Intervention de Alima Boumediene-Thiery

Réunion du 29 mars 2006 à 15h00
Droit de préemption et protection des locataires en cas de vente d'un immeuble — Adoption d'une proposition de loi en deuxième lecture

Photo de Alima Boumediene-ThieryAlima Boumediene-Thiery :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, alors que nous aborderons demain l'examen du projet de loi portant engagement national pour le logement, le texte que nous discutons aujourd'hui ne répond en aucune façon aux besoins des locataires concernés par les ventes à la découpe.

Le « collectif des locataires découpés », qui regroupe ceux qui sont les mieux placés pour apprécier, sans jugement partisan, les implications de cette proposition de loi, le dit très clairement : ce texte est extraordinairement insuffisant. Mon collègue Jean-Pierre Sueur l'a d'ailleurs lui aussi souligné tout à l'heure.

En effet, les seules réponses apportées s'adressent aux acheteurs potentiels de leur logement. C'est n'agir que pour le tiers ou le quart des locataires « découpés », pour les plus riches d'entre eux, ceux qui ont les moyens d'acheter leur appartement au prix de 5 000 ou 6 000 euros le mètre carré.

Mais on le sait bien, ce n'est pas une découverte : vous privilégiez, chers collègues de la majorité, les propriétaires de logements. C'est là une politique de la droite classique, qui réduit l'aide personnalisée au logement et accorde des prêts à taux nul à des ménages gagnant plus de 7 000 euros par mois. D'ailleurs, à l'origine, l'intitulé du projet de loi portant engagement national pour le logement faisait référence à la « propriété pour tous ».

Ce faisant, pensez-vous un peu aux gens qui n'ont pas les moyens de devenir propriétaires ? Pensez-vous aux personnes qui alternent contrats précaires et périodes de chômage, qui ne se voient proposer que des stages, des postes en intérim, des CDD, des contrats nouvelles embauches et bientôt, peut-être, des contrats première embauche ? La France connaît une crise du logement, certes, mais c'est plus précisément une crise du logement locatif et, encore plus précisément, une crise du logement social. Il suffit, pour s'en convaincre, de voir le nombre de dossiers de demande de logement laissés en attente depuis des années.

Les ventes à la découpe, 3 000 logements par an étant concernés à Paris, ne sont que l'une des formes que prend cette crise. Depuis 1999, on a dénombré 36 000 logements vendus dans ces conditions. En douze ans, les sociétés d'assurances ont cédé la moitié de leur parc locatif. Aujourd'hui, cette tendance s'amplifie. Par exemple, la société d'investissements immobiliers Gecina et la Caisse des dépôts et consignations s'apprêtent à accélérer la mise sur le marché d'une partie de leur parc immobilier. Le phénomène, parti du centre-ville de Paris et qui touche plus de 120 immeubles dans la capitale, s'étend aux quartiers alentour puis aux grandes villes de province.

C'est la logique du « tout-marché », me direz-vous, mais c'est aussi la logique de la droite. On se rappelle d'ailleurs que M. Chirac, quand il était maire de Paris, avait organisé méthodiquement l'éviction des pauvres de sa ville, car la gentrification est la meilleure manière de garder une ville à droite. Aujourd'hui, les fonds de pension finissent le travail en faisant fuir les classes moyennes.

En refusant de mettre en place une législation vraiment dissuasive, vous autorisez, dans les quartiers de centre-ville, ce que l'on pourrait appeler une « purification sociale ». Toutefois, ce n'est pas étonnant puisque, après tout, c'est ce que le gouvernement que vous soutenez planifie dans les quartiers populaires, à travers les opérations de démolition-reconstruction financées par l'Agence nationale pour la rénovation urbaine.

La conséquence de cette politique, c'est le rejet toujours plus loin des classes populaires. Frappées de plein fouet par la dégradation de l'environnement, abandonnées par les services publics, reléguées vers la périphérie par des coûts de transports publics prohibitifs, les personnes à qui l'on refuse un logement accessible dans une ville rassemblée paient le prix fort du développement d'une ville à deux vitesses.

Il y a une grande violence dans les congés pour vente, dans les procédures d'expulsion de locataires, dans les assignations devant le tribunal d'instance, dans les astreintes de 500 euros par jour à compter du jugement d'expulsion, dans le passage des huissiers, dans les envois de lettres recommandées... C'est la violence du marché libre dans un secteur, le logement, qui touche à la dimension intime de la vie des gens, de leur ancrage dans un quartier, dans une ville.

On ne doit pas balayer cela d'un simple revers de main ; c'est notre rôle de parlementaires d'apporter une réponse qui soit à la hauteur de l'enjeu. Qu'avons-nous à opposer à ce phénomène à l'ampleur nouvelle ? Qu'avons-nous à dire au locataire confronté à la spéculation immobilière ? Sommes-nous impuissants à garantir un droit au logement effectif face aux fonds de pension, face à Westbrook ? Non, et c'est pourquoi je propose de donner un droit de veto aux élus locaux, qui sont les mieux placés pour faire face à ce type de situation. Je propose d'instituer un « permis de diviser », accordé par les maires.

Hélas ! cette solution vous semble beaucoup trop radicale. Ainsi, à l'Assemblée nationale, Mme Aurillac, au nom de la « fluidité du marché », avait jugé « pervers » de prendre des mesures « de nature à bloquer le marché de l'immobilier et à soumettre les bailleurs à des contraintes générales et permanentes nuisant gravement à leurs missions ».

En tout état de cause, rassurez-vous, ce n'est pas le droit de propriété que nous remettons en question, c'est le droit de spéculer avec le logement des autres. C'est seulement devant cette prétention des propriétaires que l'on peut enfreindre le droit de propriété. Il s'agit non pas d'exproprier, mais seulement de demander aux nouveaux propriétaires de continuer à louer leurs biens : pas plus, pas moins.

En fait, ma préoccupation est de réaffirmer le droit au logement pour tous. C'est une question essentielle pour la vie quotidienne des personnes. Pour inscrire les enfants dans une école, pour se faire soigner, mais aussi pour aller voter, il faut disposer d'une adresse. Le logement est indispensable à l'exercice de la citoyenneté. C'est là une réalité incontournable, et c'est pour cette raison que nous devons nous mobiliser pour défendre le droit au logement pour tous.

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