Intervention de Amiral Bernard Rogel

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 12 novembre 2014 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2015 — Audition de l'amiral bernard rogel chef d'état-major de la marine

Amiral Bernard Rogel, chef d'état-major de la marine :

C'est pour moi un honneur de pouvoir vous présenter aujourd'hui les perspectives de la marine dans le cadre du projet de loi de finances pour 2015. Je commencerai par faire un focus sur l'évolution du contexte mondial et sur ses conséquences pour les missions de la marine, avant d'aborder les points qu'il me semble nécessaire de retenir dans ce projet de loi.

Les conclusions du rapport d'information sur la maritimisation publié par votre commission en juillet 2012 restent parfaitement d'actualité : les tendances qui y étaient évoquées se confirment.

Tout d'abord, nos économies sont devenues totalement dépendantes des flux maritimes, qui explosent : 90 % du commerce mondial est transporté par bateau ; 95 % de nos télécommunications intercontinentales sont véhiculées par câbles sous-marins. En raison des faibles coûts de ce mode de transport, ces flux ont doublé en 20 ans, passant de 4,5 à 9 milliards de tonnes transportées. On les estime à 14 milliards de tonnes en 2020. On assiste à une course au gigantisme, avec des porte-conteneurs capables d'emporter 18 000 boîtes : c'est un chiffre considérable ! Cela implique des défis nouveaux de sécurisation de ces flux et de préservation de l'environnement. Les détroits et canaux - Malacca, Ormuz, Bab el Mandeb, Suez, Gibraltar, Panama - sont des passages obligés sur les routes maritimes, et constituent des points de vulnérabilité qui, bien qu'éloignés de nos côtes, n'en sont pas moins critiques. Enfin, la très grande liberté qui caractérise les espaces maritimes n'a pas échappé à ceux que j'appellerais les « voyous des mers » - pirates, trafiquants de stupéfiants, d'armes ou d'immigrés clandestins, etc. -, dont les connexions avec le terrorisme islamique sont parfois avérées, comme c'est le cas entre les pirates somaliens et les milices Shebab.

Par ailleurs, l'appauvrissement des ressources terrestres et l'évolution de la technologie font de la mer un nouvel eldorado, qui aiguise les appétits : hydrocarbures profonds, terres rares, ressources halieutiques, énergies marines renouvelables, biomasse sont autant de promesses pour ceux qui se donneront les moyens d'aller les chercher... Cet appétit pour les ressources marines se traduit par un mouvement de territorialisation des mers, où certains aimeraient pouvoir délimiter de nouvelles frontières. Il existe d'ailleurs un paradoxe entre ce mouvement de territorialisation et celui de l'explosion des flux maritimes. Je ne sais pas où s'établira le nouvel équilibre, mais je suis certain qu'il ne sera pas atteint sans frictions ; je suis certain également que la France sera un acteur de ce paradoxe. La France est détentrice de la deuxième zone économique exclusive (ZEE) au monde - 11 millions de kilomètres carrés ; c'est l'équivalent de la superficie de l'Europe. Cette situation implique, pour notre pays, des droits, mais également des devoirs en matière de surveillance, de préservation et de protection. C'est principalement outre-mer que se trouvent nos gisements énergétiques potentiels, dans des zones isolées, loin de nos ports bases.

Enfin, comme les marins sont bien placés pour le savoir, la mer reste une porte d'accès aux zones de crise. Par la liberté de circulation qu'elle concède, elle permet des positionnements dynamiques, permanents ou occasionnels, au plus près des zones de crise et proche de nos zones d'intérêt, ce qui procure à la France une capacité d'appréciation autonome des situations à terre et en mer et, à la fois, une très grande réactivité en cas de décision d'intervention.

Traditionnellement tournés vers la terre, nos compatriotes ont souvent du mal à entendre le fait maritime et à le prendre en compte. Ce n'est pas le cas des puissances émergentes, qui ont parfaitement vu les bénéfices qu'elles pouvaient tirer de la mer et qui, dans leur stratégie globale, ont toutes intégré un volet maritime. Nous assistons actuellement à une redistribution des puissances, qui met en scène la Chine, la Russie, l'Inde, mais aussi le Brésil, sans oublier bien sûr les États-Unis. Cette redistribution se manifeste par l'acquisition d'outils de puissance navale par ces acteurs : frégates, porte-avions, sous-marins nucléaires d'attaque ou lanceurs d'engins (SNLE). Ces outils leur permettent d'affirmer leur statut sur la scène internationale, d'asseoir leur souveraineté et de contribuer à sécuriser leurs approvisionnements. C'est ce que j'appelle souvent la « tectonique des puissances ».

La Chine, tout d'abord, a construit une frégate tous les trois mois au cours des quatre dernières années. Elle est en train d'acquérir la capacité de mettre en oeuvre des avions de chasse depuis un porte-avions - elle en aura, au final, quatre -, et s'apprête à effectuer sa première patrouille de SNLE. Elle déploie régulièrement des bâtiments jusqu'en Méditerranée, elle assure la permanence d'un groupe naval dans l'océan Indien, et y fait régulièrement patrouiller des sous-marins nucléaires ou classiques. En mer de Chine, elle revendique des espaces étendus et en exploite déjà les ressources. La Chine n'est plus un simple acteur régional : elle a acquis une dimension mondiale.

La Russie est un autre acteur incontournable. Elle modernise ses forces sous-marines, avec pour objectif la reprise de la permanence de SNLE à la mer. Elle vient de réaliser un nouveau tir réussi de missile balistique à partir d'un SNLE de dernière génération. Elle affirme sa présence en mer Noire, en Méditerranée et dans la Baltique, notamment lorsque nos moyens y sont déployés.

L'Inde et le Brésil poursuivent leurs efforts pour se doter d'une marine de premier rang.

Les États-Unis poursuivent leur stratégie dite « du pivot », qui consiste à redéployer leurs forces navales de la côte est vers la côte ouest, et à focaliser leur attention vers l'Asie et le Moyen-Orient. Dans son plan d'action pour les années 2015 à 2019, mon homologue américain a ainsi annoncé, récemment, son intention d'augmenter de 100 à 120 le nombre de bâtiments déployables simultanément.

L'Europe, pour sa part, n'a pas suffisamment pris la mesure de ces évolutions. La marine française est un îlot de verdure dans le désert européen !

Je ne vois donc pas de fléchissement de l'activité de la marine nationale dans les années à venir. Elle continuera à opérer en permanence, sur l'ensemble du globe.

Quelles sont ses missions ? J'ai l'habitude de les présenter sous la forme d'un « trépied ».

Le premier « pied » de ce trépied est constitué des opérations permanentes. Il comprend la dissuasion nucléaire, avec la permanence à la mer d'au moins un SNLE depuis plus de quarante ans, et avec le soutien de l'ensemble des moyens contribuant à la crédibilité et à la permanence de cette fonction stratégique (frégates anti-sous-marines, avions de patrouille maritime, chasseurs de mines, sous-marins nucléaires d'attaque...). J'inclus également, dans ce premier pied, les déploiements permanents dans nos zones d'intérêt : Méditerranée orientale, golfe de Guinée, golfe arabo-persique, océan Indien, Atlantique nord, au titre des fonctions « connaissance-anticipation » et « prévention ».

Dans le golfe de Guinée, la marine maintient en permanence un bâtiment pour la mission Corymbe. Initialement destinée à assurer le pré-positionnement d'une unité pour pouvoir intervenir en cas de crise et monter une mission d'évacuation, cette mission a évolué pour englober un volet « formation », qui vise à soutenir les efforts des États de la région pour renforcer la sécurité en mer, alors que la piraterie explose - de 60 attaques en 2010, on est passé à 159 en 2013. Ce soutien s'opère notamment à travers des formations et des entraînements que nous proposons à nos partenaires africains. Ce volet est cohérent avec la décision du sommet de Yaoundé.

Depuis trois ans, la marine conserve des moyens en Méditerranée orientale afin de renseigner nos autorités politiques sur la situation dans cette zone, à terre et en mer.

Enfin, dernier volet des opérations permanentes, les opérations de surveillance de nos approches maritimes, qui font appel à nos bâtiments, à nos aéronefs et à nos sémaphores. La marine veille en permanence !

Les opérations extérieures (OPEX) et les opérations de circonstance constituent le deuxième pied du « trépied » que j'évoquais. Les OPEX sont le quotidien de la marine depuis quinze ans : Balkans, Liban en 2006, Libye et Côte d'Ivoire en 2011, les opérations se sont enchaînées. Il s'agit actuellement des opérations Barkhane, au Sahel, Atalanta, et Chammal, en Irak, avec l'engagement d'un avion Atlantique 2 et de la frégate Jean Bart. Le Jean Bart est actuellement intégré au groupe aéronaval américain USS Carl Vinson, au profit duquel il assure la maîtrise de l'espace aérien.

Pour vous parler d'une opération de circonstance, fin juillet, le gouvernement a décidé de fermer notre ambassade à Tripoli pour une durée indéterminée en raison de l'insécurité croissante liée à l'intensification des combats. Les frégates Montcalm et Courbet, avec l'appui de commandos marine et le soutien d'un drone américain, ont assuré l'évacuation de la quarantaine de ressortissants français et de sept citoyens britanniques qui s'y trouvaient encore. Cette opération a été préparée et conduite dans des délais extrêmement brefs, c'est-à-dire en moins de vingt-quatre heures, ce qui montre une fois encore la très grande réactivité de notre marine (le dispositif d'alerte prévu par le Livre blanc prévoit un délai de sept jours). Cette opération n'a pas émargé au budget « OPEX », le théâtre libyen n'étant plus ouvert au sens administratif du terme.

En mer Noire, la marine déploie depuis mi-août un bâtiment dans le cadre des opérations de connaissance et d'anticipation. La convention de Montreux ne nous autorise pas à y rester plus de vingy-et-un jours consécutifs, ce qui nous a contraints à des relèves fréquentes.

Le dernier pied du « trépied » est constitué de la contribution de la marine aux opérations de protection et de sécurité dans le cadre de l'action de l'État en mer, ce qui se traduit par des missions de surveillance et d'intervention dans nos espaces de souveraineté.

Il y a deux semaines, la frégate Germinal, basée aux Antilles, a intercepté en haute mer, à quelques jours d'intervalle, 600 kg de cocaïne à bord d'une embarcation de type « go-fast », puis 400 kg de cannabis à bord d'un navire de pêche. Elle s'est appuyée pour cela sur son hélicoptère embarquant des tireurs d'élite et sur son embarcation très rapide pour commandos marine. Cela porte à un peu moins de 40 tonnes la quantité de stupéfiants saisis en mer par la marine au cours des trois dernières années.

Dans le domaine de l'immigration clandestine par voie de mer, les chiffres explosent. La marine participe aux opérations de l'agence Frontex en Méditerranée. Elle opère également à Mayotte où, depuis le début de l'année, plus de 2 000 migrants ont été interceptés. Ces interceptions s'apparentent davantage à une opération de sauvetage en mer qu'à une opération de police : l'un des modes opératoires des passeurs est en effet de couler leur embarcation à l'approche d'un bâtiment militaire.

La neutralisation d'engins explosifs fait également partie des missions de la marine. Au cours des huit premiers mois de l'année, environ 2 200 engins explosifs ont été neutralisés. C'est déjà 10 % de plus que les précédentes moyennes annuelles. On estime que 60 % des engins jetés au fond de l'eau au cours de ces conflits y sont toujours. L'implantation de champs d'éolienne en mer ou encore les travaux d'extensions du port de Cherbourg sont eux aussi nécessairement précédés d'opérations de « dépollution » des sites pour écarter tout risque lié à la présence d'engins explosifs.

En matière de police des pêches, près de 600 procès-verbaux ont été dressés depuis le début de l'année, et 35 navires de pêche en infraction ont été déroutés : nos espaces océaniques poissonneux suscitent la convoitise. C'est particulièrement le cas en Guyane et dans le canal du Mozambique.

En matière de secours, une personne est sauvée en mer chaque jour. La semaine dernière, le départ de la route du Rhum, perturbé par les mauvaises conditions météo, a malheureusement dû faire l'objet de plusieurs opérations de ce type.

Enfin, la marine agit dans le cadre de la protection de l'environnement : détection des pollutions, surveillance des aires marines protégées, etc.

À l'heure où je vous parle, 4 500 marins sont en mer, 35 bâtiments naviguent et 1 700 autres marins assurent une alerte ou une permanence.

Je voudrais porter quatre observations sur les opérations de la marine.

Premièrement, la marine est actuellement en dépassement de son contrat opérationnel. Le Livre blanc de 2013 ne prévoyait en effet que deux zones de déploiement permanent. Nous en sommes actuellement à quatre, voire cinq si l'on dissocie l'océan Indien du golfe arabo-persique. Étant donné le cours des événements, je n'entrevois pas de diminution de ce niveau de sollicitation. Le Livre blanc avait appelé à la mutualisation - c'est-à-dire à remplacer le « et » par le « ou » - mais, compte tenu du nombre de missions, cela devient très compliqué !

Deuxièmement, à travers ses missions permanentes, la marine contribue largement à la fonction « connaissance-anticipation ». Elle vient utilement compléter d'autres moyens, comme l'imagerie satellite. Elle permet ainsi à nos décideurs politiques de disposer d'une pleine capacité autonome d'appréciation. Sa présence dans ces zones d'intérêt lui permet de surcroît de pouvoir intervenir avec un très haut degré de réactivité en cas de crise.

Troisièmement, en matière de coopération, le porte-avions Charles de Gaulle a été déployé dans le golfe arabo-persique début 2014 dans le cadre de la mission opérationnelle « Bois Belleau ». Cette opération a permis une pleine intégration du groupe aéronaval (GAN) avec le groupe du porte-avions USS Harry Truman, signe d'une très grande confiance mutuelle. Cette mission a permis de renforcer notre interopérabilité à un point jamais atteint jusqu'alors, et d'approfondir nos échanges en matière de recueil et du partage du renseignement.

Quatrièmement, la presse se fait l'écho de certaines interrogations sur la pertinence du porte-avions. Je voudrais simplement rappeler trois points :

- d'une part, le porte-avions est un outil de puissance autonome, qui s'affranchit des contraintes diplomatiques, comme le respect des frontières, et il dispose d'une très grande liberté d'action lorsqu'il s'agit d'accéder aux zones de crise. C'est par ailleurs un outil d'« entrée en premier » ;

- d'autre part, il constitue un outil de crédibilisation de l'ensemble des moyens de la marine, jusques et y compris les patrouilleurs de surveillance de notre espace de souveraineté maritime. C'est parce que nous disposons de toute la palette des moyens maritimes que la surveillance de nos ZEE par des moyens légers prend toute sa valeur ;

- enfin, toutes les grandes nations qui disposent d'une armée de l'air conséquente, notamment celles des pays membres du Conseil de sécurité, se dotent de porte-avions. J'en veux pour preuve le choix qui a été fait par les États-Unis, qui se sont à la fois dotés d'une armée de l'air puissante et de onze porte-avions. À terme, la Chine en possèdera quatre et la Grande Bretagne deux ; l'Inde envisage d'en acquérir trois. La permanence suppose d'avoir au moins deux porte-avions...

Je voudrais maintenant en venir au projet de loi de finances (PLF) pour 2015, deuxième annuité de la loi de programmation militaire (LPM) pour 2014-2019. Pour la marine, l'année 2015 est importante en ce qu'elle prépare la remontée de l'activité à partir de 2016, comme cela est prévu par la LPM.

Ce PLF est conforme à la LPM et au Livre blanc. Il importe qu'il soit totalement respecté. Les équilibres qui permettent de répondre au contrat opérationnel - notre finalité - restent en effet fragiles.

L'activité recouvre trois domaines d'opérations stratégiques, au sens budgétaire du terme : l'entretien programmé du matériel, ou maintien en condition opérationnelle (MCO) ; les frais de fonctionnement au sens large (alimentation, carburant, frais liés à l'entraînement, frais de déplacement, etc.) ; et les équipements d'accompagnement, par exemple les remorqueurs de port.

Le niveau des crédits de fonctionnement pour 2015 est sensiblement le même qu'en 2014, c'est-à-dire un niveau de « juste suffisance », qui contraindra la marine à opérer des choix dans certaines de ses activités, en particulier l'annulation de sa participation à des exercices multinationaux.

Celui des crédits des équipements d'accompagnement est de nouveau en baisse, d'environ 6 %. Cette réduction a par exemple un impact sur les approvisionnements en munitions. Elle appellera des transferts entre lignes budgétaires au sein du budget opérationnel de programme (BOP) de la marine.

Je voudrais surtout aborder les crédits d'entretien programmé du matériel. Le nombre de jours de mer de nos bateaux, ou le nombre d'heures de vol de nos avions, dépend directement de la capacité de la marine à régénérer le potentiel de ces unités. Cette régénération s'opère principalement lors des visites programmées et des arrêts techniques. En 2014, le montant des crédits d'entretien programmé a contraint la marine à étaler les périodes d'entretien. L'activité s'est établie au même niveau qu'en 2013, c'est-à-dire 15 % en-deçà des normes de l'OTAN. Il en ira de même en 2015. La LPM prévoit une remontée de l'activité à partir de 2016. Cette remontée est attendue. La tenue du contrat opérationnel et le maintien des compétences des équipages sont en jeu.

En effet, en matière de missions, la marine est actuellement contrainte de faire des choix en conduite. Ainsi, l'Atlantique 2 déployé pour soutenir l'opération Barkhane a été remplacé par un moyen moins performant, afin de pouvoir être déployé au-dessus de l'Irak. De la même manière, la France a suspendu sa participation à Atalanta, afin de pouvoir concentrer ses efforts sur le golfe arabo-persique. Comme je vous le disais un peu plus tôt, si la situation actuelle de quatre théâtres, au lieu de « un à deux » prévus par le Livre blanc, devait durer, la marine dans son format présent serait contrainte de faire d'autres arbitrages douloureux, avec les risques que cela comporte.

Dans le domaine de la préparation opérationnelle, l'entretien du socle de savoir-faire des équipages est maintenu, mais a minima. Je reste particulièrement vigilant sur l'entraînement supérieur, gage de notre efficacité opérationnelle. Dans ce domaine, la remontée de l'activité à partir de 2016 est tout à fait fondamentale.

Cette remontée dépend des engagements financiers que nous réaliserons dès 2015 dans le domaine du MCO : 2015 verra en effet la renégociation de contrats pluriannuels d'entretien, comme les contrats d'entretien du porte-avions, des frégates fortement armées, ou encore des sous-marins nucléaires d'attaque. Le cycle du MCO s'inscrit dans la durée et les effets des engagements actuels ne se feront ressentir que dans un à deux ans. La marine a par ailleurs fourni un effort conséquent pour rationaliser ses organisations dans le domaine du MCO. Toutes les voies d'optimisation ont été explorées. C'est maintenant du côté des industriels qu'il faut se tourner pour gagner des marges de productivité.

Dans le domaine des équipements, la marine poursuit sa modernisation, avec l'arrivée dans les forces d'équipements majeurs qui seront livrés en 2015 : la frégate multi-missions (FREMM) Provence, troisième de la série (la quatrième, le Languedoc, est déjà sur l'eau à Lorient) ; quatre hélicoptères Caïman ; quatre Rafale au dernier standard ; quatre avions de surveillance maritime Falcon 50 au standard marine ; le premier lot de missiles de croisière navals. Dans le même temps, les commandes seront passées, je l'espère, pour deux bâtiments de soutien et d'assistance hauturiers (BSAH), destinés à remplacer progressivement des bâtiments dont certains ont atteint les quarante ans de service, pour la modernisation de onze Atlantique 2 et pour la remise à niveau d'une partie des systèmes de télécommunications de la flotte.

Parallèlement à ces livraisons, cinq unités de surface seront retirées du service actif. C'est le cas du transport de chalands de débarquement Siroco, du pétrolier ravitailleur Meuse, du patrouilleur Albatros basé à la Réunion, ainsi que des deux patrouilleurs de surveillance de site Athos et Aramis, qui seront versés à la gendarmerie maritime. Douze avions et hélicoptères seront également retirés du service actif : Super Etendard, Lynx et Alouette III, qui bat tous les records de longévité.

Dans le cadre de la LPM, la marine a accepté des réductions temporaires de capacités et le vieillissement de certaines de ses unités. Je me montrerai très vigilant sur le respect du calendrier de livraison des équipements, sous peine d'aggraver ces réductions temporaires de capacités.

Enfin, l'arrivée dans les forces de bâtiments de nouvelle génération implique une adaptation des infrastructures portuaires. L'alimentation électrique, qui date du plan Marshall, le dimensionnement des quais ou encore les infrastructures dédiées à l'entretien étaient adaptées à l'ancienne génération d'unités ; elles ne le sont plus pour la nouvelle. Leur mise à niveau dans les temps est donc indissociable des admissions au service actif si l'on veut pouvoir tenir le contrat opérationnel.

S'agissant de la masse salariale, à compter du 1er janvier prochain, l'ensemble des crédits de titre 2 de la marine sera confié au secrétariat général pour l'administration (SGA). En dépit des difficultés rencontrées avec le logiciel Louvois, la marine s'est montrée particulièrement vertueuse en maîtrisant et en équilibrant trois ans de suite sa masse salariale. La Cour des comptes en a attesté. La marine l'a fait au prix de mesures courageuses et acceptées, comme la « sincérisation » des primes. Au moment du transfert, je serai vigilant à ce qu'il soit tenu compte des efforts accomplis : des ajustements supplémentaires défavorables à la marine ne seraient pas compris.

L'année 2015 verra également une nouvelle réduction des effectifs. L'annonce en a été faite par le ministre de la défense, le 15 octobre dernier. La marine a opéré depuis longtemps sa mutation territoriale, en resserrant son dispositif sur deux emprises principales, Brest et Toulon, où sont stationnés 75 % de ses marins, conservant pour le reste une emprise à Lorient et une à Cherbourg. Elle a fortement resserré et optimisé ses organisations. Elle a identifié 1 800 déflations sur la période 2014-2019 qui résultent de trois facteurs principaux : la contraction supplémentaire de son organisation ; la réduction du format de la marine acté par le Livre blanc ; et la diminution de format des équipages. Là où une frégate de lutte anti-sous-marine d'ancienne génération nécessitait 250 marins pour fonctionner, il n'en faudra qu'un peu plus de 100 sur une FREMM.

C'est le plan de transformation de la marine. Pourtant, en 2015, l'effort demandé à la marine est le double de celui prévu par ce plan. Cet effort supplémentaire a impliqué le désarmement définitif du pétrolier ravitailleur Meuse et des échenillages qui fragilisent notre organisation.

C'est donc le maintien des compétences individuelles et collectives des marins et des équipages qui est en jeu, avec un impact possible sur la tenue du contrat opérationnel, mais également - et j'y suis tout particulièrement attentif - sur la maîtrise des risques inhérents à notre activité, notamment dans l'exploitation nucléaire (le nombre de réacteurs nucléaires en service dans la marine n'a pas changé), ou encore sur l'appui que la marine se doit d'apporter à l'exportation d'équipements militaires.

Pour les officiers, alors que la marine présente aujourd'hui le ratio le plus faible en officiers des trois armées, et dans un contexte où ses futurs équipages resserrés requerront des taux d'encadrement plus élevés, je suis, au moins autant que les autres armées, très préoccupé par le rythme et le volume qui nous sont demandés en termes de déflation. Cet effort ne sera pas sans impact sur l'organisation de la marine pourtant déjà très optimisée.

Pour absorber les déflations d'officiers, j'ai réduit le recrutement officiers de 25 % en deux ans. J'estime avoir atteint un plancher en deçà duquel je ne peux descendre sans hypothéquer l'avenir. La réalisation des déflations d'officiers dépend donc des dispositifs d'incitation au départ, lesquels intéressent un vivier d'officiers qui se restreint chaque année.

En matière de ressources humaines, la marine est sur un chemin critique. Il lui faut à la fois entretenir ses compétences rares, absorber des déflations supplémentaires dans une organisation resserrée sur deux ports, réaliser une déflation d'officiers problématique en organisation comme en gestion. C'est aujourd'hui une de mes principales préoccupations, pour ne pas dire inquiétude.

En conclusion, pour la marine, le projet de loi de finances pour 2015 est conforme à la LPM. Il permettra notamment d'opérer une remontée de l'activité à partir de 2016, que je considère comme essentielle au maintien du contrat opérationnel. J'appelle donc de tous mes voeux son application stricte.

Je voudrais clore cette allocution en disant un mot sur nos marins, hommes et femmes qui oeuvrent au quotidien pour le succès des opérations de la marine. Ils font ce métier avec enthousiasme et ténacité. Je suis fier de les commander, et attentif à leur moral, qui est un facteur de combativité. Je puis vous affirmer qu'un marin qui navigue est un marin heureux. Il me semble donc tout à fait important de pouvoir leur donner les moyens de conduire leurs missions.

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