La commission des finances m'a confié le soin de réaliser un contrôle budgétaire portant sur le financement de la sûreté nucléaire. Je vais vous livrer les résultats de cet exercice, dans la perspective de la publication d'un rapport d'information. La question du nucléaire a fortement marqué l'actualité récente. Après que le Gouvernement a annoncé son souhait d'allonger la durée de vie des centrales nucléaires, l'Assemblée nationale a constitué une commission d'enquête sur le coût de la filière nucléaire, dont les travaux viennent de s'achever. De même, à la demande de cette commission d'enquête, la Cour des comptes a produit, à la fin du mois de mai, une estimation du coût de production de l'électricité nucléaire, actualisant les données déjà publiées en 2012 sur ce sujet.
Je me suis intéressé, quant à moi, à un sujet beaucoup plus spécifique - marginalement traité dans les travaux précités -, à savoir le financement public de la sûreté nucléaire, de la radioprotection et de la transparence nucléaire. Toutefois, je n'ai traité ni la protection contre les actes de malveillance, ni le nucléaire militaire - qui constituent des problématiques particulières.
Avant toute chose, je voudrais rappeler que la sûreté nucléaire constitue un enjeu sociétal majeur. Même si l'on s'oriente, dans les années à venir, vers une diminution de la part de l'énergie nucléaire dans le bouquet énergétique, il sera toujours nécessaire de s'assurer que le parc d'installations existant, ainsi que la gestion des déchets nucléaires, répondent bien à des normes rigoureuses de sûreté. En outre, au lendemain de l'accident de Fukushima, la demande sociale de sûreté et de transparence s'agissant de l'énergie nucléaire est croissante.
Je rappellerai également que la sûreté nucléaire doit être assurée en premier lieu par les exploitants des installations nucléaires, qui réalisent les investissements en ce domaine. Pour autant, il revient à l'État de définir la réglementation en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection, de mettre en oeuvre les contrôles nécessaires à son application et de garantir, en toute transparence, une information fiable et accessible au public.
Ceci implique donc une intervention des services du ministère de l'écologie, mais également de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Ces deux organismes forment le « dispositif dual » sur lequel repose le système français de sûreté nucléaire et de radioprotection, système dont l'efficacité n'est plus à démontrer.
L'ASN - qui constitue, depuis 2006, une autorité administrative indépendante (AAI) - assure le contrôle des activités nucléaires, la délivrance de certaines autorisations ayant trait aux installations nucléaires et l'édiction de prescriptions techniques. L'IRSN - établissement public industrielle et commercial (EPIC) de l'État - est en charge des activités d'expertise et de recherche en matière d'évaluation des risques. Aussi, il assure un appui technique à l'ASN de façon autonome.
Avant de présenter mes conclusions et propositions, je voudrais formuler quelques observations.
Tout d'abord, le financement du dispositif de sûreté nucléaire et de radioprotection est particulièrement complexe. La loi de finances pour 2000 a institué une taxe sur les installations nucléaires de base - dite « taxe INB » - dont le rendement a atteint près de 580 millions d'euros en 2013. Pour autant, l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) ne sont pas directement financés par cette taxe : leurs ressources proviennent de dotations inscrites au budget général de l'État, notamment au sein des missions « Écologie, développement et aménagement durables » et « Recherche et enseignement supérieur ». L'enveloppe budgétaire de ces deux entités est évaluée, dans la loi de finances pour 2014, à 261 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 266 millions d'euros en crédits de paiement (CP), soit un montant - il faut le souligner - inférieur à 50 % du produit de la « taxe INB » perçue par l'État. Les crédits dédiés à l'ASN et à l'IRSN sont portés par un total de cinq programmes relevant de quatre missions distinctes. En outre, l'IRSN est l'affectataire d'une contribution spécifique versée par les exploitants d'installations nucléaires dont le rendement a atteint 53 millions d'euros en 2013. La consolidation des moyens budgétaires et extrabudgétaires alloués au dispositif de sûreté nucléaire et de radioprotection est donc potentiellement difficile.
Ensuite, le financement de la transparence nucléaire souffre de défauts similaires. Ainsi, le Haut Comité pour la transparence et l'information pour la sûreté nucléaire (HCTISN) bénéficie d'une dotation de la mission « Écologie, développement et aménagements durables » ; cependant, les commissions locales d'information (CLI) - constituées auprès de chaque installation nucléaire - sont financées par les collectivités territoriales et à partir du budget de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN). La loi a également prévu que certaines commissions puissent bénéficier d'une partie du produit de la « taxe INB », mais cette possibilité n'a jamais été utilisée par l'État.
Un effort de clarification dans le financement du dispositif de la sûreté nucléaire, de la radioprotection et de la transparence nucléaire s'impose donc, ne serait-ce que pour des raisons de pilotage efficace de ce dispositif et d'accessibilité démocratique.
Cette clarification est d'autant plus nécessaire que les enjeux auxquels seront confrontés l'ASN et l'IRSN dans les années à venir sont de taille et qu'ils vont nécessiter la mobilisation de moyens conséquents. Parmi ces enjeux figurent le contrôle des travaux consécutifs à l'accident de Fukushima, le contrôle de l'entrée en fonctionnement vers 2016 du réacteur pressurisé européen (EPR) de Flamanville, l'encadrement et le contrôle du vieillissement, comme du démantèlement, des réacteurs électronucléaires, l'encadrement et l'analyse du réexamen de sûreté des installations exploitées par Areva et le Commissariat à l'énergie atomique (CEA) et l'instruction des dossiers réglementaires des nouvelles installations, comme le centre de stockage géologique CIGÉO, le réacteur thermonucléaire expérimental international (ITER), ou encore le réacteur Jules Horowitz. Par ailleurs, il sera nécessaire de maintenir une recherche de niveau mondial et de tenir compte d'une demande accrue de transparence aussi bien en France qu'au niveau international.
Ainsi, à terme, eu égard aux enjeux qui viennent d'être cités, les besoins supplémentaires de l'ASN et de l'IRSN approcheraient environ 36 millions d'euros, intégrant la création d'un peu moins de 200 postes budgétaires.
Cet état des lieux étant dressé, j'en viens à mes propositions.
Face à la double nécessité de dégager des moyens de financement supplémentaires au profit de l'ASN et de l'IRSN et de clarifier le système de financement de la sûreté nucléaire, de la radioprotection et de la transparence nucléaire, je me suis attaché à formuler cinq propositions principales tendant à refonder ce dernier sur la base de trois principes : l'indépendance du contrôle, la rationalisation du financement et la transparence démocratique. Cette refondation vise à conforter le « dispositif dual » de sûreté nucléaire et de radioprotection, à renforcer les crédits finançant ce dispositif et à placer le système de financement sous le contrôle du Parlement.
Tout d'abord, il me semble nécessaire de faire reposer une partie du financement de l'ASN sur une taxe affectée - que l'on pourrait appeler contribution de sûreté et de transparence nucléaires (CSTN) -, acquittée par les exploitants d'installations nucléaires, sur le modèle de la contribution actuellement perçue par l'IRSN. Il conviendrait, néanmoins, de prendre garde de ne pas accroître les charges des organismes financés à l'aide de crédits budgétaires, à l'instar du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies renouvelables (CEA).
Il paraît, en effet, justifié que les entreprises exploitant commercialement des installations nucléaires - soit EDF et Areva - puissent apporter une contribution complémentaire au dispositif de sûreté nucléaire dès lors qu'un renforcement des moyens de celui-ci se ferait également à leur profit et éviterait qu'elles ne soient confrontées aux coûts qui pourraient résulter d'un engorgement de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN). À ce titre, je rappelle que l'arrêt d'un réacteur nucléaire représente un coût de plus d'un million d'euros par jour pour EDF... L'affectation d'une telle taxe nécessiterait, pour des raisons juridiques, de doter l'Autorité de la personnalité morale.
Il s'agit, de cette manière, de renforcer l'indépendance de l'ASN. En effet, cette dernière est, aujourd'hui, exclusivement financée par des dotations budgétaires dont le montant est arrêté, chaque année, sur proposition du Gouvernement. Aussi, du fait de l'article 40 de la Constitution, le Parlement ne dispose que de marges de manoeuvre réduites pour s'opposer, le cas échéant, à une baisse non justifiée de ces dotations. C'est pourquoi, je propose que le Parlement soit chargé de « piloter » le produit de cette taxe - à la différence de la contribution versée à l'IRSN dont le montant est fixé par arrêté ministériel.
Cette taxe garantirait la pérennité des ressources de l'Autorité. Toutefois, parce qu'il ne saurait être question d'affecter une ressource sans contrôle à un organisme, cette taxe devrait être plafonnée, l'excédent de recettes étant reversé au budget général de l'État. Ainsi l'indépendance de l'Autorité de sûreté nucléaire serait-elle garantie sous le contrôle vigilant du Parlement.
Ensuite, cette nouvelle contribution aurait également vocation à financer les commissions locales d'information (CLI). Elle se substituerait, par conséquent, à l'attribution d'une part du produit de la « taxe INB », qui constitue un mécanisme si complexe qu'il n'a jamais été mis en oeuvre. Les dotations de ces commissions continueraient à être versées par l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), selon une logique de projet, permettant une allocation raisonnée des moyens.
Il me semble, par ailleurs, que la contribution perçue par l'IRSN devrait être modifiée selon les mêmes principes que cette taxe affectée à l'Autorisé de sûreté nucléaire, qu'il s'agisse de la fixation du montant par le Parlement, du plafonnement, etc.
Dans un souci de simplification et de cohérence, le financement de l'ASN et de l'IRSN reposerait, dès lors, sur une dotation de l'État et une contribution payée par les exploitants d'installations nucléaires.
Au total, ces nouvelles modalités de financement renforceraient l'indépendance du dispositif de sûreté nucléaire et de radioprotection, ainsi que les pouvoirs du Parlement, tout en tirant les enseignements utiles des travaux réalisés par le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) sur les taxes affectées.
Afin de permettre au Parlement d'exercer efficacement son droit de regard sur le financement de la sûreté nucléaire, je propose également, d'une part, la création d'une délégation parlementaire à la sûreté et à la transparence nucléaires, commune à l'Assemblée nationale et au Sénat, qui aurait vocation à rendre un avis, chaque année, sur le financement du dispositif de sûreté nucléaire et, d'autre part, la création d'un « jaune budgétaire » consolidant l'ensemble des ressources attribuées à la sûreté nucléaire et à la radioprotection. Ce nouveau document renforcerait la lisibilité politique du financement de la sûreté nucléaire.
Enfin, plus en marge de mon sujet, je souhaiterais que le « choc de simplification » puisse être étendu à la réglementation de la sûreté nucléaire. Dans un contexte où d'importants investissements de sûreté sont demandés aux exploitants d'installations nucléaires, un effort de rationalisation doit être consenti. Depuis l'entrée en vigueur de la loi du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité nucléaire (TSN), la règlementation se complexifie et produit des coûts supplémentaires. Les prescriptions de plus en plus élevées et les exigences de détail ne sont pas toujours en rapport avec le surcroît de sûreté qu'elles devraient engendrer. La réglementation semble se constituer selon un processus incrémental, parfois au mépris de son applicabilité technique : trop de sûreté nucléaire tuerait-elle la sûreté ?