Ce sujet soulève toujours beaucoup d'intérêt et de passion, compte tenu de sa charge symbolique et émotionnelle. Il s'agit d'enjeux de patrimoine, de réputation et historiques. C'est un sujet compliqué.
La peur n'évite pas le danger. La position française a longtemps été de laisser passer l'orage. Jusque dans les années 1980, en France, il existait un paratonnerre, à savoir Rose Valland. Dès lors qu'une difficulté se posait, elle tentait de trouver une solution.
Cela fonctionnait ainsi avant la chute du mur de Berlin et l'émergence d'Internet. Aujourd'hui la position est plus inconfortable. Le sujet est tendu. A l'heure où les autres pays évoquent le concept de « musée propre » et qu'émerge un marché privé de la traçabilité des oeuvres, et compte tenu de leur valeur croissante, la somme des périls fait que la posture française, historiquement prudente et pragmatique, me semble présenter plus d'inconvénients que d'avantages. Nos musées doivent faire preuve de pro activité et de bonne volonté, non pas pour l'ensemble des collections mais pour une partie des musées nationaux récupération (MNR) et des tableaux ayant un passé douteux, afin de montrer qu'il n'existe pas d'exception française en ce domaine.
La deuxième intervention l'a rappelé, le sujet c'est l'imprescriptibilité. Cette spécificité fait que le problème ne peut avoir de solution, sauf si une intervention du législateur permettait de trouver une issue à ce dossier, comme cela a été le cas en Autriche. Il existe plusieurs solutions mais l'imprescriptibilité ne pourra pas être supprimée.
Un seul décret a été pris concernant ce sujet, en 1949. Je pense qu'il est possible d'avancer sur le plan réglementaire.
Enfin, nos oeuvres circulent. La France ne peut pas ne rien faire en la matière, sinon des difficultés se poseront en termes d'organisation d'expositions en France et à l'étranger. L'ensemble du marché de l'art peut être contaminé par cette ère de soupçon. Je propose l'ambition d'un minimum assumé avec les moyens dont on dispose.
Si ma communication n'a abordé que les tableaux, le problème se pose également pour les statues, les timbres-poste - 5 000 collections précieuses pillées sont parties de France -, le mobilier... Ma démarche se voulait pragmatique. Je n'ai pas évoqué les livres : 250 000 seraient restés orphelins au lendemain de la Libération. Ils n'ont pas disparu mais ont été municipalisés ou versés à la Bibliothèque nationale.
Le sujet des spoliations constitue un iceberg. Ce matin, je n'ai abordé qu'un morceau de cet iceberg.
Les trois quarts des musées américains ont un statut privé et ont été créés après 1945. Les Américains ont majoritairement achetés des oeuvres d'art entre 1945 et 1955, principalement en France. S'ils ont été les premiers à proposer les principes de Washington et ont tenu à ce qu'ils ne figurent pas dans les accords diplomatiques, c'est que la sécurisation des musées privés américains est au coeur de la problématique. Ils ont ainsi lancé, depuis 1995, une procédure pour clarifier la provenance de toutes les oeuvres. L'industrie culturelle est en jeu.
Georges Clooney a racheté les droits d'un film qui est l'adaptation d'un livre de Robert M. Edsel, un texan milliardaire qui se passionne depuis quinze années pour le sujet. C'est la plus grosse production hollywoodienne qui se tourne sur ce thème pour relater non pas les restitutions mais la façon dont les soldats américains ont sauvé toutes ces oeuvres.
Rose Valland avait signalé aux résistants français la localisation des oeuvres d'art cachées. 99 % d'entre elles ont pu être sauvées, car les bâtiments n'ont pas été bombardés et les convois arrêtés avant d'arriver à destination. Une efficacité redoutable a été mise en oeuvre pour sauver ces oeuvres avec des moyens supérieurs à ceux mis en place pour la libération des camps.
Le film a pour objectif de montrer qu'il ne s'agissait que de trois brigades de jeunes garçons qui, lors de leur retour aux États-Unis, sont devenus les directeurs de grands musées américains.
Les Américains ont eu le privilège de pouvoir acheter des oeuvres au moment où nous avions d'autres préoccupations, telle la reconstruction. C'est une composante de l'industrie culturelle. Les Américains vont sauver leur réputation grâce au cinéma.