J'ai l'honneur de présenter cette année l'avis de notre commission sur les crédits du programme 131 « Création » et sur le soutien public au cinéma.
Je débuterai ma brève présentation sur le budget destiné à la création. Nous pouvons nous féliciter du maintien des crédits visant à encourager la création et à favoriser la diffusion dans les domaines du spectacle vivant et des arts plastiques. Hors investissements dans la Philharmonie, les crédits sont en hausse de 2 %. C'est un excellent signe en période de contrainte budgétaire, et je note que la promesse du Premier ministre a été tenue.
Le programme mobilise au total un peu plus de 734 millions d'euros en crédits de paiement, dont 667 pour le spectacle vivant et 66 millions pour les arts plastiques. Certes, les amoureux des arts plastiques les trouveront injustement minorés mais la stratégie du ministère est cohérente et dynamique, et propose une maquette de performance qui montre bien le souci de rationalisation des objectifs et des moyens mis en oeuvre.
Les dépenses de fonctionnement des opérateurs du spectacle vivant diminuent encore légèrement de 2 millions d'euros environ, avec un effort demandé pour une année supplémentaire à l'Opéra de Paris et à l'Orchestre de Paris. Le chantier de la Philharmonie, que les gouvernements successifs ont eu à gérer depuis le début de l'année 2009. Le projet, qui a fait l'objet de dépassements budgétaires faramineux suite à des prévisions sous-estimées arrive enfin à terme avec le lancement de la première saison début 2015 et 9,8 millions d'euros de crédits d'intervention. Ce nouvel équipement devrait constituer un atout réel pour le rayonnement de la France et pour la démocratisation culturelle puisque de nouveaux publics seront privilégiés dans la programmation et la politique tarifaire. Son emplacement dans les quartiers populaires du Nord-Est de la capitale illustre d'ailleurs cette volonté d'ouverture. D'autres équipements du programme 131 sont soutenus dans le cadre de ce budget, je pense notamment aux fonds régionaux d'art contemporain, avec la réalisation de FRAC « de nouvelle génération », les prochaines ouvertures étant prévues en Basse-Normandie et en Aquitaine.
Les crédits déconcentrés de fonctionnement dans le domaine du spectacle vivant s'élèvent à 284 millions d'euros, dont 192 millions pour les labels et réseaux.
Malgré une hausse de 5 % des crédits de paiement, qui mérite d'être soulignée, les arts plastiques continuent à faire figure de « parent pauvre » de la création française. J'ai découvert à l'occasion de cet avis et des nombreuses auditions que j'ai effectuées les difficultés rencontrées par les artistes plasticiens :
- ils bénéficient de moins de 10 % des crédits du programme ;
- ils ne peuvent pas s'appuyer sur un régime d'indemnisation du chômage comme celui des intermittents ;
- beaucoup d'entre eux vivent en dessous du seuil de pauvreté avec un revenu médian des artistes visuels affiliés à la Maison des artistes de 14 010 euros en 2010 ;
- ils attendent toujours une réponse du ministère du travail pour mettre en place une convention collective ;
- alors que la contractualisation devrait bientôt atteindre le taux de 100 % pour les structures du spectacle vivant, les artistes plasticiens se voient refuser tout contrat avec les galeries d'art, même si une réflexion a été mise en oeuvre l'année dernière ;
- les acteurs privés, mais aussi - et c'est le plus choquant - les structures publiques ne respectent pas leur droit d'exposition, les privant ainsi de revenus complémentaires, et diminuant l'assiette de leurs cotisations à la sécurité sociale ;
- enfin des dérives des systèmes de cotisations ont été dénoncées à plusieurs reprises par l'inspection générale des affaires culturelles (IGAC) et l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) qui ont décrit la situation dramatique d'artistes privés de retraite.
Je souhaiterais que nous prenions le temps d'appréhender ensemble tous ces sujets en amont du projet de loi, par l'organisation de tables rondes et d'auditions, sur la liberté de création, l'architecture et les patrimoines, que la ministre a annoncé pour le printemps 2015.
J'aimerais maintenant prendre le temps d'évoquer deux sujets qui me paraissent essentiel pour la création française, et pour lesquels je vous proposerai tout à l'heure deux amendements.
Le premier concerne le Centre national de la chanson, des variétés et du jazz (CNV). Principalement financé par une taxe sur les spectacles, cet établissement public est aujourd'hui un outil essentiel pour la filière musicale. En s'appuyant sur la vitalité des plus importantes sociétés, il collecte la taxe - en forte augmentation ces dernières années du fait, non pas tant de la diversification que de la concentration du public sur les grosses productions - pour en redistribuer 35 % sous forme d'aides sélectives qui visent à soutenir les entreprises les plus fragiles et faire émerger de nouveaux talents. Cette année, après avoir été abaissé à 24 millions d'euros lors de la loi de finances pour 2014, le plafond de cette taxe sur les spectacles a été relevé à 28 millions d'euros par la loi de finances rectificative du 8 août, sur la base d'un « gage » financier pesant sur la redevance d'archéologie préventive, momentanément affaiblie en raison de problèmes de collecte. Or dès 2014 le rendement devrait être compris entre 28,5 et 29 millions d'euros, pour croître jusqu'à 30 millions en 2015. Alerté par les nombreux professionnels sur ce sujet, je m'en suis ému auprès de la ministre de la culture. J'ai été très heureux de constater que mes propos avaient été entendus puisqu'elle nous a indiqué la semaine dernière qu'un arbitrage favorable avait été rendu pour relever le plafond. Je vous proposerai donc de ne pas attendre le collectif budgétaire et d'adopter dès aujourd'hui un amendement proposant les mêmes mesures. À terme, il me semble urgent d'envisager un déplafonnement de cette taxe pour que le CNV puisse remplir de nouvelles missions et répondre aux attentes du secteur. Ma religion sur cette question est que quand un secteur est potentiellement dynamique, écrêter décourage la production et réduit alors le montant des aides qu'il est possible de verser aux entreprises les plus fragiles.
Le second sujet concerne la TVA applicable aux livraisons d'oeuvres d'art, qui est passée au taux intermédiaire de 10 % tandis que les importations sont assujetties au taux de 5,5 %.
Après la théorie de l'avantage comparatif démontré par Ricardo au début du 19e siècle, nous avons inventé, en 2014, la théorie du « désavantage comparatif » : en privilégiant les importations d'oeuvres d'art aux livraisons locales de nos artistes, nous avons en effet institutionnalisé une concurrence déloyale dont la scène française est aujourd'hui victime. Nous avons en quelque sorte inventé le contraire du protectionnisme ! Vous comprendrez aisément pourquoi je vous présenterai un amendement tendant à revenir sur cette situation insensée, en proposant que les livraisons d'oeuvres d'art soient assujetties au taux de TVA réduit de 5,5 %.
En ayant préservé les crédits de la création en période de contrainte budgétaire, le ministère de la culture a donné un signal fort. À nous de prendre le relais, de montrer que la culture est autre chose qu'un supplément d'âme. La création est garante de notre liberté d'expression, à nous de la défendre, notamment au moyen d'une volonté budgétairement bien affirmée.
Côté cinéma, le projet de loi de finances préserve ce qui doit l'être, mais on voit bien qu'il en faudra davantage pour pérenniser notre système original et vertueux de soutien à l'activité cinématographique : je vous proposerai de nous opposer à une tentative malheureuse et dangereuse de la commission des finances, qui se propose d'écrêter les taxes affectées au Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) d'opérer un prélèvement sur son fonds de roulement. Pourquoi vouloir mettre à bas notre système vertueux de soutien à l'industrie cinématographique, quand tout le monde salue ses résultats, alors que c'est grâce au fonds de soutien que le cinéma français a pu résister au cinéma américain comme nul autre cinéma européen ? C'est un mystère, que nous devrons éclaircir avec nos collègues de la commission des finances.
Une diminution des crédits de 61,5 millions serait un coup terrible porté au secteur. Plus de 300 millions d'euros ont déjà été prélevés ces dernières années et le CNC n'a plus de marges s'il veut tenir les engagements qu'il a pris en matière de financement des profits.
Le rendement des taxes affectées au fonds de soutien va encore diminuer l'an prochain : on était à 800 millions d'euros il y a quatre ans, à 700 millions l'an dernier et les prévisions sont à 630 millions l'an prochain : le recul est de 20 % en quatre ans et de 10 % en un an.
Je rappelle que ces taxes sont par ordre croissant :
- la taxe sur la vidéo, qu'elle soit physique ou en ligne : son produit est estimé à 21 millions d'euros, contre 28 millions l'an passé, c'est 25 % de moins et la baisse va se poursuivre ;
- la taxe sur les entrées en salle, qui, heureusement, reste stable à 134 millions d'euros. Les salles de cinéma attirent toujours plus de public, notamment grâce à leur numérisation désormais achevée ;
- enfin, le nerf de la guerre, c'est la taxe sur les services de télévision, qui représente les trois-quarts du fonds de soutien : elle passe de 537 à 474 millions d'euros, parce que la partie due par les distributeurs, la TST-D, diminue de 70 millions d'euros.
La TST-D a été créée en 2007 pour faire contribuer au fonds de soutien tous les distributeurs de télévision, y compris CanalSat, Numéricable, SFR, Bouygues Télécom et Orange ; on se souvient que pour éviter de la payer, les opérateurs avaient séparé la télévision de leur offre triple-play, puis nous avons élargi l'assiette à l'ensemble de l'abonnement ; les opérateurs l'ont contesté devant la justice européenne, elle a finalement validé l'élargissement. C'est pourquoi le budget pour 2014 a été établi sur une estimation de 270 millions d'euros.
Or, dès le mois de mai dernier, les premiers acomptes ont montré que le produit de cette taxe ne dépasserait pas 200 millions d'euros et qu'il manquerait donc 70 millions d'euros au financement que le CNC pourrait engager cette année pour les nouvelles productions. Dans ces conditions, le Gouvernement a rendu l'arbitrage suivant : la TST-D n'est pas augmentée, le CNC devra se contenter de ces 200 millions sur la ligne TST-D, mais le fonds de soutien sera intégralement « entre ses mains ». Il ne subira ni écrêtement de la taxe, ni prélèvement supplémentaire sur son fonds de roulement.
Pourquoi cet arbitrage est-il si important ? Parce que le fonds de soutien et la « réserve » qui figurent dans le bilan du CNC ne sont pas un « magot » que l'établissement garderait pour des jours meilleurs ; ces fonds ont été prélevés sur l'activité cinématographique spécifiquement pour financer de nouveaux films, c'est le principe. Mais, techniquement, cela veut dire aussi que le CNC n'en dispose pas complètement, car ces lignes de compte correspondent à des provisions et à des contreparties de films qui sont en production ou qui vont l'être rapidement : cet argent n'est pas « disponible », il est déjà engagé dans l'activité cinématographique.
Le CNC pilote une politique publique de soutien à l'activité cinématographique et audiovisuelle, ses dépenses d'intervention irriguent l'ensemble de l'industrie cinématographique, à quoi s'ajoutent les obligations faites aux chaînes de télévision de produire et de diffuser des films, ainsi que des règles pour protéger l'exclusivité des nouveaux films en salle, ce que l'on appelle la chronologie des médias. Cet ensemble constitue notre système de soutien au cinéma, c'est grâce à lui que nous continuons de produire 270 films par an, que les films français captent plus du tiers des spectateurs hexagonaux, que les salles ont réalisé plus de 200 millions d'entrées l'an passé, que la branche représente 250 000 emplois directs et que notre industrie cinématographique est exportatrice.
Or, c'est au moment où le financement du fonds de soutien est en difficulté que notre commission des finances nous propose... de ponctionner encore le fonds de roulement du CNC et d'écrêter les taxes qui lui sont affectées.
La révolution numérique, parce qu'elle change les usages, parce qu'elle facilite les contournements de règles, parce qu'elle limite la valeur marchande du cinéma à la télévision, bouleverse le cadre que nous avons patiemment construit pour le cinéma et l'audiovisuel. Nous devons le moderniser, l'adapter encore à la révolution numérique, certainement pas le fragiliser et faire douter l'ensemble de la filière de l'engagement de l'État. Le CNC ne dispose pas de la trésorerie pour être prélevé de 61,5 millions d'euros, comme le propose notre commission des finances, une telle ponction arrêterait dans l'heure un nombre important de projets sur lesquels le CNC s'est déjà engagé.
C'est pourquoi je vous proposerai de nous mobiliser, collectivement, contre les deux amendements adoptés par la commission des finances sur la première partie du projet de loi de finances : le premier à l'article 15, qui « écrête » les taxes affectées au CNC ; le second qui insère un article additionnel après l'article 16, pour prélever 61,5 millions d'euros sur le fonds de roulement du Centre.
Je vous proposerai, ensuite, un amendement pour corriger un décalage en matière de crédit d'impôt « cinéma », qui joue contre les producteurs établis en France : le crédit d'impôt pour dépenses de production est plus avantageux pour les films produits par des entreprises établies hors de France que pour les entreprises établies en France. En effet, un producteur établi hors de France peut bénéficier jusqu'à 20 millions d'euros d'un crédit d'impôt dit « crédit d'impôt international » (C2I) pour des dépenses effectuées en France, tandis que le plafond est fixé à 4 millions d'euros pour un producteur établi en France.
L'attraction de tournages étrangers est un enjeu pour l'activité cinématographique, ce qui justifie le montant du crédit d'impôt international. Mais il est incompréhensible que les entreprises établies en France soient moins bien traitées, ce qui revient à les décourager, ou à tourner à l'étranger : La Belle et la Bête, film financé par des producteurs français, a été tourné en Allemagne parce que les conditions y étaient plus avantageuses... C'est pourquoi je vous proposerai d'élever à 20 millions d'euros le plafond du crédit d'impôt « national », c'est-à-dire de s'aligner sur celui du crédit d'impôt « international ».
J'interrogerai le Gouvernement, enfin, sur les réformes utiles à notre industrie cinématographique. L'année 2014 a été très riche en analyses, en concertation, le temps est venu d'agir, il faut de la cohérence et, aussi, de l'ambition pour notre activité cinématographique et audiovisuelle. J'en évoque des aspects dans mon rapport, sur le fonds de soutien, sur la chronologie des médias et sur le soutien à l'exportation, autant de sujets où il y a beaucoup à faire, dans les meilleurs délais.
Compte tenu de ces observations, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Création», au sein de la mission « Culture ».