Intervention de Jean-Philippe Vachia

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 14 janvier 2015 : 1ère réunion
Protection judiciaire de la jeunesse — Audition pour suite à donner à l'enquête de la cour des comptes

Jean-Philippe Vachia, président de quatrième chambre de la Cour des comptes :

Ce travail de la Cour des comptes répond à la saisine de la commission des finances en application de l'article 58-2 de la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001. Il prolonge plusieurs interventions de la Cour des comptes sur la même thématique - un rapport public thématique consacré à la protection judiciaire de la jeunesse en 2003 et un rapport public thématique consacré à la protection de l'enfance en 2009 - ce qui a permis de constater les indéniables progrès réalisés par la direction de la PJJ.

Le périmètre a été défini sur la base d'un échange fructueux avec le rapporteur de la mission « Justice » de votre précédente mandature, le sénateur Edmond Hervé. Ce périmètre a été centré sur l'évolution des missions et de l'organisation de la PJJ - en particulier à la suite de l'importante réforme qu'a connue la PJJ dans le cadre de la révision générale des politiques publiques - sur l'examen des actions de coordination qu'elle conduit avec les juges et avec les conseils généraux, ainsi que sur les modalités de mise en oeuvre des différentes mesures éducatives par les services de la PJJ.

Trois messages principaux ponctuent notre communication à votre commission des finances. Le premier porte sur les missions de la PJJ et leur évolution ces dernières années, notamment du fait de la RGPP, le deuxième sur le contenu et les effets de la réorganisation engagée depuis 2007 et le troisième sur la prise en charge des mineurs.

S'agissant des missions de la PJJ et de leur évolution, il faut rappeler que la PJJ est à la fois régulateur et opérateur de la politique publique relative à la justice des mineurs. Comme opérateur, elle prend en charge les mesures qui lui sont confiées par le juge ; elle exerce une compétence exclusive pour les mesures d'investigation, destinées à préparer la décision du juge, ainsi que pour les mesures pénales. Elle exerce parallèlement une compétence partagée avec les départements pour la protection judiciaire civile.

Deux constats principaux sont faits par la Cour des comptes à ce propos.

Premièrement, s'agissant de sa compétence opérationnelle, la PJJ s'est recentrée, progressivement dans les années 2003-2007, puis systématiquement à partir de la RGPP, sur la prise en charge des mineurs délinquants, pour laquelle l'État est seul compétent. Elle s'est concomitamment retirée de la prise en charge de la protection judiciaire civile, compétence décentralisée dès 1983 aux conseils généraux, dont le rôle a été réaffirmé par la loi du 5 mars 2007 sur la protection de l'enfance.

Ce recentrage apparaît cohérent dans la mesure où, d'une part, il permet de spécialiser la PJJ sur son « coeur de métier », en forte augmentation alors que les prises en charge civiles ont plutôt tendance à diminuer, et d'autre part, il met fin à des transferts de charge mal contrôlés et inéquitables sur le territoire. Cette évolution, qui semble favorable devrait, selon nous, être désormais entérinée par une évolution des textes supprimant la compétence civile pour les établissements et services de la PJJ, hors investigation.

Deuxièmement, s'agissant de la compétence de coordination, il est apparu à la Cour des comptes que la PJJ, même si elle a été confortée dans ce rôle par le décret du 9 juillet 2008, qui la charge explicitement de la responsabilité de l'ensemble des questions intéressant la justice des mineurs, ne l'exerce qu'imparfaitement et de façon inégale sur le territoire, tant vis-à-vis des juges, avec lesquels il est difficile de bâtir une politique concertée de justice des mineurs, que vis-à-vis des départements, avec lesquels il est également difficile d'évaluer conjointement les besoins et de planifier l'évolution de l'offre nécessaire.

Au fond, le constat est qu'il n'existe pas, au niveau des ressorts de cour d'appel et des tribunaux des enfants, de politique concertée de justice des mineurs qui aille au-delà d'une simple régulation des capacités disponibles. Il conviendrait de lui donner une dimension obligatoire en prévoyant la tenue de réunions de concertation régulières dans le ressort des cours d'appel.

Vis-à-vis des départements, il est apparu que la PJJ reste très inégalement associée à l'élaboration des schémas départementaux de protection de l'enfance, ce qui ne la met pas véritablement en position de coordonner quoi que ce soit. D'autant qu'elle mobilise mal les leviers, pourtant réglementaires, dont elle dispose en matière d'autorisation et d'habilitation des établissements et services associatifs accueillant des mineurs sous main de justice (les départements ne sont que très exceptionnellement gestionnaires en régie d'établissement d'aide sociale à l'enfance, et recourent à des associations qui doivent être autorisées conjointement par le président du conseil général et le préfet et également habilitées par l'État). Une simplification de la double procédure d'autorisation et d'habilitation, en les unifiant et en les harmonisant avec les procédures applicables aux conseils généraux, renforcerait la crédibilité et le positionnement de la PJJ vis-à-vis des départements comme des acteurs associatifs, et la mettrait mieux en mesure de jouer son rôle de coordination.

La deuxième partie du rapport examine le contenu et les effets de la réorganisation engagée depuis 2007. Cette réorganisation a touché à la fois le secteur public et le secteur associatif.

Pour le secteur public, la rationalisation des services déconcentrés et le retrait des prises en charges civiles a permis une diminution de 512 équivalents temps plein travaillé (ETPT) entre 2008 et 2012.

Une partie des effectifs a été redéployée vers la nouvelle fonction d'audit. Il nous semble que celle-ci pourrait faire l'objet d'améliorations, notamment en séparant l'audit des fonctions opérationnelles et en élargissant son périmètre d'action.

Les établissements et services ont été restructurés, en concentrant les moyens humains et immobiliers, afin de maîtriser les coûts : 125 services de milieu ouvert et 109 structures d'hébergement ont fermé ou fusionné avec d'autres. Ces restructurations ont accompagné le recentrage sur l'activité pénale qui a augmenté de 27 % entre 2007 et 2012 dans le secteur public.

Pour le secteur associatif, la réforme s'est traduite par une diminution drastique des financements accordés au titre de l'activité civile.

Dans ce contexte, les mécanismes de tarification, qui reposent sur une analyse budgétaire de chaque structure associative, apparaissent inutilement complexes et peu efficaces. C'est pourquoi la Cour des comptes recommande d'instaurer une grille tarifaire opposable.

En dépit de la similitude des missions, et même une fois réformés, les deux secteurs ne peuvent être aisément comparés. S'agissant de l'hébergement, les taux d'occupation sont systématiquement plus faibles dans le secteur public et les tarifs plus élevés, ce que la PJJ ne parvient pas encore à expliquer de manière convaincante. S'agissant du milieu ouvert, les différences de méthode ne permettent pas de comparer les coûts entre les deux secteurs ; c'est la raison pour laquelle la Cour des comptes recommande de mettre en place une comptabilité analytique, ce qui peut être quelque chose de simple et non pas une « usine à gaz ».

Enfin, la répartition de l'offre et l'allocation des moyens n'est pas optimale. La régulation de l'offre répond à une logique essentiellement budgétaire, fondée sur une activité théorique qui n'est jamais rapprochée de l'activité réelle.

La troisième partie de notre rapport étudie l'activité de prise en charge des jeunes délinquants par la PJJ.

L'action de la PJJ se décline au travers de principes directeurs, que la Cour des comptes n'a pas à discuter mais dont il faut cependant observer qu'ils font l'objet d'une mise en application disparate. À titre d'exemple, alors que les activités d'insertion sont considérées comme le complément indispensable de la relation entre l'éducateur et le mineur qui permet de réamorcer sa socialisation, le nombre de bénéficiaires ne dépasse pas 20 % de l'ensemble des mineurs pris en charge.

Plus généralement, les services souffrent d'un manque d'encadrement normatif : dans les unités de base, les méthodes de suivi des éducateurs sont très dépendantes de la qualité et de la volonté du personnel encadrant ; dans les services, la Cour des comptes relève l'absence de définition ou de mise à jour des cahiers des charges par type d'établissement ainsi que des référentiels nationaux.

Dans la pratique, alors que judiciairement, ce sont les mesures qui sont identifiées, l'intervention de la PJJ s'articule autour de la personne du mineur, qui fait souvent l'objet de plusieurs mesures. Ce n'est pas critiquable en soi mis cela rend plus difficile le suivi des mesures elles-mêmes. La Cour des comptes a tenté d'analyser les différentes interventions en milieu ouvert (liberté surveillée, mesures de réparation, sursis avec mises à l'épreuve, placements) et en milieu fermé (incarcération) de la PJJ.

En milieu ouvert, la modalité d'exécution de la mesure, bien que prescrite partiellement dans la décision judiciaire, reste finalement tributaire des pratiques de l'éducateur référent du mineur et des ressources locales. La logique d'individualisation des parcours explique sans doute cette approche, qui cependant n'est pas compensée par un suivi et un encadrement réguliers de l'éducateur par sa hiérarchie. La Cour des comptes a constaté, d'ailleurs, que les services de la PJJ ne sont pas en mesure de comptabiliser le temps passé par l'éducateur avec le mineur qui lui est confié, alors que ce temps est jugé fondamental pour la partie éducative de toute mesure. De même, il nous a semblé préoccupant que les services ne comptabilisent pas les mesures abandonnées dans les faits, qui devraient faire l'objet de rapport de carence auprès du magistrat concerné ou du procureur.

Le placement reste problématique en raison moins du nombre de places disponibles sur le territoire national que de l'absence de diversité et d'adaptation au profil des mineurs, notamment les plus violents ou les plus fragiles.

L'intervention de la PJJ en milieu carcéral est différente selon qu'il s'agit d'un établissement pénitentiaire pour mineurs ou d'un quartier des mineurs d'une maison d'arrêt. Dans le premier cas, le potentiel de ces établissements, qui offrent d'importants moyens de prise en charge plus individualisée, n'est pas optimisé, en raison des séjours souvent courts des mineurs. Ceci n'est pas un jugement mais un constat, le fond de la question relevant de la politique judiciaire.

Enfin, nous avons pu constater les difficultés de la PJJ à évaluer ses modes d'intervention.

Il faut ainsi relever la difficulté à identifier l'acte matériel portant mise à exécution de la mesure décidée par le juge. D'importants progrès ont été faits. La mise en oeuvre de l'article 12-3 de l'ordonnance de 1945, tel qu'il a été modifié par la loi du 27 mars 2012, permet sans doute un rapprochement et une meilleure coordination entre les juridictions pour mineurs et les services de la PJJ, ainsi qu'une convocation dans un délai de cinq jours du mineur, mais la réalité de la prise en charge et du démarrage de la mesure, dans un délai raisonnable, reste encore à confirmer.

En outre, l'évaluation de la qualité et de l'efficacité de la prise en charge du mineur est quasi inexistante, qu'il s'agisse de l'appréciation sur l'évolution du mineur et sa capacité à se réinsérer, qui fait l'objet d'une appréciation surtout subjective au niveau local, ou de l'évaluation du fonctionnement des services en raison d'une évaluation interne encore très embryonnaire.

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