La question des ressources propres est la plus importante : la semaine dernière, j'étais au Comité des représentants permanents pour un débat d'orientation politique, sur cet aspect de la proposition de la Commission. Ceux parmi mes collaborateurs qui avaient connu les précédentes batailles ont trouvé que la discussion s'était mieux passée qu'en 2003 lorsque la Commission avait proposé de mettre en place de nouvelles ressources propres : à l'époque, le projet avait été enterré en vingt minutes par le Conseil des Ministres. Cette fois-ci, il n'y a pas eu de rejet unanime et il y a même eu des ouvertures, mais nous sommes encore bien loin du compte. Ce qui m'a frappé, c'est le manque total de vision de la part de certains intervenants qui voulaient tous se débarrasser de l'actuelle ressource TVA mais pour en revenir à la contribution sur le RNB, c'est-à-dire une contribution classique pour une organisation de type intergouvernemental. Cela démontre une absence totale d'ambition pour l'Union. J'ai été très choqué et je le leur ai dit. C'était la première fois depuis la décision sur les ressources propres de 1970 que la Commission proposait un paquet aussi bien structuré. Va-t-il passer ? Nous en sommes loin, mais un certain nombre d'Etats membres sont disposés à discuter de la TTF, ce qui ne signifie nullement qu'ils sont tous disposés à en faire une ressource propre, du moins dans un premier temps.
Sur la TVA, les positions sont partagées. Nous avons bien dit qu'il ne s'agissait pas d'ajouter un point de TVA mais de prélever, au sein de la TVA de chaque pays, un point pour financer le budget européen. En outre, la Commission va prochainement proposer de moderniser le système de la TVA, afin de lutter contre la fraude. Il est question de plusieurs dizaines de milliards d'euros, voire même 180 milliards, qui pourraient revenir dans les caisses des Etats européens.
En ce qui concerne la TTF, la Suède a eu une expérience malheureuse, ayant fixé un taux beaucoup trop élevé. Nous proposons un taux très faible avec une assiette très large : 0,01% pour les produits dérivés et 0,1% pour les autres opérations, ce qui ne devrait pas avoir d'effets majeurs sur la délocalisation des activités. Certains prennent le prétexte d'une petite phrase dans les études d'impact de la Commission pour prétendre que cette taxe réduirait le nombre de transactions. Certes, mais dans un domaine très particulier, le high speed trading qui génère des profits substantiels pour certains opérateurs, mais dont l'existence est inutile pour le financement de l'économie et qui est une véritable plaie pour le système financier. A ma connaissance, tout le monde veut s'en débarrasser, à commencer par les autorités du New York stock exchange.
Nos amis britanniques y voient une attaque contre la place de Londres ce qui n'est pas l'intention de la Commission : les crédits que les Etats ont mis à la disposition du système financier au moment de la crise de 2008 ont été considérables et la contribution de ce système au financement des dépenses publiques est faible, d'autant qu'il ne paye pas la TVA. Il est donc équitable que le système financier contribue au fonctionnement des Etats grâce à cette TTF. Si nous pouvions avoir une décision au niveau international, notre tâche en serait facilitée, mais si personne ne commence, la TTF ne verra jamais le jour. Continuons à agir, comme l'a fait le gouvernement français lors du sommet du G20, pour obtenir la création de cette taxe. La question de l'affectation nous renvoie à la vision politique de l'Europe : voulons-nous la doter de ressources propres, mettre le budget européen à l'abri de fluctuations économiques et politiques nationales ? Aujourd'hui, chaque Etat en difficulté veut réduire sa contribution. Est-ce une bonne chose ?
Si cette TTF n'est pas mise en oeuvre, quelles pourraient être les autres ressources propres ? La Commission a examiné diverses possibilités, notamment une taxe sur l'énergie mais elle pénaliserait les nouveaux Etats membres beaucoup plus énergivores. Une taxe sur l'aviation civile aurait pu rapporter entre 10 et 15 milliards, mais elle n'a pas été retenue. Elle aurait posé moins de problème que la contribution de l'aviation civile au système d'emissions trading. Nous avons repoussé la taxe sur la base d'imposition commune pour les entreprises qui est à l'heure actuelle irréaliste.
Les EU project bonds proposés dans les documents de la Commission sur le cadre financier sont des émissions d'obligation effectuées par des opérateurs auxquels nous apportons des garanties ou au capital desquels nous participons pour renforcer leurs structures financières. Il ne s'agit donc pas pour l'Union ou pour le budget européen de s'endetter mais d'apporter des garanties pour permettre le montage d'opérations financières. Sur les eurobonds, nous sommes dans un domaine totalement différent puisqu'il s'agit de savoir si l'on peut financer les Etats grâce l'émission de ces bonds. La Commission a présenté cette semaine un livre vert sur les stability bonds - la même chose -qui analyse la possibilité d'émettre de telles obligations au regard de l'article 125 du Traité qui interdit des soutiens mutuels. L'approche la plus ambitieuse implique des modifications du Traité et donc des délais importants de plusieurs mois, voire plus. Nous ne sommes donc pas tout à fait dans le même calendrier que les marchés. En outre, Mme Merkel a rejeté ces propositions assez brutalement.
Le président de la commission des budgets du Parlement européen, M. Lamassoure, a parfaitement raison : l'Europe dispose d'une valeur ajoutée qui permet de faire des économies au niveau national et d'en tirer bénéfice au niveau européen. Malheureusement aujourd'hui, les Etats membres ne sont pas ouverts à ces idées. Il faudra bien, un jour ou l'autre, que nous avancions et que nous acceptions un partage des tâches plus efficaces entre les Etats et l'Europe.
Une anecdote à ce propos : lorsque j'étais négociateur commercial à l'OMC, j'ai toujours été étonné de voir qu'alors même que l'Union européenne négociait pour le compte de ses Etats membres, nous étions suivis à chaque réunion par une cohorte de fonctionnaires nationaux. C'était totalement inutile : pourquoi ne pas faire confiance au négociateur qui avait un mandat de négociation très clair, qui devait rendre des comptes et qui, s'il ratait sa négociation, recevait un accueil des plus négatifs lorsqu'il revenait devant le Conseil des ministres pour proposer la signature d'un accord ? Pour avoir négocié un certain nombre d'accords internationaux, je puis vous assurer que la nécessité de faire accepter l'accord par les Etats en Conseil des ministres était notre obsession. Dans bien des domaines, beaucoup plus importants, nous pourrions donc faire des économies.
Sur la question de la notation AAA, il faut d'abord savoir que le budget européen ne peut pas être en déséquilibre. Il n'y a donc pas de dettes. Cela dit, le décalage croissant entre les crédits d'engagement et les crédits de paiement et l'augmentation du reste à liquider peut inquiéter. En ces temps budgétaires difficiles, c'est un défi pour la Commission comme pour les directions des budgets des Etats membres.
En application des décisions du Conseil, nous intervenons sur les marchés pour emprunter de l'argent que nous prêtons à notre tour. Nous l'avons fait pour la Hongrie il y a trois ans et aujourd'hui même, le compte de la Commission auprès de la BCE a été crédité de plus de deux milliards, soit le montant que ce pays devait mettre à notre disposition puisque l'emprunt était arrivé à échéance et que nous devions, nous même, rembourser les opérateurs sur les marchés. L'opération s'est bien passée même si nous étions très attentifs compte tenu de la situation difficile du pays. Dans ces cas là, nous sommes de simples intermédiaires pour faire bénéficier nos Etats membres plus faibles du AAA. C'est ce que nous faisons pour les soutiens de balance des paiements pour les pays non membres de la zone euro, pour le FESF avec les 60 milliards communautaires et pour des opérations de la Banque européenne d'investissement. Si nous avons ce triple A, c'est parce que les Etats membres donnent une garantie illimitée de fournir des fonds pour payer les opérateurs sur le marché au cas où un Etat, auquel nous aurions prêté de l'argent, ferait défaut. Nous aussi, nous sommes donc sous la surveillance permanente des agences de notations.
Vous m'avez interrogé aussi sur les fonds de cohésion : 40 milliards sont inscrits à la rubrique croissance soutenable et 10 figurent dans les fonds de cohésion pour les nouveaux Etats membres et qui seront gérés directement par la Commission, ce que ces Etats acceptent d'ailleurs mal car ils voudraient gérer eux-mêmes ces crédits. Mais nous souhaitons une assurance que ces fonds seront utilisés dans les projets qui intéressent l'Europe, à savoir les maillons faibles comme les grands liens autoroutiers, ferroviaires ou énergétiques dont l'Europe a besoin pour achever ses grilles.
Avec les programmes de coopération transfrontalière, nous avons renforcé la cohésion territoriale et les dispositions du traité de Lisbonne sont mieux mises en oeuvre. Le nouveau cadre financier pluriannuel apporte plus de moyens pour ces programmes.
J'en viens aux sanctions. Nous cherchons à ce que nos politiques soient au service de nos objectifs, notamment l'objectif 2020. Nous allons donc instaurer une conditionnalité ex ante : lorsque nous négocierons avec les Etats les programmes nationaux pour la mise en oeuvre du cadre stratégique, nous leur demanderons de nous assurer qu'ils disposent des outils nécessaires pour la mise en place et l'accompagnement de ces programmes Nous vérifierons que les objectifs ont été atteints, sinon les paiements seront suspendus. Enfin, la macro-conditionnalité, proposée par la Commission, sera un dispositif très progressif lié à la mise en oeuvre de notre nouvelle politique en matière budgétaire. Il s'agira d'accompagner les décisions du Conseil par des actions concrètes concernant la mise à disposition de fonds. Ainsi, dans le cadre d'un programme d'ajustement, nous examinerons si les programmes financés au titre des fonds auront été amendés pour tenir compte des recommandations du Conseil ou non.