La Russie n'est pas aujourd'hui une menace pour l'Europe. Elle présente cependant un risque, en raison des fragilités du régime politique actuel. L'Europe et les Etats-Unis ont une responsabilité particulière et ont commis une faute historique dans les années 1990 en n'accordant pas suffisamment de place à la Russie ou en essayant de détacher de son orbite des pays comme l'Ukraine ou la Géorgie, où la Russie a des intérêts légitimes à défendre. Aujourd'hui encore, la renationalisation du secteur énergétique en Russie ne paraît pas en soi contestable, d'autres pays s'étant engagés dans cette voie, à commencer par le Royaume-Uni avec BP. La Russie souffre aussi d'une mauvaise image dans l'opinion, comme l'ont illustré l'affaire des « Pussy Riot » ou l'« affaire Depardieu ». Récemment encore, les mesures restrictives à l'égard des ONG prises par les autorités russes ont été présentées en Europe comme une régression démocratique et une manière pour le pouvoir de s'attaquer à des organisations de défense des droits de l'homme, voire même à des centres culturels, alors que le premier objectif des autorités russes était de mieux contrôler l'activité de certaines ONG financées par l'Arabie Saoudite et le Qatar, notamment au Caucase du Nord.
La question de la définition d'une véritable politique russe de la France comme à l'échelle de l'Union européenne se pose donc.
Cela étant, le recul en matière de droits de l'homme est réel, de même qu'en ce qui concerne le système politique, même si Vladimir Poutine continue de bénéficier d'un fort soutien au sein de l'opinion. Face au développement de la xénophobie et de l'antisémitisme, la question du modèle d'intégration de la Russie se pose.
L'abaissement du seuil de la dissuasion est une conséquence directe de l'inquiétude de la Russie devant la montée en puissance de la Chine.
Le leadership géorgien de Sakachvili a bénéficié d'un bel effet d'image mais cela s'est arrêté à partir du sommet de Bucarest. Je pense que les Géorgiens ont surestimé la garantie de sécurité dont ils pensaient bénéficier de la part des États-Unis et qu'ils ont reçu des signaux contradictoires d'une administration Bush divisée sur le sujet. La cohabitation avec le Premier ministre Ivanichvili est compliquée. La politique étrangère du Président Sakachvili a été un échec, je ne vois pas la Russie accentuer son emprise mais le message a été reçu dans toute la zone de l'Azerbaïdjan à la Turquie, selon lequel la Russie reste la puissance dominante dans le Caucase.
S'agissant de l'Azerbaïdjan, le président Aliev est dans une relation très tendue avec Poutine, notamment depuis l'affaire de la base de radar russe de Gabala et se trouve en période électorale. Il bénéficie de la rente énergétique, ce qui lui confère une certaine autonomie et mène une politique étrangère très équilibrée, bonnes relations avec les États-Unis et avec Israël, attitude prudente à l'égard de l'Iran. Il sait cependant qu'il va devoir allouer des ressources politiques à l'établissement de meilleures relations avec la Russie.
S'agissant de la Syrie, la position de la Russie en faveur du maintien du régime de Bachar El-Assad s'inscrit dans sa lecture géopolitique de la poussée sunnite depuis le début des années 2000, que les occidentaux et notamment les franco-britanniques ne veulent pas en raison de leurs relations étroites avec le Qatar. Ils considèrent aussi qu'ils ont été floués dans la guerre en Libye, non seulement par l'interprétation qu'ils contestent de la résolution des Nations unies, mais aussi parce qu'ils ont pris conscience de leur incapacité à mener une opération de telle envergure, tant sur le plan diplomatique que militaire, allant du mandat en place des Nations unies à la chute d'un régime en place. Il y a un parallèle entre leur ratage en Géorgie et le succès occidental en Libye, au moins dans la phase militaire. Enfin, il y a leur attachement à la base de Tartous, qui semble assez modeste mais qui est peut-être important dans la reconstitution en cours d'une force navale russe en Méditerranée. Il existe aussi une forte coopération militaire, avec d'ailleurs de nombreux mariages mixtes. Enfin, il y a une dimension qui est très peu évoquée, mais qui doit intervenir dans la réflexion, c'est l'évolution de la relation entre la Russie et Israël, qui devient plus structurante et qui s'explique par la présence d'une forte minorité russophone en Israël et l'existence d'une coopération importante en matière de sécurité et d'échanges d'information. Y-a-t-il un sortie de crise en gestation avec Kerry qui laisserait un peu la France hors du champ, ce n'est pas exclu ? Enfin se posera la question de quoi faire après la chute éventuelle de Bachar El-Assad.
- Présidence de M. Daniel Reiner, vice-président -