, chef d'état-major de l'armée de Terre - Je vous remercie de m'offrir l'opportunité de m'exprimer devant la représentation nationale. Le Livre blanc, sur lequel vous m'aviez entendu le 12 juin dernier, franchit avec ce projet de loi de programmation militaire 2014-2019 une étape décisive. Les contextes géopolitique et économique nous rappellent avec acuité la portée stratégique de cette loi, mais aussi l'enjeu ambitieux et complexe qu'elle porte.

Ce projet de loi me semble rechercher le meilleur point d'équilibre possible entre l'indispensable redressement des comptes publics et l'absolue nécessité pour la France de conserver une défense forte. Dans ce but, la Nation s'apprête à consentir un effort important en sanctuarisant pendant trois ans le budget de la Défense. Cet effort a pour objectif de maintenir la France au premier rang stratégique. Pour ce faire, le projet de loi de programmation militaire met en avant d'une part le rôle déterminant de la préparation opérationnelle et d'autre part l'importance des équipements pour disposer de forces opérationnelles performantes.

De fait, les objectifs de préparation opérationnelle fixés dans le projet de loi permettent à l'armée de Terre de satisfaire son contrat tandis que le plan d'équipement poursuit le renouvellement des matériels terrestres les plus essentiels. Toutefois, l'atteinte de ces objectifs est subordonnée à la bonne exécution de la programmation telle qu'elle est prévue. Elle nécessitera donc un volontarisme budgétaire dont la précédente LPM n'a pas pu bénéficier compte tenu du contexte économique. Deux défis majeurs attirent toute mon attention : en premier lieu l'effort considérable de réduction d'effectifs car il pourrait avoir des effets sur la cohérence du modèle d'armée ; en second lieu les conditions d'exercice du métier militaire et de vie du personnel car elles conditionnent notre capacité à réussir cette réforme. De ce point de vue, le moral de nos hommes, qui découle directement de leur condition de vie et de travail, constitue à mes yeux un enjeu central d'autant plus qu'il est un des facteurs de leur efficacité opérationnelle. Mes responsabilités dans ces domaines m'imposent donc de disposer des leviers d'action pour pouvoir les exercer en toute plénitude.

Pour commencer, l'effort conséquent marqué dans la loi de programmation militaire sur l'équipement des forces permet de poursuivre le processus de renouvellement des matériels. Il permettra à l'armée de Terre de disposer des capacités essentielles dont elle a besoin. Pour s'adapter au nouveau contrat opérationnel et aux ressources budgétaires, le futur plan d'équipements prévoit malheureusement des reports d'opérations, des réductions de cibles et un étalement des livraisons des matériels. Ceci nécessitera donc de trouver un équilibre entre le prolongement des parcs les plus anciens et un rythme de modernisation progressif. Cet équilibre imparfait fera apparaître des réductions temporaires de capacité. Le volontarisme budgétaire et l'application rigoureuse de la programmation éviteront d'en aggraver les effets et de dégrader ainsi la capacité opérationnelle de l'armée de Terre.

Le lancement dès 2014 de la première étape du programme Scorpion permet d'entamer le renouvellement des équipements médians et de moderniser les capacités des unités de combat à l'horizon 2020. L'inscription dans le projet de loi de programmation militaire de cette opération fondamentale pour l'avenir de l'armée de Terre constitue donc une source de soulagement. Toutefois, ce programme devra faire l'objet d'un suivi et d'un effort prononcé pour garantir le remplacement à temps du véhicule de l'avant blindé -le VAB- de l'AMX 10 RC et de l'ERC 90, sous peine de devoir les employer jusqu'en 2030. L'AMX 10 RC aura alors 50 ans ! Le respect du cadencement et des cibles de livraison des systèmes structurants que sont le véhicule blindé multi-rôle (le VBMR), l'engin blindé de reconnaissance et de combat (l'EBRC) et le système d'information Scorpion (SICS) est donc devenu capital. Ce volontarisme budgétaire est d'autant plus important que la LPM précédente, n'ayant pas réellement respecté la priorité que prévoyait le Livre blanc de 2008 sur la remise à niveau des moyens aéroterrestres, a vu le programme Scorpion reporté d'environ trois ans. Par ailleurs, les réductions de cibles dont il a été l'objet méritent également d'être soulignées car elles nous imposent de prolonger les parcs anciens. Si la précédente LPM prévoyait d'équiper deux régiments en EBRC en 2020 et de livrer près de 1 000 VBMR, la prochaine LPM permettra quant à elle d'équiper un seul peloton EBRC à la même date et de livrer 200 VBMR. Le retard ainsi accumulé ne pourra pas être rattrapé. Tout nouveau report du programme ou toutes nouvelles réductions de cibles entraîneraient de fait une rupture capacitaire sur les moyens de combat médians. Cette situation serait difficilement compréhensible au regard des renoncements qu'a acceptés l'armée de Terre sur d'autres matériels.

Surtout, il ne faut pas écarter les risques que nous ferions prendre à nos hommes en ne leur permettant pas de disposer au bon moment du bon matériel.

Concernant les autres fonctions opérationnelles, les trajectoires envisagées font apparaître de longues réductions temporaires de capacité. La diminution du parc d'hélicoptères de manoeuvre - Puma, Cougar, Caracal et NH90 - d'environ 20% fragilisera la capacité d'héliportage de l'armée de Terre. La fonction logistique est la plus touchée. Les besoins liés au remplacement des camions ne seront couverts qu'à hauteur de 40%. Ces réductions temporaires de capacité ne pourront être atténuées que par un vieillissement prolongé des matériels actuels.

Malgré la baisse programmée du nombre d'équipements, le besoin en entretien augmente sous l'effet conjugué de la coexistence des matériels d'ancienne et de nouvelles générations, de l'allongement du cycle de renouvellement des équipements et des hausses économiques du coût des facteurs. À cela, s'ajoute une pression supplémentaire liée à la remise aux standards « métropole » des matériels fortement sollicités, lors des opérations du Liban, d'Afghanistan, de Libye et du Mali et dont une grande partie nécessite des réparations très lourdes. Cette augmentation du coût de l'entretien programmé des matériels n'est qu'imparfaitement compensée par l'accroissement des crédits correspondants.

La priorité accordée au soutien aux opérations extérieures permet d'atteindre une disponibilité technique très satisfaisante de l'ordre de 92%. Mais cet effort se fait au détriment des unités stationnées en métropole, en particulier les unités d'hélicoptères, portant préjudice à la qualité de leur préparation opérationnelle.

Le maintien de la capacité opérationnelle des forces et de leur dotation en équipements repose donc sur la volonté d'exécuter fidèlement les dispositions du projet de loi de programmation et sur le suivi régulier de cette exécution.

La préparation opérationnelle constitue la seconde priorité du projet de loi de programmation militaire. Les objectifs que celui-ci fixe en matière d'activités permettront à l'armée de Terre de remplir dans la durée son contrat opérationnel. Cependant, le maintien, au moins jusqu'en 2016, d'un niveau d'entraînement d'emblée inférieur aux objectifs pose un défi de taille. L'expérience accumulée au cours des récentes opérations ainsi que les bonnes pratiques mises en oeuvre par l'armée de Terre amortissent les effets négatifs de cette situation. Sans garanties budgétaires, ces bonnes pratiques ne suffiront cependant pas à écarter le risque d'une dégradation progressive de la capacité opérationnelle à plus long terme.

Vous le savez, la préparation opérationnelle est un facteur clef de l'efficacité des forces terrestres. En effet, comme les démonstrations aux universités d'été de la Défense à Pau vous l'ont montré, la diversité et la complexité des missions exigent un niveau d'entraînement adapté à la spécificité de chaque engagement. Nous n'attendons évidemment pas les mêmes réactions de nos hommes selon qu'ils opèrent au service de nos concitoyens en mission de protection du territoire national ou qu'ils se battent sur un théâtre d'opérations extérieures face à un ennemi acharné et déterminé. Pour autant, il s'agit bien des mêmes soldats qui, à quelques mois d'intervalle, devront gérer la complexité propre à chacune de leurs missions et dont nous exigeons qu'ils emportent la décision. Enfin, il n'y a pas d'opérations sans risque. Pour y faire face, nos soldats ont besoin d'être correctement entraînés car leur meilleure protection repose sur la qualité de leur préparation opérationnelle.

La réalisation de l'objectif fixé dans le projet de loi de programmation militaire, de 90 journées de préparation opérationnelle et de 180 heures de vol, hors simulation, permet à l'armée de Terre de remplir dans la durée son contrat opérationnel. Néanmoins, pas plus qu'en 2013, le niveau de ressource inscrit ne permettra d'atteindre ces cibles en 2014 et en 2015. Il ne devrait pas être possible de réaliser plus de 83 journées de préparation opérationnelle et 156 heures de vol. Cette situation perdurant depuis trois ans, l'armée de Terre « vit sur ses acquis ». Les raisons tiennent essentiellement aux mesures d'économies décidées entre 2009 et 2012. Elles ont, entre autres, eu pour effet de réduire les crédits d'activités, ceux dédiés à l'entretien programmé des matériels et aux opérations d'infrastructures associées, produisant par voie de conséquence une dégradation progressive des conditions d'entraînement. L'effort inscrit en LPM au profit de l'activité devrait permettre d'enrayer ce processus en stabilisant le niveau de préparation opérationnelle à terme.

Si les conséquences de cette dégradation ne se font pas sentir en opérations extérieures, où les forces terrestres continuent à se comporter remarquablement, c'est en raison de leur expérience, acquise au fil des projections et des bonnes pratiques adoptées par l'armée de Terre en matière d'entraînement. Pour autant, il faut redouter les effets de cette dégradation à plus long terme si les objectifs du projet de LPM en matière de préparation opérationnelle se révélaient hors d'atteinte.

Le taux élevé d'engagement des forces terrestres contribue encore actuellement à aguerrir nos hommes et à entretenir leurs compétences. De fait, les forces Terrestres ont profité au Mali d'un capital constitué par l'expérience acquise notamment en Côte d'Ivoire et en Afghanistan, mais aussi outre-mer. Or ce capital se réduira s'il n'est pas entretenu. C'est pourquoi, l'armée de Terre privilégie l'armement des forces prépositionnées et des forces de présence par du personnel en mission de courte durée. Outre les économies générées par rapport au personnel permanent outre-mer, cela permet chaque année à plus de 60 unités de combat de remplir des missions contribuant directement à leur préparation. C'est également la raison qui nous conduit à employer nos soldats pour la protection de nos emprises, économisant ainsi des forces dédiées à cette seule mission.

En outre, afin d'optimiser l'emploi de ressources comptées, l'armée de Terre décline de longue date les principes de différenciation de la préparation et le principe de mutualisation des moyens, prescrit par le Livre blanc. Ainsi, la préparation opérationnelle différenciée adapte depuis 2008 la durée et le contenu de la préparation au type d'engagement, permettant d'en contenir les coûts. De même, l'emploi mutualisé et la gestion spécifique des parcs pratiqués depuis 2006, l'utilisation de matériels de substitution et le recours à la simulation optimisent quant à eux l'emploi des engins et réduisent leur coût d'entretien. Cependant, ces politiques innovantes mises en oeuvre pour optimiser les ressources de l'armée de Terre dans une logique de préparation opérationnelle et d'emploi produisent maintenant tous les effets attendus. Il n'existe de ce fait plus beaucoup de marges d'optimisation au sein de l'armée de Terre.

En matière d'infrastructure, telle que les stands de tir et les camps d'entraînement, la poursuite des efforts programmés devrait permettre aux forces terrestres de disposer d'ici 2020 des moyens dont elles ont besoin.

Dans l'hypothèse où l'objectif d'activité fixé dans la LPM à 90 journées de préparation opérationnelle et à 180 heures de vol hors simulation ne serait pas atteint en 2016, cela signifierait une diminution de la capacité opérationnelle et le risque d'une baisse du niveau de qualification du personnel devant être engagé en opération. Il s'agit d'un enjeu important qui mérite une très grande vigilance afin de remonter à temps, au niveau voulu.

La diminution des effectifs prévue dans le projet de loi de programmation militaire représente un effort considérable pour les armées. Elle est de ce fait sans doute perçue comme la mesure la plus difficile à mettre en oeuvre. Une répartition équilibrée de la charge de déflation entre tous les acteurs au sein du ministère me semble centrale car elle conditionnera à la fois la cohérence du modèle d'armée avec le contrat opérationnel et l'acceptation de la réforme.

Le projet de LPM prévoit la suppression de 23 500 postes au sein de la mission Défense dont 9 000 postes au sein des forces opérationnelles et 14 500 postes au sein du soutien, de l'administration et de l'environnement. S'agissant de l'armée de Terre, la stratégie de défense fixe à 66 000 hommes projetables, c'est-à-dire entraînés, aptes et disponibles, le format de la force opérationnelle terrestre, aujourd'hui ce format étant de 71 000 hommes. Cela se traduira par la déflation du volume d'une brigade interarmes, nécessitant par voie de conséquence la fermeture de plusieurs garnisons.

L'objectif de déflation hors forces opérationnelles constitue à mes yeux un défi d'ampleur compte tenu des difficultés qu'il posera pour être atteint. Il me semble d'abord utile de rappeler que les fonctions de soutien, les structures organiques, l'environnement et l'administration ont déjà supporté un effort important de rationalisation et de réorganisation lors de la précédente réforme. L'identification des marges de rationalisation restantes sera donc difficile. Il est par ailleurs indispensable que cette réorganisation ne débouche ni sur une dégradation du soutien aux activités opérationnelles ou à leur sécurité, ni sur des défauts d'administration préjudiciables à la condition du personnel. La volonté du ministre de la Défense de « prendre le temps » nécessaire pour analyser et pour dialoguer est de ce point de vue un gage d'assurance. Surtout, il faut considérer la part de déflation qui sera imputée aux services interarmées et aux directions du ministère, au sein desquels le personnel de l'armée de Terre occupe une place importante. L'expression de la volonté politique de préserver les forces opérationnelles fait porter l'effort le plus important sur les autres secteurs de la mission défense. Elle appelle donc une répartition équilibrée des volumes de déflation et la juste identification des contributions de chaque armée et de chaque service, au risque de voir in fine la charge se reporter sur les forces opérationnelles.

Le second défi concerne les objectifs liés au taux d'encadrement. L'effort de dépyramidage qui vise à porter à 16% le pourcentage d'officiers se traduit par un objectif de diminution au sein du ministère d'environ 5 800 postes de cette catégorie. Concernant l'armée de Terre, il me semble utile de préciser que son taux d'encadrement est actuellement d'environ 12% et qu'il ne représente plus que 8% au sein de la force opérationnelle terrestre, un des taux les plus bas comparé aux armées européennes équivalentes. Ce taux est d'ailleurs stable depuis 2010 puisque l'armée de Terre a diminué le nombre de ses officiers au même rythme que les autres catégories de personnel.

Si la poursuite de cet objectif ministériel devait se traduire par une telle déflation, réduisant encore le taux d'encadrement dans l'armée de Terre, les conséquences en seraient particulièrement destructurantes. Il me semble donc légitime que cet objectif ambitieux soit équitablement réparti au sein du ministère, entre armées et services, entre personnels civils et personnels militaires, pour que l'armée de Terre n'ait pas, en fin de LPM, un taux d'encadrement en officier et en sous-officier déraisonnablement bas.

Le dernier défi à relever, étroitement conditionné par le précédent, est lié à la maîtrise des dépenses de masse salariale. Son évolution est dictée par le respect des trajectoires de déflation et l'application des arrêtés de contingentement par grade qui touchent trop drastiquement le corps des officiers et celui des sous-officiers. Cette nouvelle règle contraint fortement la manoeuvre de réduction de postes. La difficulté consiste à concilier l'application de ces dispositions sans remettre en cause le nouvel ordre de bataille de l'armée de Terre.

La remarquable capacité d'adaptation et l'abnégation dont notre personnel a fait preuve pour mettre en oeuvre avec un certain succès la précédente réforme, tout en apportant la contribution humaine la plus forte aux engagements opérationnels, justifient l'attention qui lui est due. Ce nouvel effort a bien naturellement des effets sur le moral. Le contexte économique national amplifie d'ailleurs la perception globalement pessimiste que partagent nos concitoyens quant à leur avenir. Tout ceci accentue donc les inquiétudes du personnel et contribue à alimenter un sentiment de lassitude, voire de mécontentement. Vous avez compris que la question des effectifs que je viens d'évoquer constitue le point clé de mon appréciation de situation.

Le réalisme et la sincérité nous obligent à constater qu'avec un niveau de ressource constant jusqu'en 2015, la priorité donnée aux équipements et à la préparation des forces se traduira mécaniquement par des tensions dans plusieurs domaines que je souhaite évoquer devant vous. Contraignant les conditions d'exercice du métier militaire et les conditions de vie, ces tensions pourraient avoir des effets sur la capacité opérationnelle et sur le moral.

Dans le domaine de l'infrastructure, je redoute une dégradation des conditions de vie et de travail dans les régiments. Les renoncements sur la période 2009-2014, d'un volume de 34% des crédits initialement programmés ont conduit à reporter sur la période 2014-2019 et au-delà, la réhabilitation des infrastructures de vie courante. A titre d'exemple, initialement prévue en 2013, la fin du plan d'hébergement des militaires du rang, le plan Vivien, a dû être reporté en 2017, obligeant beaucoup d'entre eux à être logés dans des conditions précaires. Ces reports d'investissement se traduisent donc par d'importants besoins en maintien en condition que la LPM 2009-2014 n'a pas permis de satisfaire. Il en résulte un retard dans les opérations de maintenance qui exigera un effort accru en ressources pour être comblé. Il s'agit d'une préoccupation majeure car touchant les conditions de vie et de travail, ces mesures affectent directement le moral du personnel.

S'agissant du soutien de l'homme, le cadrage budgétaire du projet de loi de programmation militaire pourrait obliger à revoir à la baisse le standard d'équipement du combattant (les tenues de combats, les équipements individuels et les éléments de protection) et à diminuer ses droits à dotation. Cela se traduit aussi par des tensions sur notre capacité à équiper les forces, risquant de créer une situation de pénurie temporaire en cas de déclenchement d'une intervention d'urgence.

Les mesures d'économie sur le fonctionnement touchent également les conditions de vie et d'exercice du métier dans le domaine de l'alimentation et de la formation. J'ai ainsi été amené en 2013 à réduire, pour l'armée de Terre, le coût des denrées par repas à 3,20 euros. S'agissant de la formation, une mesure envisagée de suppression du stage de nos jeunes officiers au centre d'aguerrissement du désert de Djibouti et au centre d'aguerrissement en forêt équatoriale de Guyane les priverait d'évidence d'une expérience opérationnelle pourtant indispensable.

Au bilan, il faut éviter que la dégradation des conditions de vie et de travail et que l'enchaînement des réformes n'affectent la motivation et la satisfaction que leur engagement procure à nos soldats.

Enfin je souhaiterais aborder le sujet de la modernisation de la gouvernance du ministère. L'objectif consistant à clarifier les responsabilités est capital pour conduire efficacement cette réforme et en garantir l'acceptation. Il me semble donc crucial que les chefs d'état-major d'armée puissent conserver les leviers leur permettant de garantir la cohérence de l'armée dont ils ont la charge. Nous avons expérimenté, avec la défaillance de l'écosystème de solde, les limites d'une approche trop fonctionnelle. Pour renforcer la nouvelle gouvernance du ministère et dans la logique de la priorité à l'opérationnel, il est indispensable de mettre en place des mécanismes de coordination et de subsidiarité permettant aux chefs d'état-major d'armée d'être d'une part les responsables, mais surtout les chefs d'orchestre de la préparation de leur force et d'assurer la cohérence des moyens mis à leur disposition.

En conclusion, la loi de programmation 2009-2014 s'est révélée inatteignable en raison d'hypothèses budgétaires volontaristes qui n'ont finalement pas pu être tenues. L'armée de Terre n'a pas pu bénéficier de tout l'effort prévu pour renouveler ses équipements. De même, les mesures d'économies dont elle a fait l'objet ont hypothéqué l'atteinte de ses objectifs d'activités. Le projet de LPM 2014-2019 me semble quant à lui se présenter aujourd'hui convenablement, à la manoeuvre de déflation des effectifs près, qui restera délicate à conduire.

Permettez-moi pour finir, de vous remercier chaleureusement du soutien apporté par votre commission aux hommes et femmes de l'armée de Terre, que ce soit sur les théâtres d'opérations, au côté de nos familles et de nos soldats dans les moments difficiles et plus récemment à l'occasion des travaux du Livre blanc et des universités d'été de la Défense.

Sans préjuger des décisions de la commission, je pense que nous aurons à coeur de renforcer les clauses de sauvegarde financière, en particulier concernant les recettes exceptionnelles, d'instaurer une clause de « retour à meilleure fortune » permettant d'envisager une augmentation ultérieure des crédits consacrés à la défense, en fonction de la croissance. Le « plancher » de dépenses actuel n'est pas notre objectif ultime, qui reste, je l'ai dit maintes fois, celui de 2% du PIB en norme OTAN. Le renforcement du contrôle parlementaire de l'exécution pourrait prendre deux formes : des réunions plus fréquentes qu'actuellement avec le Gouvernement, je l'ai déjà proposé au ministre, voire un rapport et un débat annuels au Parlement sur l'exécution de la loi de programmation militaire. Notre volonté est de s'assurer que, cette fois-ci, la programmation sera bien respectée.

Les objectifs de déflation d'effectifs sont en effet importants et je reçois votre argumentation sur la nécessité d'une harmonieuse répartition des déflations entre armées et services. J'observe toutefois que la suppression de 20 000 emplois lors de la précédente loi de programmation ne s'est pas traduite par une diminution de la masse salariale à la hauteur de nos attentes....

Je partage votre analyse en matière de préparation opérationnelle, et aussi, je le dis, de maintien en condition opérationnelle, dont le coût ne cesse de croître. Nous serons vigilants sur le respect des engagements du gouvernement.

S'agissant du moral, avec des objectifs clairs et précis, nous pouvons mobiliser les personnels. Je m'inquiète toutefois du fossé qui se creuse entre l'armée et la Nation.

Général Ract Madoux - Concernant le lien Armée - Nation, je crois que l'armée de Terre l'incarne admirablement. Notre ancrage territorial et la diversité de notre recrutement nous rapprochent naturellement de nos concitoyens qui, de leur côté, perçoivent le rôle de l'armée de Terre comme celui le plus important pour leur défense.

L'absence de réduction de la masse salariale et l'augmentation des taux d'encadrement constituent des raisons volontiers invoquées pour dépyramider et pour civilianniser. Ces prétextes suscitent d'autant plus d'incompréhension dans les rangs qu'ils reposent sur un argumentaire discutable. Ainsi, il faut rappeler que la réforme précédente prévoyait de revaloriser la condition militaire en y consacrant la moitié des économies réalisées. En la matière, nous n'avons fait qu'appliquer la loi, la Défense étant d'ailleurs loin de l'évolution connue dans certains autres ministères. Le Livre blanc de 2008, quant à lui, a décidé d'orientations stratégiques nécessitant du personnel expérimenté et hautement qualifié : la réintégration de la France dans l'OTAN et le renforcement de la fonction connaissance-anticipation. Enfin, l'armée de Terre a également dû généraliser le statut officier à 490 sous-officiers pilotes d'hélicoptères pour s'aligner sur les autres armées. Je souligne que le taux d'encadrement de l'armée de Terre est malgré tout resté stable. S'agissant de la civilianisation, nous sommes naturellement très attachés au personnel civil. Toutefois, la comparaison de la rentabilité entre ce dernier et le personnel militaire, mesurée par les coûts et le temps de travail, me semble contestable dans les chiffres et inopportune dans son approche. Ce type d'analyse, rarement bien perçue par ceux qui en font l'objet, présente le risque de fragiliser la cohésion entre le personnel militaire et le personnel civil, par ailleurs très solide dans l'armée de Terre.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion