Notre invité Pierre Médevielle vient de nous rappeler les raisons pour lesquelles l'AFITF existe. C'est l'exemple de l'Autorité de sûreté nucléaire. Cette dernière devait être alimentée par le produit d'une taxe prélevée sur la production d'énergie électrique nucléaire. La taxe existe, mais l'alimentation de l'ASN est défaillante.
Je voudrais parler de l'AFITF et poser une question à Marie-Hélène Des Esgaulx. L'AFITF a connu trois étapes. Il se trouve que j'ai présidé un moment cette agence. Les trois étapes ont été les suivantes. La première était relativement cohérente. Le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin et son ministre de l'équipement Gilles de Robien avaient décidé de créer une agence de financement des infrastructures de transport. Celle-ci était alimentée essentiellement par deux recettes liées aux activités routières et avait pour objet de financer des activités ferroviaires. On était donc dans une logique vertueuse, si l'on considère qu'il faut brimer les automobilistes et aider le ferroviaire. Ce système fonctionnait avec le produit des recettes des radars, pour un montant de l'ordre de 200 millions d'euros, et des dividendes de la part de l'État détenue dans les sociétés d'autoroutes, pour un montant de l'ordre de 700 millions d'euros. L'agence bénéficiait donc, au moment de sa création en 2005-2006, d'une visibilité financière de l'ordre du milliard d'euros.
Bien évidemment, la Cour des comptes s'est montrée hostile, dès le départ, à cette agence, considérant qu'elle portait atteinte au principe d'universalité budgétaire. En contrepartie, les partenaires de l'agence, essentiellement l'Etat, les régions et Réseau Ferré de France (RFF), avaient la certitude d'avoir un interlocuteur qui, pour les deux tiers, finançait le domaine ferroviaire, et, pour le tiers restant, finançait les grands projets routiers, voire des projets maritimes telle que l'écluse du Havre.
Dans un second temps, le Premier ministre Dominique de Villepin a décidé de vendre les parts de l'Etat dans les sociétés d'autoroute. À ce titre, l'État a récupéré une somme, non négligeable, oscillant entre 16 et 18 milliards d'euros. Il les a affectés au désendettement de l'Etat, et l'AFITF s'est retrouvée sans recettes autres que celles des radars. Or, ces 200 millions d'euros de recettes ne suffisaient pas à financer l'agence. Nous avons donc connu une période de quelques années, jusqu'au Grenelle de l'environnement, au cours de laquelle je dirais que l'AFITF était en état de suspension. On aurait pu la supprimer à ce moment-là, mais le ministère de l'équipement ne l'a pas souhaité. Il y voyait en effet un lobby institutionnel lui permettant de préserver ses crédits d'infrastructures contre l'appétit de Bercy qui, à travers les gels, les régulations et autres annulations de crédits, remettait en cause les projets d'infrastructures contractualisés entre l'Etat et RFF ou l'Etat et les régions, et parfois entre l'Etat, RFF et les régions.
Troisième temps de l'AFITF : l'espérance, à savoir l'apparition du Toll collect à la française, qui deviendra l'écotaxe, enfant légitime du Grenelle de l'environnement. Malheureusement, la montée en puissance du système s'est révélée être extrêmement lente. En effet, nous avons souhaité créer notre système à nous, différent du système allemand tout en s'en inspirant, bien que des entreprises françaises aient été acteurs de la réussite allemande. Cela s'est donc aussi révélé plus coûteux, car il fallait partir de zéro. De surcroît, nous avons fait le choix politiquement absurde de passer par les portiques, qui ne sont absolument pas nécessaires pour contrôler la présence de boitier sur les poids-lourds, et que l'on a désigné comme des adversaires.
Je veux souligner ici que notre pays est dans une situation de profonde inégalité à l'égard de la circulation des poids lourds. Il existe des régions excentrées, qui ont besoin de la route et sur lesquelles ne circulent que des poids lourds français valorisant des productions françaises. Je pense à cet égard aux produits agricoles bretons. Il y a ensuite les régions que je qualifierais de « lotharingiennes », à savoir celles qui accueillent les flux de trafic nord-sud, entre les grands ports européens que sont Rotterdam et Anvers notamment, et l'Espagne ou l'Italie. Les poids lourds qui effectuent ces trajets empruntent des routes qui sont gratuites ou peu onéreuses, sans jamais faire le plein en France. Vous pouvez, avec un 38 tonnes, faire le plein au Luxembourg, traverser toute la France, livrer à Barcelone, voire en remonter, sans payer une seule taxe sur le carburant sur le territoire français ! Pour ces raisons, les régions lotharingiennes, qui sont des lieux de transit, sont favorables à l'écotaxe. Mais leurs élus n'ont jamais été consultés. Enfin, il y a l'Île-de-France, région la plus encombrée et la plus empruntée, mais où il y a aussi le moins de péages autoroutiers, pour des raisons historiques. Donc, vous pouvez emprunter le périphérique et les grandes autoroutes ou nationales, telles que l'A 86 ou la N 104, gratuitement. Alors ce que ce sont les routes les plus coûteuses à aménager et équiper, elles pèsent sur le budget de l'État et non sur les usagers.
Je suis donc pour ma part, dans cette troisième étape, consterné par l'abandon de l'écotaxe. Il eût fallu au moins que Madame la Ministre prenne la peine de s'adresser aux différentes régions traversées par des poids-lourds, qui n'auront plus les moyens de financer les infrastructures en contractualisant avec l'État. Par ailleurs, l'écotaxe avait l'immense mérite de rendre payantes des routes départementales qui sont gratuites. Le Gouvernement nous dit qu'il va augmenter le gazole de deux centimes au litre pour les véhicules légers et de quatre centimes au litre pour les poids lourds. Or, les poids lourds étrangers paieront très peu ou pas du tout. En outre, la dégradation qu'ils occasionnent sur les infrastructures routières est en moyenne cent fois supérieure à celle d'un véhicule léger. Nous sommes donc dans une situation d'injustice absolue.
C'est la raison pour laquelle, madame le rapporteur, je souhaiterais que notre commission rétablisse l'écotaxe, pour le principe, en offrant la possibilité à l'Etat de négocier par région et d'affecter à celles qui acceptent l'écotaxe une partie de son produit, tandis que les régions qui ne l'appliqueraient pas n'auraient ni produit de l'écotaxe, ni crédits d'investissement. En Lorraine, sur l'A 31, nous avons en moyenne 30 % de poids-lourds en circulation. Sur ces 30 %, 90 % sont néerlandais et alimentent la Catalogne, l'Espagne, l'Italie ou le sud de la France.
Au total, j'estime que l'AFITF est légitime, à condition de disposer de financements pérennes. Les infrastructures routières sont coûteuses. La seule exigence que nous devons avoir s'agissant des recettes est la pérennité. Or, une écotaxe bien gérée serait pérenne et permettrait aux régions qui en acceptent le principe de pouvoir bénéficier de recettes stables.
Je ne résiste pas maintenant à aborder un autre sujet. Personne n'aime le CO2, mais je voudrais rappeler qu'il permet à l'agriculture de progresser et de prospérer. Et si l'on adopte une vision sur le long terme, on s'aperçoit que le CO2 a enrichi le monde plus qu'il ne lui a coûté. Deuxièmement, l'effet de serre est produit à 90 % par la vapeur d'eau émise par les océans. Le CO2 n'en est responsable que pour une infime proportion, de l'ordre de 10 %. Sur ces 10 %, seuls 1 % du total sont d'origine humaine. La France représentant 4 % de l'économie mondiale, on peut considérer qu'elle émet 4 % des émissions de CO2 anthropiques. Or, 4 % de 1 %, cela fait 4/10 000èmes. Conclusion : nous consacrons des sommes considérables à atténuer l'effet de serre, à concurrence de 4/10 000èmes. Je pense que nous pourrions consacrer cet argent à d'autres priorités...