Le programme 105 « Action de la France en Europe et dans le monde » finance, d'une part, les contributions obligatoires aux organisations internationales et opérations de maintien de la paix dues par notre pays et, d'autre part, l'administration centrale du ministère des affaires étrangères et notre réseau diplomatique, dont je vous rappelle qu'il est, avec 162 ambassades et 16 représentations permanentes, le troisième réseau diplomatique du monde, derrière ceux des États-Unis et de la Chine. Ce programme représente près d'un tiers des crédits et plus de la moitié des emplois dont dispose le Quai d'Orsay. Pour 2015, il est doté par le projet de loi de finances (PLF) d'un plafond d'emplois de 7 920 équivalents temps plein travaillé (ETPT) et de crédits de paiement à hauteur de 1,8 milliard d'euros.
Par rapport à 2014, ce budget marque une baisse de 2,5 %. Cette évolution reflète l'orientation de la mission « Action extérieure de l'État » dans son ensemble qui, à périmètre constant, voit ses crédits diminuer de 2,1 % l'année prochaine. Selon le projet de loi de programmation des finances publiques en cours d'examen par le Parlement, les crédits diminueront de 3 % sur la période du triennal budgétaire 2015-2017 ; et cela malgré la « bosse » financière qu'entraînera, en 2016, le règlement de la plupart des dépenses liées à la 21e Conférence des parties à la convention cadre des Nations-Unies sur les changements climatiques - la « COP 21 » -, qui se tiendra à Paris en décembre 2015. D'ailleurs, un programme spécifique est créé par le PLF 2015 pour retracer ces dépenses liées à la COP 21 ; il est doté de 43 millions d'euros en crédits de paiement, mais 179 millions en autorisations d'engagement.
La baisse des crédits de notre action extérieure, c'est bien sûr une contribution à l'effort budgétaire général, dans un contexte de contrainte forte de nos finances publiques. Cependant, pour le programme 105, cette baisse, l'année prochaine, tient principalement à la diminution attendue des contributions obligatoires aux organisations internationales et aux opérations de maintien de la paix.
Ces contributions, en effet, constituent, bon an, mal an, la moitié des charges que supporte le programme 105. Pour 2015, elles justifient une demande de crédits contenue à 794,9 millions d'euros dans le PLF initial, soit 47 millions de moins que cette année (- 5,6 %). Lors de l'examen du PLF à l'Assemblée nationale, sur l'initiative du Gouvernement en seconde délibération, la demande de crédits a même été ramenée à 784,9 millions d'euros (- 10 millions d'euros), au titre de contribution de la mission « Action extérieure de l'État » au financement des mesures nouvelles ayant résulté du débat de nos collègues députés, et cela, officiellement, « grâce à une meilleure priorisation des dépenses ».
En mettant à part ce dernier aspect, qui paraît sujet à caution, la prévision repose sur l'anticipation de la baisse de la quote-part française au budget de l'ONU et de reports de charges sur l'exercice 2016 en matière d'opérations de maintien de la paix, ainsi que sur une hypothèse de parité euro/dollar.
Il faut se réjouir de la marge d'action ainsi dégagée pour le ministère des affaires étrangères du fait de la réduction de ces dépenses obligatoires. Mais les hypothèses budgétaires qui fondent cette prévision appellent une certaine circonspection ; je n'ose dire : la méfiance.
D'abord, parce que l'hypothèse concernant la parité euro/dollar, selon toute vraisemblance, devra être révisée, eu égard à la récente évolution du taux de change. Le PLF 2015, en effet, est bâti sur l'hypothèse de 1,36 dollar pour un euro ; mais, à la mi-novembre 2014, le taux de change s'établit à hauteur de 1,25 dollar pour un euro... C'est d'ailleurs un problème qui affecte les dépenses du ministère des affaires étrangères au-delà des seules contributions internationales, puisque sont payés en devises, en particulier en dollars ou dans des monnaies liées au dollar, non seulement les trois quarts de ces contributions, mais aussi 45 % des dépenses de fonctionnement du réseau et 30 % des loyers à l'étranger ; de même, la rémunération des agents en poste à l'étranger doit être ajustée, afin de préserver leur pouvoir d'achat, en fonction des variations de change et de l'inflation constatée dans les différents pays. Or, depuis le printemps dernier, l'euro s'est réorienté à la baisse par rapport au dollar : c'est une bonne chose pour nos exportations, mais pas pour le budget des affaires étrangères !
Deuxième facteur d'incertitude : le nouveau barème onusien des contributions obligatoires. Celui-ci, qui doit entrer en vigueur au 1er janvier 2015, résultera d'une négociation qui reste encore à mener à bien d'ici la fin de l'année. La France, dans ce cadre, souhaite une répartition des quotes-parts nationales qui reflète plus équitablement le poids des économies des États membres des Nations-Unies, en particuliers pour ce qui concerne les pays émergents : c'est très bien, mais, par nature, le résultat de cette négociation est aléatoire. L'hypothèse sur laquelle est fondée le PLF, à cet égard, revient donc à tenir pour acquis quelque chose d'encore incertain.
Enfin, un mot sur les reports à 2016 de charges liées à des opérations de maintien de la paix prévues en 2015. Certains de ces reports seront le fait des Nations Unies elles-mêmes, pour des raisons d'ordre technique liées au changement de barème ; mais d'autres reports sont un choix du gouvernement français, qui s'appliquera à des appels de charges devant être reçus fin 2015. Même si ces reports entraînent effectivement un moindre besoin de financement en 2015, ils constituent, par définition, non pas une économie, mais un simple différé de paiement ; une forme de « tour de passe-passe » budgétaire, en somme. Du reste, il est difficile de savoir quelles nouvelles opérations, l'année prochaine, devront être financées en urgence.
Pour le reste, la prévision budgétaire du programme 105 pour 2015 résulte d'orientations qui nous paraissent inégalement pertinentes. Il y a de louables efforts en matière de déflation des emplois et de réduction des dépenses de personnel, même si nous sommes de plus en plus « à l'os » en ce domaine ; ma collègue Leila Aïchi reviendra sur cet aspect, tout à l'heure. Je voudrais mentionner deux aspects plus critiquables.
Il s'agit d'abord de la regrettable diminution des crédits de notre coopération de sécurité et de défense, qui se poursuit. Cette action, qui associe les enjeux de sécurité à ceux du développement, est pourtant importante, en termes d'influence internationale. Mais, chaque année, elle s'avère utilisée comme une variable d'ajustement budgétaire. Ainsi, la prévision de 30,6 millions d'euros affectés à cette action pour l'année prochaine marque une baisse de 3,6 % par rapport à cette année, et fait suite à une baisse déjà constatée à hauteur de 4,3 % cette année par rapport à l'année dernière. Cette chute des moyens en la matière constitue, au premier chef, une entrave à la capacité de la France de faire émerger en Afrique des forces de sécurité autochtones.
Or cette orientation ne paraît pas cohérente avec les ambitions affichées. En particulier, elle n'est pas en ligne avec les conclusions du sommet de l'Élysée de décembre 2013, qui a retenu comme autant de priorités la lutte contre le terrorisme et les trafics transnationaux au Sahel, la sécurité maritime dans le golfe de Guinée et la montée en puissance de l'architecture africaine de paix et de sécurité. Elle n'est pas davantage en phase avec l'implication de nos forces armées dans la bande sahélo-saharienne, notamment au Mali, en opérations extérieures. À cet égard, comment expliquer que les crédits consacrés à la prévention et à la consolidation des capacités de sortie de crise de nos partenaires africains, pourtant modestes, soient continûment diminués ? Il y a là une forme de contradiction de la politique étrangère française sur laquelle il faudra interroger le Gouvernement.
Un second point de critique importante tient au modèle de gestion immobilière que met en oeuvre le ministère des affaires étrangères.
Il est vrai que cette gestion est dynamique, comme en témoignent, en particulier, la mutualisation des implantations engagée avec l'Allemagne, ou la réduction du format des résidences diplomatiques pratiquée dans les villes où la France dispose de plusieurs représentations. Le ministère des affaires étrangères, dans ces domaines, a réalisée de bonnes opérations, ces dernières années et ces derniers mois encore.
Toutefois, le problème de cette gestion - notre commission l'a régulièrement relevé, comme la commission des finances ou la Cour des comptes -, c'est qu'elle fait dépendre l'entretien des bâtiments des recettes de cessions d'immeubles. Ce modèle, en termes économiques, n'est pas vertueux : il revient à faire financer des dépenses de fonctionnement par des recettes patrimoniales, ce qui tend à appauvrir le patrimoine de l'État.
De plus, ce système est en voie d'essoufflement. Certes, d'importants produits de cession sont encore escomptés pour cette année et l'année prochaine : à hauteur de 150 millions d'euros cette année, compte tenu de la vente de logements à New York, dont la résidence de notre représentant permanent auprès de l'ONU pour près de 51 millions d'euros ; et, l'année prochaine, à hauteur de 233 millions d'euros, du fait notamment de la vente envisagée de notre vaste campus diplomatique en Malaisie. Mais les ventes « faciles » auront bientôt toutes été réalisées !
Au demeurant, le financement ainsi assuré reste insuffisant : il est de 11 millions d'euros, en 2014, pour l'entretien du parc situé à l'étranger, mais ce niveau de crédits ne correspond qu'au plancher des besoins estimés pour le maintien en état d'un patrimoine de plus de 2 000 bâtiments qui représentent, globalement, une surface de 2 millions de mètres carrés, et qui s'avèrent parfois très dégradés. Selon certaines estimations, le besoin réel serait de l'ordre de 30 millions d'euros par an.
Dans ce contexte, pour les produits de cession des biens à l'étranger qui, selon le droit en vigueur, devraient être soumis, à partir de l'année prochaine, à un prélèvement de 30 % au titre du désendettement, le PLF 2015 introduit un plafonnement de cette contribution, à hauteur de 25 millions d'euros par an, pour 2015, 2016 et 2017 ; le ministère conservera, pour le reste, l'intégralité des produits. Par ailleurs, une « re-budgétisation » partielle de l'entretien « lourd », sur le programme 105, est prévue pour le triennum 2015-2017, avec une cible de 12 millions d'euros en 2017 ; mais l'atteinte de cette cible, bien évidemment, sera fonction de la situation budgétaire générale de l'État.
Ce retour vers un modèle de gestion orthodoxe du point de vue budgétaire, et sain du point de vue économique, serait pourtant la seule manière d'assurer à l'entretien du patrimoine immobilier occupé par le ministère des affaires étrangères la programmation fiable que son état réclame - à la condition, bien sûr, que cette « re-budgétisation » soit assortie de dotations annuelles à la hauteur du besoin. C'est la direction qu'il faut indiquer au Gouvernement.
Cela étant dit, le PLF 2015 présente l'avantage de préserver les moyens de fonctionnement du réseau diplomatique qui, après tout, constitue l'essentiel du programme 105. Une dotation de 224 millions d'euros est en effet prévue pour le fonctionnement de ce réseau, ce qui représente une augmentation de 1,5 % par rapport à 2014, et fait suite à une augmentation de 5,5 % déjà, cette année, par rapport à 2013. Ces augmentations sont précieuses pour les postes, qui se trouvent soumis à de nombreuses contraintes extérieures de coûts : accroissement des dépenses de prestations de services, augmentation importante du coût de l'énergie, hausse du coût du transport aérien, etc.
Le PLF 2015 préserve aussi les moyens destinés à la sécurisation des postes diplomatiques. Pour ne pas être trop long, je laisse à Leila Aïchi le soin de développer ce point.
Le maintien du caractère de priorité budgétaire ainsi conservé au réseau sera de nature à permettre à celui-ci de poursuivre sa « mue » en cours. Cette « mue », c'est le « recalibrage » des postes - désormais catégorisés, comme vous le savez, en postes « à mission élargies », postes « à missions prioritaires » et postes « de présence diplomatique » ; c'est surtout le redéploiement géographique.
Ce redéploiement est en effet indispensable pour adapter notre outil diplomatique aux évolutions stratégiques, notamment dans les pays émergents. Cependant, la marche est lente : au 1er janvier de cette année, les effectifs étaient encore répartis à plus de 40 % en Afrique et au Moyen-Orient, contre seulement 16 % en Asie, où les enjeux stratégiques et économiques sont pourtant, désormais, majeurs, comme l'a montré notre rapport d'information de juillet dernier, précisément intitulé « Reprendre pied en Asie du Sud-Est ».
Le réseau devrait également pouvoir assumer dans de bonnes conditions la mobilisation qui en est attendue sur le terrain de la « diplomatie économique », comprise comme le soutien aux exportations françaises et la promotion de la destination « France », tant auprès des investisseurs qu'auprès des voyageurs étrangers. Je vous rappelle que le ministère des affaires étrangères, en avril dernier, est en effet devenu « ministère des affaires étrangères et du développement international », avec compétence en matière de commerce extérieur et de tourisme.
On ne peut que se réjouir d'une implication renforcée du ministère des affaires étrangères au service de la compétitivité nationale. Mais il reste quelques aspects à régler.
D'abord, il faudra que l'organisation budgétaire suive la nouvelle architecture gouvernementale. Dans le PLF 2015, la subvention d'Atout France, l'agence de développement touristique de notre pays, est bien imputée à la mission « Action extérieure de l'État », sur le programme 185 « Diplomatie culturelle et d'influence » (pour un montant de 30 millions d'euros) ; mais la subvention d'UbiFrance, agence française pour le développement international des entreprises (95 millions d'euros), reste inscrite au sein de la mission « Économie »... De sorte que 75 % des crédits identifiés en faveur de la diplomatie économique relèvent, pour l'année prochaine, non du Quai d'Orsay, mais de Bercy !
Nous avons bien compris que l'essentiel des moyens de la diplomatie économique tient dans une mobilisation du réseau diplomatique (qui dépend du programme 105) et celle du réseau consulaire (qui relève du programme 151), et que cette mobilisation n'est pas quantifiée au plan budgétaire. Mais, précisément, cette absence de quantification - dont les ressources de la comptabilité analytique devraient pourtant autoriser un calcul - est gênante, car elle fait obstacle à la capacité du Parlement d'apprécier, aujourd'hui, l'adéquation des moyens prévus aux objectifs fixés à une politique réputée prioritaire et, demain, l'efficience de l'action conduite en la matière, dont la mesure supposerait de rapporter les résultats aux moyens qui auront été alloués.
Il faudra donc qu'un plus grand effort d'information soit témoigné, à l'avenir, de la part du Gouvernement, pour rendre compte de cette action, en indiquant le plus complètement possible suivant quels objectifs et pour quels coûts elle aura été menée. Du reste, le meilleur indicateur sera l'évolution du solde de notre balance commerciale !
Sur le fond, Leila Aïchi développera sans doute le contenu de notre rapport commun mais, pour ma part, je pense que cette politique de « diplomatie économique » reste à consolider au moyen, principalement, d'un renforcement de l'implication des régions françaises. Les régions représentent en effet des acteurs de premier plan pour le soutien des PME exportatrices ; leur mobilisation constitue donc une clé maîtresse pour redresser notre commerce extérieur. Car ce sont ces PME qui ont besoin de soutien à l'international : les grands groupes savent prendre par eux-mêmes les contacts à l'étranger dont ils ont besoin ! Le dispositif des « ambassadeurs pour les régions », que le Gouvernement a mis en place, va dans ce sens, mais il demeure insuffisant. Les régions doivent être plus amplement et plus systématiquement associées aux initiatives des services de l'État en faveur du développement économique national à l'étranger, notamment pour la préparation et dans la réalisation des déplacements officiels.
Malgré les réserves que je viens d'exposer, c'est sous le bénéfice de ces observations et de celles que va vous présenter Leila Aïchi dans un instant, qu'elle et moi - j'anticipe un peu - émettrons une appréciation globalement positive sur les crédits inscrits dans le PLF 2015 pour le programme 105, notamment parce que ce budget préserve les moyens du réseau diplomatique.