J'ai l'honneur de présenter pour la première année les crédits du programme 224 « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture ». Pour résumer mon analyse du budget pour 2015, je dirais qu'au-delà des crédits du programme, globalement préservés, les décisions du ministère de la culture révèlent un désengagement de l'État et un pilotage défaillant.
Les crédits sont préservés pour l'ensemble du programme, avec 1 099 millions d'euros en crédits de paiement soit une hausse très nuancée de 0,38 %. Cependant les évolutions sont très inégales d'une action à l'autre :
- ils sont en forte hausse (3,8 % à périmètre constant) pour l'action 1 relative à l'enseignement supérieur culturel qui bénéficie de 264 millions d'euros en crédits de paiement,
- ils baissent de 5 % au sein de l'action 2 malgré le renforcement des moyens destinés à l'éducation artistique et culturelle. En effet, 41 millions d'euros sont dédiés à l'éducation artistique et culturelle, dont 10 millions pour le plan pluriannuel éponyme qui bénéficiait de 7,5 millions l'année dernière ;
- les crédits baissent de 2 % encore au sein de l'action culturelle internationale mais sont confortés pour l'action 7 dédiée au fonds de soutien du ministère avec une augmentation de 29 équivalents temps plein travaillé. J'ajoute que 3,6 millions d'euros sont prévus pour 2015 au titre des mesures catégorielles et 7 millions pour la mesure de glissement vieillesse-technicité (GVT).
J'aimerais maintenant m'attarder sur la notion de désengagement de l'État qui est flagrante lorsqu'on analyse ce programme. L'illustration la plus évidente de mon propos est la suppression de l'action 3 qui regroupaient les crédits relatifs aux enseignements artistiques, accordés par les directions régionales de l'action culturelle (DRAC) aux communes pour le fonctionnement des conservatoires classés, soit 40 conservatoires à rayonnement régional et 102 conservatoires à rayonnement départemental. Je rappelle que les crédits de cette action devaient être sanctuarisés en attendant leur transfert aux départements et régions en application de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales. Plusieurs articles de cette loi organisaient la décentralisation des enseignements artistiques avec une répartition des compétences entre les collectivités territoriales et l'État.
Alors que nous étions sur le point de pouvoir enfin donner une nouvelle impulsion à cette décentralisation avec la réforme territoriale, le ministère a choisi de faire disparaître les crédits ou presque, puisque seuls 5,5 millions d'euros sont préservés mais au sein de l'action 1 relative à l'enseignement supérieur.
Nous observons aujourd'hui le résultat d'un processus engagé il y a trois ans. Rappelez-vous : dès le projet de loi de finances pour 2013, ils étaient passés de 29 à 22 millions d'euros. L'année dernière, leur montant était à nouveau diminué de 31 %, pour atteindre 15 millions. La suppression de l'action est donc la suite logique de ce désengagement réalisé sans aucune concertation avec les acteurs concernés.
J'ai rencontré l'association des directeurs des conservatoires de France : ils m'ont fait part des conséquences de ce désengagement de l'État, déjà observées sur le terrain en 2014. La première d'entre elles est relative à l'emploi : trois postes ont ainsi été supprimés au conservatoire à rayonnement départemental d'Orléans, quatre dans celui de l'Aveyron. Compte tenu des perspectives annoncées pour 2015, les directeurs s'interrogent sur la pertinence du classement des conservatoires qu'ils dirigent, et c'est la deuxième conséquence que je souhaitais évoquer. Ils estiment que ce classement induit des contraintes coûteuses qui n'ont plus nécessairement d'intérêt compte tenu de la disparition du soutien financier de l'État, perçu jusqu'alors comme une contrepartie. Enfin, ils sont très inquiets en découvrant la nouvelle logique du ministère qui attribuera les crédits résiduels aux conservatoires adossés à un pôle d'enseignement supérieur. En effet, les disparités entre territoires sont fortes et la dynamique d'intégration voulue par la loi dite du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche varie beaucoup selon les pôles. Aussi la rupture d'égalité a-t-elle été évoquée lors de mes auditions, ce qui me paraît particulièrement alarmant.
Désengagement, c'est le mot qui m'est également venu à l'esprit en découvrant le cas de l'école nationale supérieure des beaux-arts de Paris (ENSBA). Cette institution est non seulement la plus prestigieuse école d'enseignement des arts plastiques, mais c'est aussi un musée dont les collections ont été constituées à des fins pédagogiques.
Dans son dictionnaire inachevé des idées reçues, Gustave Flaubert donnait la définition suivante : « Hémicycle : Ne connaître que celui des Beaux-Arts ». Je peux vous dire que cela ne serait pas facile aujourd'hui car les lieux sont dans un tel état qu'il est désormais impossible d'y organiser les cours normalement, avec un système électrique devenu dangereux, un plafond d'amphithéâtre qui s'est récemment effondré, et des menaces de fermeture pour raison de sécurité.
Ce triste état des lieux intervient alors que la Cour des comptes a rendu public, le 3 février 2014, un référé très sévère à l'encontre de l'ENSBA portant sur les années 2001-2011. De nombreuses critiques y sont évoquées. Elles concernent le rayonnement international de l'école, les conditions de conservation des oeuvres, la politique éditoriale et d'expositions, et enfin la gestion administrative de l'établissement.
Malgré ce constat très alarmant, le ministère ne semble pas avoir considéré le cas de cet établissement comme une priorité. L'image de notre enseignement artistique dans le monde entier est en jeu, mais l'effort financier de l'état reste quasi identique, puisque la subvention n'augmente que de 300 000 euros pour atteindre 7,3 millions d'euros, après deux baisses successives en 2013 et 2014.
Au-delà de ce cas, qui me semble particulièrement important, c'est le pilotage de l'enseignement supérieur culturel qui semble faire défaut aujourd'hui. Permettez-moi d'évoquer la situation des écoles d'art, qui reflète cette carence de l'État. En effet, de nombreuses disparités existent entre :
- d'une part, les écoles nationales, désormais sous la double tutelle du ministère de la culture et celui du ministère en charge de l'enseignement supérieur et de la recherche ;
- d'autre part, les écoles territoriales, constituées en majorité sous forme d'établissements publics de coopération culturelle (EPCC), donc sous tutelle des collectivités territoriales, sous contrôle du ministère de la culture qui autorise à délivrer les diplômes nationaux.
Nous le savons depuis longtemps, les disparités entre ces deux types d'écoles constituent un handicap : les statuts des enseignants sont très différents et celui des enseignants des écoles territoriales ne prévoit pas de temps de recherche alors que les écoles sont tenues de structurer les activités de recherche afin de répondre aux recommandations du Haut conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (HCERES) et du Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER).
La marge de manoeuvre financière est également très différente entre les deux types d'écoles, les écoles nationales ne pouvant aujourd'hui rémunérer convenablement leurs professeurs. Ces derniers sont payés entre 1 500 et 3 000 euros en fin de carrière, alors que chez nos voisins européens les salaires sont de 6 000 euros. Comment, dans ces conditions, favoriser le rayonnement international de nos établissements d'enseignement supérieur ?
Ce qui me semble regrettable, c'est que le rapport que nous avions demandé au Gouvernement dans le cadre de l'article 85 de la loi du 22 juillet 2013 n'a pas été rendu. Notre collègue Corinne Bouchoux n'a d'ailleurs, à ma connaissance, pas eu de réponse à sa question écrite sur le sujet, alors que le délai prévu par la loi était fixé au 30 juin 2014.
Je dois reconnaître que le ministère n'a pas tiré les conséquences de la réforme de l'enseignement supérieur puisqu'il n'a pas modifié son organisation interne. En effet, le secrétariat général n'a qu'un rôle de coordination au sein du ministère, mais le pilotage est laissé aux directions générales. Comment, dans ces conditions, relever tous les défis de l'enseignement supérieur culturel ? Il ne suffit pas d'augmenter les crédits comme c'est le cas pour 2015, ainsi que je viens de vous le démontrer.
Vous le constatez, malgré des crédits globalement préservés, l'analyse du programme 224 me paraît extrêmement alarmante.
Compte tenu de ces observations, je vous propose un avis défavorable pour l'adoption des crédits de la mission « Culture ».