Intervention de David Assouline

Réunion du 29 mars 2006 à 15h00
Droit de préemption et protection des locataires en cas de vente d'un immeuble — Adoption d'une proposition de loi en deuxième lecture

Photo de David AssoulineDavid Assouline :

Faut-il rappeler que la proposition du groupe socialiste de l'Assemblée nationale portant sur le même sujet avait été rejetée sans ménagement quelques semaines plus tôt ?

Faut-il également rappeler que les parlementaires socialistes interpellent le Gouvernement sur la gravité du phénomène des ventes à la découpe, notamment à Paris, depuis l'automne 2004 ?

Certes, chers collègues, ce texte représente une avancée par rapport au droit existant quant à la protection des locataires contre le comportement proprement scandaleux de certains agents de biens qui se livrent à la spéculation. Je ne vise ici ni l'ensemble d'une profession ni, d'ailleurs, quelques obscurs personnages, mais bien des opérateurs installés sur la place de Paris, dont certains sont directement liés à une institution publique comme le groupe Caisse des dépôts, ou à une vénérable banque mutualiste à laquelle les Français confient leur épargne : je veux parler des caisses d'épargne et de leur filiale, le Crédit foncier. C'est cela qui est grave.

Lors de la première lecture, notre assemblée a effectivement apporté quelques améliorations au texte initial.

Nous avons par exemple complètement réécrit l'article 1er : désormais, le bailleur est obligé de joindre à la notification de vente en bloc adressée aux locataires les conclusions d'un diagnostic technique sur l'état de l'immeuble.

La fiabilité de ce diagnostic n'est malheureusement pas assurée par la proposition de loi dans son état actuel. C'est pourquoi nous soumettrons de nouveau au Sénat plusieurs amendements qui tendront à ce que l'effectivité et le sérieux des contrôles soient garantis.

En dépit de quelques avancées, ce texte reste très en retrait par rapport aux attentes des nombreux, des trop nombreux locataires qui sont victimes des ventes à la découpe ou sont menacés d'en devenir victimes.

Ce sont en effet 30 000 familles qui sont concernées, alors que, pour la seule ville de Paris, plus de 10 000 congés-vente ont été délivrés entre mi-2004 et fin 2005.

Confrontés à la plus grave crise du logement depuis la reconstruction de l'après-guerre, les pouvoirs publics ne peuvent se contenter de mesures techniques de circonstance, qui ne feraient qu'apporter quelques garanties supplémentaires, quant aux délais notamment, à des familles qui risquent l'expulsion de leur logement, faute de pouvoir l'acheter à un prix prohibitif.

A ce sujet, les dernières évolutions du marché de l'immobilier ne sont guère rassurantes.

Ainsi, selon les grands réseaux d'agents immobiliers, après des années de pénurie, il y a aujourd'hui davantage de logements à vendre à Paris et en banlieue. Toutefois, cette évolution a attiré une clientèle plus aisée, qui vend ce qu'elle possède pour acheter un logement plus grand et plus confortable. Autrement dit, la hausse des stocks ne fait que freiner marginalement une hausse des prix qui resterait comprise, selon les professionnels, entre 5 % et 10 % en 2006. Si l'on considère le comportement des acteurs du marché de l'immobilier, la spéculation a encore de beaux jours devant elle.

Dans ce contexte, les pouvoirs publics ont le devoir de réguler le marché d'un bien auquel l'accès universel est un droit constitutionnellement garanti : le logement.

Le Gouvernement se retranche malheureusement derrière le respect du droit de propriété pour justifier sa prudence, pour ne pas dire ses préventions, à l'égard de mesures qui contraindraient réellement et viseraient à strictement encadrer le processus qui aboutit à vendre un immeuble à la découpe avec une visée spéculative.

Ce texte n'apporte ainsi aucun outil qui permettrait d'assurer la mixité sociale dans certains quartiers ou certaines communes, dans les centres des grandes villes notamment, alors que l'enjeu est fondamental, en termes de cohésion sociale.

Comme plusieurs de nos collègues élus parisiens, je rappellerai au Gouvernement que le maire de Paris a demandé un moratoire sur les opérations de vente à la découpe, demande à laquelle le Gouvernement n'a donné aucune suite. Peut-être M. Goujon pourrait-il nous aider ?

Les ventes à la découpe se poursuivent pourtant en ce moment même, ruinant de considérables efforts pour préserver la dynamique du tissu urbain de certains quartiers qui perdent des habitants, donc des commerces, des services publics, des lieux de vie, au gré des opérations spéculatives.

Plusieurs de nos amendements viseront donc à ce que les locataires concernés par une opération de vente à la découpe puissent solliciter du maire une enquête d'utilité publique, qui pourrait aboutir à un arrêté de suspension de la mise en copropriété.

Nous avons malheureusement peu d'espoir que le Gouvernement et la majorité changent de point de vue et comprennent l'opportunité d'adopter ces amendements, après deux lectures à l'Assemblée nationale et une lecture au Sénat. Il nous reste tout de même un espoir.

Il est vrai que certains lobbies, à l'évidence plus proches de la majorité que soucieux de l'intérêt général, ont fait publiquement connaître leur mauvaise humeur.

Pour M. de la Martinière, président de la Fédération française des sociétés d'assurance, qui compte de nombreux investisseurs institutionnels vendant régulièrement des immeubles en bloc, la proposition de loi telle qu'elle nous est parvenue de l'Assemblée nationale constitue « clairement une atteinte au droit de propriété » - ses idées sont relayées ici-, et l'adoption, en l'état, de cette proposition dissuaderait les assureurs d'investir dans l'immobilier locatif d'habitation.

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