Nous examinons pour le moment le programme 146 « Équipement des forces ». Les dépenses que retrace ce programme sont des dépenses d'investissement à 80 % et, à eux seuls, les crédits d'investissement (titre 5) du programme, soit 6,3 milliards d'euros dans le PLF 2015, constituent plus de 60 % des investissements de l'État prévus pour l'année prochaine. En d'autres termes, ce programme, c'est essentiellement de l'argent pour nos industries et pour nos bureaux de recherche. Il vise un effort de long terme, que poursuit la LPM pour les années 2014 à 2019 dans le prolongement de ses devancières, afin de remettre à niveau le matériel de nos armées.
La question est donc : la LPM est-elle respectée ?
« Facialement », pour reprendre le terme de Jacques Gautier, la réponse est : oui. Les 31,4 millions d'euros prévus pour le budget de la défense, l'année prochaine, par la LPM, se trouvent bien inscrits dans le PLF 2015, de sorte que les livraisons puissent être payées et les commandes passées dans les délais requis.
Toutefois, cette prévision repose sur des REX. La LPM a prévu ces REX, sur la période 2014-2019, à hauteur de 6,1 milliards d'euros ; or elles tendent à croître à mesure que les crédits budgétaires vont décroissant : le montant de REX prévu pour chaque année du budget triennal 2015-2017 serait supérieur de 500 millions d'euros à celui qui a été fixé par la LPM, en compensation d'une réduction de 500 millions d'euros de crédits budgétaires. On connaît l'origine de cette ponction : la contrainte budgétaire, sous la pression des autorités de Bruxelles, est forte !
À cet égard, nous soutenons depuis longtemps l'idée que, l'effort de défense consenti par la France constituant un service rendu à l'Europe, cet effort devrait pouvoir être déduit du calcul du déficit « maastrichien » national. Je rappelle que le budget que la France consacre à sa défense - laquelle est en partie la défense de l'Europe - représente la moitié des budgets de défense de l'ensemble des États européens !
Dans cette situation budgétaire tendue est apparu le scénario des « sociétés de projet », ou « SPV », que vous a présenté Jacques Gautier. C'est un exercice difficile pour le ministère de la défense, qui ne bénéficie guère de l'appui des services de Bercy pour réaliser cette opération. Vu des ministères économiques et financiers, le dispositif reviendrait sans doute à repousser les échéances, sans résoudre au fond le problème.
Existe-t-il d'autres solutions ? Sans doute. La reconduction du PIA pour 2015 en est une. Cette solution sera-t-elle finalement mise en oeuvre, malgré le choix initial du Gouvernement de ne pas poursuivre l'expérience de cette année en la matière ? Peut-être.
Ce qui est certain, c'est que, si les crédits viennent à manquer, le programme 146 - c'est-à-dire l'équipement des armées - jouera immanquablement le rôle de variable d'ajustement budgétaire, dans la mesure où les dépenses des autres programmes de la mission « Défense », pour l'essentiel, sont des dépenses obligatoires de l'État. Dans un tel cas, on quitterait à la fois la trajectoire de la LPM 2014-2019 et le cadre du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013.
Néanmoins, le Président de la République a répété son engagement de sanctuariser les ressources prévues par la LPM, et j'ai vérifié auprès du secrétaire d'Etat au budget que tout est fait pour dégager ces ressources. Je propose de faire crédit aux assurances ainsi données.
Les REX, au demeurant, ne sont pas le seul point faible de la prévision budgétaire pour 2015. Je voudrais à présent aborder la question du report de charges.
Ce report de charges, pour la mission « Défense », de la gestion 2014 sur l'exercice 2015, est attendu à hauteur de 3,3 à 3,4 milliards d'euros, dont 60 % (2,1 milliards) concernent le programme 146. Il s'agirait d'une légère amélioration par rapport au report de charges, historiquement élevé, qui a été constaté fin 2013 pour l'exercice 2014 : nous avons en effet atteint, l'année dernière, les 3,45 milliards d'euros de report, dont 2,37 milliards pour le seul programme 146. Mais, même contenu, c'est un report élevé ; sans doute trop.
Ce report grèvera d'emblée le budget prévu pour l'année prochaine. Encore son estimation à un niveau a priori stabilisé repose-t-elle sur deux conditions, qui dépendent des exercices habituels de fin d'année ; d'une part, la levée intégrale de la réserve de précaution portant sur la mission « Défense », soit 1,4 milliard d'euros ; d'autre part, le financement interministériel du surcoût des opérations extérieures (OPEX), comme le veut la LPM, au-delà de la provision de 450 millions d'euros inscrite en loi de finances initiale pour 2014, assorti d'une contribution du ministère de la défense selon la clé de répartition habituelle (environ 20 % du montant).
Le surcoût total de ces OPEX étant estimé à 1,128 milliard d'euros à la fin de l'année, et déduction faite des remboursements attendus d'organisations internationales ou de pays tiers, le surcoût « OPEX » net devrait représenter 624 millions d'euros. L'exposé des motifs du projet de loi de finances rectificative (PLFR) de fin d'année, déposé à l'Assemblée nationale, indique qu'un décret d'avance à venir procèdera, à ce titre, à l'ouverture de 605 millions d'euros - ce qui appellerait, en principe, une contribution du ministère de la défense à hauteur de 121 millions d'euros.
Parallèlement, ce même décret d'avance devrait opérer une annulation de crédits, sur la mission « Défense », à hauteur de 572 millions d'euros, au titre de « gage » des ouvertures de crédits programmées en faveur de différentes missions pour la fin d'année ; la répartition de l'annulation entre programmes figurera dans le décret. Evidemment, là encore, on peut redouter que le programme 146 fasse les frais de la régulation budgétaire.
Quoiqu'il en soit, d'importantes commandes d'équipement militaire devraient intervenir l'année prochaine. Seront ainsi commandés, entre autres, 8 avions ravitailleurs MRTT, dont le besoin est urgent, compte tenu des appareils actuellement en service qu'ils ont vocation à remplacer ; un système de drones MALE supplémentaire ; le système d'information et de combat Scorpion (SICS), programme structurant pour l'armée de terre ; la rénovation d'avions de patrouille maritime Atlantique 2 (ATL2) et l'acquisition de bâtiments de soutien et d'assistance hauturiers (BSAH), importants pour la marine nationale ; le lancement de la rénovation à mi-vie des avions Mirage 2000D... Xavier Pintat, dans un instant, reviendra sur le sujet « drones », en particulier pour ce qui concerne l'acquisition de systèmes de drones tactiques (SDT) pour l'armée de terre ; je ne m'y attarde donc pas.
L'année 2015 devrait également donner lieu à des livraisons particulièrement attendues, notamment celles de 4 avions de transport A400 M et de la troisième frégate multi-mission (FREMM), outre 11 avions de chasse Rafale. Je rappelle en effet que la LPM pour 2014-2019 a prévu la livraison, sur la période, de 26 nouveaux Rafale : d'abord onze appareils en 2014 et onze autres en 2015, puis les quatre derniers en 2016, sous réserve que les ventes à l'export se concrétisent ; dans le cas contraire, l'État s'est engagé à maintenir son acquisition de onze appareils par an.
En conclusion, mon regard sur le programme 146 est plus positif que celui de Jacques Gautier. Il nous faut encore obtenir des clarifications sur les REX attendues pour 2015, certes ; mais je rappelle que celles qui étaient prévues pour 2014 sont bien au rendez-vous.