Madame la Présidente, mes chers collègues, le texte que je rapporte devant vous aujourd'hui et dont j'ai été le premier signataire il y a maintenant plusieurs mois avec les membres du groupe Union centriste et républicaine (UCR) ainsi qu'avec plusieurs de mes collègues du groupe Union pour un mouvement populaire (UMP) a un objet simple : apporter une ressource pérenne au financement de l'allocation personnalisée d'autonomie (Apa) afin d'alléger la charge croissante que fait aujourd'hui peser le financement de cette prestation sur les budgets départementaux.
Avant de vous présenter plus en détail le dispositif de la proposition de loi, je vous rappellerai quelques éléments de contexte.
L'Apa a été créée par la loi du 20 juillet 2001 relative à la prise en charge de la perte d'autonomie des personnes âgées et à l'allocation personnalisée d'autonomie en remplacement de la prestation spécifique dépendance qui avait été introduite en 1997 à l'initiative de notre Haute Assemblée. Au 31 décembre 2011, 1 199 267 personnes bénéficiaient de l'Apa pour un coût total de près de 5,3 milliards d'euros, soit près de 20 % de l'ensemble des dépenses d'aide sociale des départements.
Destinée aux personnes âgées de soixante ans et plus en situation de perte d'autonomie, l'Apa est une prestation en nature attribuée sans conditions de ressources même si son montant varie en fonction du revenu du bénéficiaire ainsi que de son degré de dépendance défini à l'aide de la grille Aggir (autonomie gérontologie groupe iso-ressources).
Environ 60 % des bénéficiaires de l'Apa perçoivent l'aide à domicile, après définition d'un plan d'aide par une équipe médico-sociale du conseil général, les 40 % restants percevant l'aide en établissement. Les plans d'aide notifiés aux bénéficiaires de l'aide à domicile sont définis dans la limite de plafonds fixés au niveau national par voie réglementaire. Cela signifie en pratique que les départements ont en charge la gestion d'une prestation dont ils ne maîtrisent pas pleinement la définition des paramètres.
Contrairement à la prestation spécifique dépendance, l'Apa ne peut faire l'objet d'une récupération sur succession. Elle est en outre ouverte aux personnes relevant des Gir 1 à 4, le Gir 1 correspondant, je le rappelle, au degré le plus sévère de dépendance, tandis que la PSD n'était versée qu'aux demandeurs classés dans les Gir 1 à 3.
Depuis sa création, le financement de l'Apa est mixte, assuré à la fois par les départements et par une contribution dite de « solidarité nationale » versée jusqu'en 2004 par le fonds de financement de l'Apa (Ffapa) et depuis cette date par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA).
Le Ffapa était alimenté par deux types de ressources : une participation des régimes obligatoires de base d'assurance vieillesse égale à une fraction des dépenses d'aide ménagère que ces régimes consacraient aux personnes âgées dépendantes en 2000 ; une part de 0,1 point de CSG, précédemment affectée au fonds de solidarité vieillesse (FSV).
La loi du 30 juin 2004 relative à la solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées est venue apporter une ressource supplémentaire au financement de l'Apa, la contribution de solidarité pour l'autonomie (CSA), en même temps qu'elle créait une nouvelle structure, la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), chargée de centraliser l'ensemble des financements destinés au secteur médico-social.
La CSA est elle-même composée de deux types de prélèvements au taux identique de 0,3 % : le premier est acquitté par les employeurs publics et privés sur les revenus salariaux, en contrepartie de la « journée de solidarité » ; le second prend la forme d'une contribution additionnelle de 0,3 % au prélèvement social de 2 % sur les revenus du patrimoine et les produits de placement. En 2011, le rendement de la CSA s'est élevé à 2,3 milliards d'euros.
Notons cependant que la loi encadre très fortement l'utilisation de cette ressource au sein du budget de la CNSA. Seule une fraction, limitée à 20 %, est allouée spécifiquement au financement de l'Apa. Une autre partie, 26 %, est destinée au financement de la prestation de compensation du handicap (PCH) tandis que plus de la moitié du produit de la CSA est allouée aux établissements et services accueillant des personnes âgées ou handicapées. L'année dernière, notre collègue Ronan Kerdraon, rapporteur du secteur médico-social pour le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2012 n'a d'ailleurs pas manqué de s'interroger dans son rapport sur l'opportunité de détourner ainsi le produit de la CSA pour le financement des soins dans les établissements médico-sociaux alors que ce type de dépense relève naturellement des régimes d'assurance maladie.
La loi prévoit également un dispositif de péréquation pour la répartition du concours de la CNSA entre les départements, fonction de quatre critères : le nombre de personnes âgées de soixante-quinze ans et plus ; le montant des dépenses d'Apa ; le potentiel fiscal ; les nombre de foyers bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) « socle » non majoré. Ce dispositif est complété par un mécanisme de correction visant à ce que le rapport entre les dépenses des départements au titre de l'Apa et leur potentiel fiscal ne puisse excéder un taux fixé par voie réglementaire, actuellement de 30 %.
En tout état de cause, l'évolution des concours du Ffapa puis de la CNSA n'a pas permis de garantir une participation équilibrée et équitable de l'Etat au financement de l'Apa. La montée en charge du dispositif a en effet été à la fois plus rapide et plus forte qu'elle n'avait été anticipée au moment du vote de la loi du 20 juillet 2001.
Pourtant, dès cette époque, notre collègue Alain Vasselle, rapporteur du projet de loi au nom de la commission des affaires sociales, pointait dans son rapport la fragilité des estimations de progression des dépenses et du dispositif de financement envisagé, estimant ce dernier « source de graves menaces pour les finances locales et les finances sociales ».
Or sur la période 2003-2009, les dépenses brutes d'Apa ont augmenté de 5,9 % en moyenne annuelle tandis que la participation du Ffapa puis de la CNSA à partir de 2004 ne progressait que de 0,9 % en moyenne par an. De ce fait, les dépenses restant à la charge des départements ont augmenté en moyenne de 8,8 % par an entre 2003 et 2009.
Dès lors, le taux de couverture des dépenses d'Apa par le Ffapa puis par la CNSA, qui était de 43 % en 2002, est descendu sous la barre des 30 % en 2010, avant de remonter très légèrement à 30,8 % en 2011. Les départements supportaient cette même année une charge nette de 3,7 milliards d'euros, un chiffre en augmentation continue depuis 2002.
Comment expliquer cette dégradation de la participation de l'Etat au financement de l'Apa ? Avant tout par le fait qu'aucune disposition législative ne permet aujourd'hui de répartir de façon satisfaisante le financement de l'Apa entre l'Etat et les départements.
Notre Haute Assemblée avait bien conscience des risques liés à une montée en charge insuffisamment contrôlée de l'Apa lorsqu'elle examinait le projet de loi créant cette prestation puisqu'elle avait adopté en première lecture un amendement du rapporteur pour avis de la commission des finances Michel Mercier, prévoyant explicitement un financement à parité de la prestation par l'Etat et les départements. Cette disposition a cependant été supprimée par l'Assemblée nationale en cours de lecture et l'idée d'un financement 50/50 est restée à l'état d'engagement informel, rapidement contredit par les faits.
Or la situation financière des départements exige aujourd'hui de parvenir à un nouvel équilibre dans le financement de l'Apa. Un premier cri d'alarme a été lancé en décembre 2010 lorsque trois propositions de loi identiques déposées par les groupes Socialiste, du Rassemblement démocratique et social européen (RDSE) et Communiste, républicain et citoyen (CRC), relatives à la compensation des allocations individuelles de solidarité versées par les départements, ont été examinées au Sénat. Ces textes, qui visaient à ce que l'Etat compense intégralement le coût supporté par les départements au titre du RSA et de la PCH et à 90 % celui résultant de l'Apa, a cependant été rejeté par la Haute Assemblée. En juin 2011, le Conseil constitutionnel, saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité par les départements de Seine-Saint-Denis et de l'Hérault, a jugé que le mécanisme de compensation financière prévu pour le financement de l'Apa ne portait pas atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales. Il a cependant émis deux réserves d'interprétation appelant les pouvoirs publics à prendre leurs responsabilités dans le cas où les concours apportés par la CNSA et les mécanismes de péréquation entre départements ne permettraient plus d'assurer le respect du ratio de 30 % entre leurs charges nettes et leur potentiel fiscal. Cette décision du Conseil constitutionnel ouvre à mon sens la voie à une évolution législative destinée à sécuriser le financement de l'Apa telle que celle que je vous propose aujourd'hui.
J'en viens donc maintenant au dispositif de la proposition de loi.
Son article 1er étend l'assiette de la CSA aux revenus des travailleurs indépendants ainsi qu'aux pensions de retraite afin de les soumettre, tout comme les revenus salariaux, à une contribution de 0,3 %. Certains m'objecteront que le prélèvement pesant actuellement sur les revenus salariaux ne vient pas obérer le pouvoir d'achat des salariés dans la mesure où il est acquitté par les employeurs en contrepartie d'une journée de travail supplémentaire non rémunérée effectuée par les salariés. Mais s'il n'y a pas perte de pouvoir d'achat pour les salariés, ces derniers participent bien à l'effort de solidarité nationale en acceptant de travailler gratuitement une journée supplémentaire.
Obliger les travailleurs indépendants et les retraités à effectuer une journée de travail non rémunérée n'aurait bien évidemment aucun sens. Est-ce une raison pour les dispenser de toute forme de participation à l'effort de solidarité nationale envers les personnes âgées dépendantes ? Je ne le crois pas et mon avis rejoint celui d'une personne concernée au premier chef par l'article 1er de la proposition de loi puisqu'il s'agit du président du Régime social des indépendants (RSI). Lors de son audition, ce dernier m'a en effet officiellement déclaré qu'il soutenait le dispositif de la proposition de loi, nonobstant l'effort substantiel de près d'un milliard d'euros qui est déjà demandé aux travailleurs indépendants sur leurs cotisations maladie dans le PLFSS pour 2013. Je tiens à saluer avec force cette position responsable et courageuse, traduction d'une prise de conscience de l'effort de solidarité que nous devons tous consentir envers nos aînés.
Il est vrai que le président de la Confédération française des retraités, avec qui j'ai également souhaité échanger sur le texte, s'est montré moins enthousiaste sur la proposition de loi. Selon lui, une telle contribution ferait peser une charge discriminatoire sur les retraités, alors même que ces personnes ne sont pas les nantis ou les privilégiés en matière de cotisations sociales que l'on se plairait parfois trop facilement à décrire. C'est oublier que, dans l'esprit du texte, les pensions les plus modestes ne seront pas soumises à la contribution.
C'est également refuser d'effectuer un calcul très simple. Prenons l'exemple d'un retraité gagnant 1 000 euros par mois, sachant que le montant moyen des pensions de retraite s'établit aujourd'hui à 1 216 euros par personne. Acquitter la CSA représentera pour lui un effort de 36 euros par an. S'il a un niveau de dépendance Gir 4, le montant de l'Apa mensuelle, une fois acquitté le ticket modérateur, s'élève au maximum à environ 550 euros par mois. Cela signifie que le paiement de la CSA représentera pour lui chaque année un peu plus de 6 % de l'aide mensuelle dont il bénéficie au titre de l'Apa. S'agit-il réellement d'un effort démesuré alors même que l'enjeu essentiel est de maintenir la capacité des départements à continuer de verser cette prestation dont nous savons qu'elle a permis de reculer considérablement l'âge moyen d'entrée en établissement pour les personnes âgées dépendantes ?
L'article 3 de la proposition de loi affecte l'ensemble de la contribution nouvellement créée à la section II du budget de la CNSA, c'est-à-dire au financement de l'Apa. D'après les chiffrages que nous avons pu recueillir, le produit de cette ressource supplémentaire serait compris entre 884 et 910 millions d'euros : 700 millions d'euros seraient recueillis auprès des personnes retraitées, entre 166 et 180 millions d'euros auprès des travailleurs indépendants non agricoles et de 18 à 30 millions d'euros auprès des travailleurs indépendants agricoles. Un tel montant permettra de rapprocher fortement de la barre des 50 % le taux de couverture des dépenses d'Apa par la CNSA.
La proposition de loi que je vous présente aujourd'hui est bien évidemment imparfaite. Outre la nécessité de lui apporter des améliorations rédactionnelles, il serait souhaitable, dans un souci d'équité, d'étendre son article 1er aux travailleurs indépendants agricoles, ce qui n'est pas prévu pour le moment.
La rédaction adoptée à l'article 1er pour élargir l'assiette de la CSA aux retraités est en outre trop imprécise. Il conviendrait de l'améliorer en excluant explicitement les retraités les plus modestes du paiement de la contribution.
L'article 2 effectue une coordination avec les dispositions du code du travail relatives à la journée de solidarité qui n'est pas nécessaire. Il faudrait donc le supprimer.
D'autres améliorations rédactionnelles doivent être apportées à l'article 3. En particulier l'article L. 14-10-5 du code de l'action sociale et des familles, que modifie l'article 3, dispose jusqu'à présent que la part de CSA destinée aux personnes handicapées doit représenter 40 % de l'ensemble du produit de la contribution. La proposition de loi élargit l'assiette de la CSA en affectant entièrement la recette nouvellement créée aux personnes âgées. Il conviendrait donc de ramener cette part à 30 %.
Je vous l'ai dit au début de mon intervention, la proposition de loi que je présente devant vous aujourd'hui a été enregistrée à la présidence du Sénat il y a maintenant plusieurs mois, le 21 février 2012. Le hasard du calendrier parlementaire veut qu'elle soit inscrite à l'ordre du jour quelques semaines à peine avant l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013.
Or, l'article 16 de ce texte crée une contribution additionnelle de solidarité pour l'autonomie sur les pensions de retraite, c'est-à-dire un dispositif exactement équivalent à ce que propose le texte que nous examinons aujourd'hui pour les retraités. Sans doute faudrait-il se réjouir de cette convergence de vue. Il convient cependant de noter que la ressource nouvellement créée connaîtra une montée en charge progressive avec un taux de 0,15 % en 2013 et de 0,30 % les années suivantes et sera affectée dans un premier temps au fonds de solidarité vieillesse (FSV) avant d'être mise en réserve à partir de 2014 au sein d'une nouvelle section du budget de la CNSA « au profit de l'amélioration de la prise en charge de la perte d'autonomie ».
Le Gouvernement y voit là une façon de prouver dès à présent sa volonté de mobiliser les ressources nécessaires au financement de la réforme de la dépendance, certes promise et attendue, mais dont le calendrier demeure encore incertain. Je reste personnellement perplexe quant à l'option choisie. Pourquoi mettre ces recettes nouvelles en réserve alors même qu'elles pourraient trouver une utilité évidente dès à présent ? Les départements ne peuvent pas attendre 2014 ou 2015 pour obtenir un hypothétique rééquilibrage du financement de l'Apa. Ils ont besoin dès à présent que l'Etat s'engage à leurs côtés et de façon équitable dans le financement de la perte d'autonomie.
Je suis cependant conscient que ce « télescopage » entre la proposition de loi et l'article 16 du PLFSS pour 2013 risque de singulièrement compliquer l'examen du texte. Il me semble malgré tout important de vous le présenter dans sa forme initiale et non réduite aux seuls travailleurs indépendants.
L'ambition de cette proposition de loi est nécessairement limitée et il ne s'agit en aucun cas d'empiéter sur les mesures qui pourraient être envisagées dans le cadre de la future réforme de la dépendance dont nous savons tous qu'elle nécessitera une réflexion bien plus large et approfondie. Mais ce texte forme un tout cohérent, qui présente à mon sens trois avantages principaux.
Il apporte une réponse pragmatique et immédiate à un problème simple et précis : la difficulté dans laquelle se trouvent un nombre croissant de départements pour assurer le financement de l'Apa.
Il permet de dépasser les mesures d'urgence mises en oeuvre depuis 2010 pour soutenir les départements les plus en difficulté en leur allouant une ressource pérenne.
Enfin, il contribue à faire participer de façon plus équitable les Français à l'effort de solidarité nationale envers nos aînés dépendants.
Sans anticiper sur notre débat et compte tenu des échos que j'ai pu recueillir auprès des différents groupes, je pense qu'il serait sage de ne pas adopter aujourd'hui un texte de la commission.
Conformément à l'accord politique passé entre les présidents de groupe du Sénat pour l'examen des propositions de loi émanant des groupes d'opposition ou minoritaires, je propose que la commission laisse aller en séance la proposition de loi initiale. C'est à ce moment-là que je vous soumettrai les amendements permettant d'apporter au texte les améliorations que j'ai brièvement évoquées dans mon intervention.
Cela ne doit cependant pas nous empêcher de débattre sur la proposition de loi et je m'empresse de laisser la parole à tous les commissaires qui souhaiteront s'exprimer.
Je vous remercie.