Intervention de Daniel Reiner

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 18 septembre 2013 : 1ère réunion
Présentation par m. daniel reiner du 35ème rapport d'ensemble du comité des prix de revient des fabrications d'armements

Photo de Daniel ReinerDaniel Reiner :

Cela fait cinq ans maintenant - depuis décembre 2008 - que vous m'avez fait l'honneur de vous représenter au Comité des prix de revient des matériels d'armement, le CPRA. J'ai donc souhaité vous rendre compte du trente-cinquième rapport d'ensemble de ce comité pour l'année 2012, comme je l'avais fait l'an dernier pour 2011.

L'année dernière le CPRA a tenu six séances plénières pour examiner les programmes fixés par le ministre de la défense. Cinq rapports présentés ont porté sur la réalisation de systèmes d'armes réalisés sous l'égide de la DGA ; il s'agit :

- de l'infrastructure du programme VBCI (véhicule blindé de combat d'infanterie) ;

- de la rénovation des avions de patrouille maritime ATL 2 ;

- du système de pose rapide de travures - le SPRAT ;

- du système de drone tactique intérimaire - le SPERWER ;

- du système de contrôle et de commandement des opérations aériennes - SCCOA 3.

Les infrastructures et matériels concernés sont aujourd'hui en service dans les trois armées et je vais vous en dire quelques mots dans un instant.

Enfin, un rapport transverse était relatif aux conséquences de l'abondement des crédits des programmes d'armement en 2009, dans le cadre du plan de relance de l'économie, et je vous en dirai également quelques mots.

1. L'infrastructure opérationnelle du VCBI

Le VBCI qui est beaucoup plus imposant que ses prédécesseurs (30 t contre 15) requiert une infrastructure adaptée. La moitié du programme lancé en 2007 est déjà livrée, en phase avec la livraison des véhicules, qui, a la date d'examen du rapport, en était aussi à la moitié.

Ce programme a subi deux modifications majeures :

- la réduction de la cible qui est passée de 700 à 630 véhicules ;

- la mise en place d'une nouvelle politique de gestion des parcs qui prévoit que le matériel n'est plus affecté en totalité dans les formations utilisatrices, mais de les répartir dans des parcs génériques, essentiellement Canjuers et Mourmelon ;

- l'évolution de la réglementation en matière d'environnement et de sécurité a également imposé des contraintes non prévues.

Au total, la dépense prévisionnelle de ce programme a connu une forte diminution : alors que le devis initial s'élevait à 149 millions d'euros, il ne s'établissait plus en 2011 qu'à 87,5 millions d'euros, soit une réduction de 41 %.

2. L'avion de patrouille maritime Atlantique 2

L'ATL est un avion mal connu et qui joue pourtant un rôle fondamental pour ses missions principales : le combat au profit de la FOST - mais aussi secondaire : le renseignement dans les zones d'engagement. C'est du reste pour cela que Jacques Gautier et moi-même sommes allés visiter la base de Lorient Lahn Bihoué au printemps dernier et avons pu mesurer l'utilité et l'efficacité de ce chasseur remarquable et redoutable.

Le programme ATL proprement dit est entré en service opérationnel en 1991. Il a connu des réductions de cibles successives, passant de 42 à 28, puis à 22 appareils. La dernière modernisation prévue à l'horizon 2016 portait sur 18 appareils. Elle a encore été réduite à 15 appareils par la LPM. Le retrait du service est prévu à partir de 2032, soit après plus de 40 ans d'activité au cours desquels les cellules et les moteurs auront été constamment maintenus, tandis que le système de combat faisait l'objet de nombreuses modifications.

Le programme Atlantique 1 qui précédait celui-ci a connu un succès certain en raison de la qualité de la coopération internationale d'origine (Allemagne, Italie, France), du financement important qui lui était consacré et de l'aide des Etats-Unis dans la phase de développement.

L'ATL 2 n'a pas bénéficié des mêmes atouts : définition trop rapide, financements insuffisants. Par ailleurs, la chaîne de montage a été transférée des usines Breguet à Toulouse aux usines Dassault à Bordeaux.

Le coût initial de la réalisation de ce programme s'élevait à 927 M€ pour le développement et à 3,8 Mds d'€ pour la production (aux coûts 2009). Les principales modifications concernaient l'installation de la liaison 11, la possibilité de larguer la torpille MU 90 et l'accroissement du calculateur.

Le développement a en réalité crû de 55 % (1,4 Mds) et la production décru de 20 % (3,04 Mds€).

Au total, le coût de possession de tels équipements sur près de quarante ans conduit à un coût global élevé : près de 12 Mds d'€ qui se répartissent à parts presque égales entre l'acquisition : 5,6 Mds et le MCO : 6,4 Mds €. Celui-ci est particulièrement élevé, car pour préserver le capital opérationnel irremplaçable représenté par ces avions, de multiples ajouts d'équipements ou améliorations ont été nécessaires.

3. Le SPRAT

L'engin SPRAT est destiné à accompagner le déplacement des chars Leclerc en offrant un moyen de franchissement cohérent par mobilité et sa rapidité de déploiement a débuté en 1999. L'opération a fait l'objet d'un appel d'offres, procédure remportée par la société CNIM implantée à Toulon, et que nous avons visitée avec mon collègue Jacques Gautier, puisqu'elle fabrique également le nouvel engin de débarquement, le catamaran EDAR, et l'enveloppe des sas des missiles M 51.

Le coût total de possession envisagé sur 30 ans est de 310 M€ dont près de 40 % correspondent à l'achat des équipements et 60 % au MCO. Pendant sa réalisation, le besoin opérationnel a fait l'objet d'une évolution importante puisque la cible est passée de 18 à 10 systèmes. Le contrat initial a fait l'objet de sept avenants afin de revoir les dates de livraison et les conditions de paiement. Un nouveau planning a été mis en place : les deux premiers matériels de série ont été livrés en janvier 2011 et, en mai 2012, sept systèmes sur dix avaient été produits. Cinq équipent déjà les forces.

4. Le SDTI

Le drone tactique Sperwer a été lancé par un marché passé à la société SAGEM en 2001, dans l'attente d'un système de drones futur, ce qui a conduit à qualifier ce système « d'intérimaire ».

Ce marché a dès l'origine rencontré de nombreuses difficultés, tant pour la livraison intervenue avec plus d'un an de retard que dans le maintien en conditions opérationnelles. L'exécution des premières tranches ont été critiques et ont fait l'objet d'un contentieux entre l'industriel et la DGA, se soldant par une pénalité de 5 M€.

L'utilisation du système beaucoup plus importante que prévue, notamment en opérations, a conduit à revoir le partage des rôles entre la DGA et l'armée de terre et à passer des marchés complémentaires de soutien.

Fin 2011, sur 30 véhicules acquis, 13 avaient été perdus en opération et il n'en restait que 17. Le système est fragile - de nombreux drones sont en réparation - mais néanmoins d'un grand intérêt opérationnel puisque son successeur n'a toujours pas été prévu.

L'acquisition du système s'est élevée à 77 M€ alors que la prévision initiale était de 68 M€. Si cette augmentation a été modérée, il n'en a pas été de même pour celle du MCO ; en effet, envisagée à l'origine à 48 M€ pour 7 ans et une opex, cette acquisition s'est finalement élevée à 196 M€ pour 10 ans et trois opex. Le coût total de possession constaté sur 10 ans est de 273 M€, alors qu'il était évalué à l'origine à près de 116 M€.

5. L'abondement des crédits des programmes d'armement dans le cadre du plan de relance de l'économie en 2009

Dans le cadre du plan de relance de l'économie adopté en 2009 pour limiter les effets de la crise économique et financière sur l'économie française, une part des crédits qui ont été consacrés à l'investissement, notamment public, a bénéficié au ministère de la défense. Une convention a été signée en janvier 2009 entre le ministère de la relance et celui de la défense. Le comité de pilotage a décidé du choix de 28 opérations.

Parmi ces opérations, six ont bénéficié des trois quarts des crédits et trois n'étaient pas prévues par la LPM (Caracal et Aravis) ou même seulement en fin de LPM suivante (BPC). Certains programmes ont connu une accélération de leur production (Rafale, VBCI, PVP), une anticipation de commandes (BPC et EDA) ou ont permis d'équiper les armées pour les opérations extérieures, notamment en Afghanistan. Près d'une dizaine d'opérations concernaient des PEM.

Dans la réalisation du plan, le ministère de la défense, du fait de son expérience en matière de programmes d'armement et d'achats en urgence, a mieux respecté les délais et consommé que d'autres ministères les crédits qui lui étaient dévolus. Il a pu conduire les opérations dans un climat de confiance avec les industriels soutenus. Un impact a pu être constaté en matière d'emplois. 5 600 emplois ont été identifiés chez les industriels. Un prolongement a même pu être donné au plan, puisque la fourniture du 3è BPC à la marine française a permis à DCNS de signer un contrat à l'exportation.

Le ministère a ainsi bénéficié de 1,6 Md d'€ dont 1,096 pour l'équipement des forces. Ces crédits représentaient 3,4 % des crédits inscrits en LFI pour l'ensemble de la mission défense et 5,2 % du P 146.

6. Le SCCOA - étape 3

Il s'agit d'un système de systèmes qui intéresse principalement l'armée de l'air, mais aussi les composantes aériennes des autres armées. Il en est aujourd'hui à la troisième étape de son déploiement et doit fournir une grande variété de missions :

- surveillance ;

- évaluation de la menace aérienne ;

- gestion de l'espace ;

- gestion des moyens de commandement et de conduite des opérations ;

- contrôle des missions et du trafic aérien.

Il assure également trois capacités maîtresses :

- commander et conduire ;

- communiquer ;

- surveiller, acquérir, reconnaître, renseigner.

L'étape 3 démarrée en 2001 devrait être pleinement opérationnelle en 2018. Elle connaît un retard de près de dix ans qui n'a toutefois pas d'incidence sur la permanence du contrôle de l'espace aérien national. Pendant cette période, il a fallu faire évoluer le logiciel national (STRIDA) avant son remplacement par celui de l'OTAN : l'ACCS (Air Command and Control System). Grâce à cette acquisition, une compatibilité totale sera obtenue avec l'organisation de défense aérienne de l'OTAN.

Le programme comporte également la rénovation des moyens des bases aériennes (contrôle local des aérodromes, radars d'approche et système radio sol-air).

Le système sera déployé dans de nombreux endroits du territoire : à Lyon Mont-Verdun et Cinq-Mars-la-Pile pour l'ACCS, tandis que le contrôle local des aérodromes équipera 26 centres et que 15 radars d'atterrissage seront implantés.

L'enchevêtrement des étapes du programme, les incertitudes portant sur la réalisation et la nécessité de réaliser des dépenses pour maintenir en condition opérationnelle les anciens systèmes au-delà des échéances prévues ne permettent que d'établir un chiffrage a minima de cette étape 3 qui s'élève à 1 Md €. Le coût global d'utilisation est estimé à 5,2 Mds.

En conclusion, les opérations d'armement ou d'infrastructure étudiées en 2012 mettent, cette année encore, en évidence des points majeurs dans le déroulement et la réalisation des opérations :

1. L'expression d'un besoin opérationnel, souvent réalisée dans un contexte géostratégique qui n'a plus cours aujourd'hui (les SPRAT), est très éloignée de la mise en service effective des matériels dans les unités de combat.

2. Les réductions de cible des programmes sont le droit commun, le maintien, l'exception. La réduction des coûts d'acquisition n'est pas proportionnelle à la réduction du nombre d'unités produites ; ce qui se traduit par une explosion des coûts unitaires. On constate donc, en général, la mise en place d'un nombre de matériels moins élevé que prévu mais avec des matériels plus efficaces, pour un coût généralement peu éloigné du devis initial.

3. Le coût global de possession - indispensable pour la programmation militaire - doit intégrer le coût d'utilisation des équipements et notamment la part consacrée au MCO sur toute la durée de vie des équipements. Dans la plupart des cas examinés en 2012, cette composante se révèle très élevée, notamment lorsque la durée d'utilisation des matériels s'étale sur plus de trente ans (ATL2). Elle peut aussi avoir été déterminée pour des conditions d'emploi qui sont bouleversées dès lors que le matériel est projeté en opex (SDTI en Afghanistan).

4. D'une façon générale, l'étroitesse de la base industrielle de défense française rend difficile l'appel à concurrence, ce qui implique un contrôle étroit des coûts de l'armement.

5. Il faut enfin souligner que la coopération européenne qui n'a pu être trouvée dans plusieurs opérations (SPRAT, ATL2, SDTI) devra être particulièrement recherchée pour permettre aux entreprises de bénéficier d'un marché plus vaste que le marché national.

Voilà le compte rendu de cette année 2012 d'activité du Comité des prix de revient de l'armement.

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