Où en est l'opposition en Russie ? Le peuple russe est-il inapte à la mise en oeuvre d'un processus démocratique ?
Quelle est la place et l'influence de la Russie dans les pays d'Asie centrale ?
Thomas Gomart.- La question démographique est tout à fait centrale. La population étudiante russe est aujourd'hui de 7 millions soit 10 % de la population active. A l'horizon 2024, elle tombe à 3,5 millions. Quel modèle politico-économique met-on en place dans une telle situation. Il faut aussi tenir compte de la répartition de la population sur le territoire (70 % à l'ouest de l'Oural) et de son aspiration à vivre sur un modèle européen qui est beaucoup plus attractif, ne serait-ce que parce que les Russes, y compris dans la classe moyenne, aujourd'hui voyagent et prennent conscience des progrès de leur pays en termes économiques mais de ce qui le distingue en terme de modèle politique. Enfin, il faut observer que la Russie est devenue un pays d'immigration notamment en provenance d'Asie centrale et du Caucase. C'est le deuxième pays d'immigration au monde après les États-Unis. Elle met en place des politiques d'aide au retour de sa diaspora avec des fortunes diverses. L'une des grandes questions également en Russie, dont je le rappelle 20 % de la population est musulmane, ce sont les politiques d'intégration. Ces politiques ne sont pas affichées mais elles fonctionnent plus ou moins. Cela n'empêche pas néanmoins des poussées soudaines de xénophobie et d'antisémitisme. Enfin, l'asymétrie grandissante avec le voisin chinois est un sujet d'inquiétude. La crainte d'être aspiré par cette croissance chinoise est de plus en plus clairement formulée. La redéfinition de la doctrine nucléaire, avec un abaissement du seuil d'emploi, est un signe tangible de cette inquiétude et de la perception d'une menace.
Dans l'attitude des autorités russes vis-à-vis des ONG, ce ne sont pas tant les ONG qui reçoivent de l'argent de l'Europe ou des États-Unis, qui quantitativement sont visées, mais les ONG qui sont financées par les pays du Golfe.
Il est incontestable qu'on observe un durcissement du régime et une limitation des libertés publiques avec un retour, mais très maîtrisé, de la police politique et une certaine tolérance à l'égard des manifestations. Actuellement, les autorités sifflent la fin de la récréation. Si les autorités sont intelligentes, elles pourraient neutraliser politiquement Navalny en le condamnant à une peine avec sursis qui le rendrait inéligible sans le stigmatiser. Il faut aussi considérer que Poutine reste populaire même si son socle de popularité s'érode, parce qu'il n'y a pas d'alternative et parce qu'il contrôle les médias traditionnels et notamment la télévision. Mais ceci va disparaître très rapidement avec la montée en puissance des médias en ligne. On sous-estime le degré de maturité politique de la société russe. Le web est devenu un espace public à part entière avec un niveau de critique politique important. On reste sur un schéma d'analyse de la façon dont les forces politiques vont se structurer au Parlement mais l'enjeu n'est plus là, il est davantage dans le développement d'une contestation au niveau local qui a des répercussions au niveau national et qui crée déjà un niveau de stress politique important pour les autorités fédérales russes. D'ailleurs mais c'est un autre débat, il y a des nouvelles formes politiques qui ne passeront pas par la représentation mais qui sont en train de s'inventer sur le web. Il y a actuellement des luttes d'influence et de contre-influence sur le web. L'anticipation politique est difficile à faire. Poutine aura des difficultés à se maintenir jusqu'en 2018 sans apporter de réponse politique. Navalny est susceptible d'apparaître comme le principal opposant, parce qu'il comprend bien la Russie, peut s'adresser aux nationalistes comme aux libéraux et conserve une capacité d'entrainement forte.
La Russie dispose de quatre outils de politique étrangère : un espace informationnel important et la langue russe qui la rendent présente en Asie centrale, dans le Caucase et en Europe orientale, les deux autres sont la politique énergétique d'une part, les ventes d'armes et la coopération militaire d'autre part. L'organisation du traité de sécurité collective est encore considérée comme apportant des garanties de sécurité indirecte à des pays à régime autoritaire d'Asie centrale qui sont très perturbés par la survenance quasi-concomitante des printemps arabes et les manifestations en Russie.