Intervention de Leila Aïchi

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 26 novembre 2014 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2015 — Mission « action extérieure de l'etat » - programme « action de la france en europe et dans le monde » - examen du rapport pour avis

Photo de Leila AïchiLeila Aïchi, rapporteure :

Comme mon collègue Christian Cambon l'a déjà indiqué, les crédits du programme 105 sont en baisse, dans le PLF 2015 (- 2,5 %), et cette baisse résulte d'abord des hypothèses retenues pour les contributions obligatoires dues par la France aux organisations internationales et aux opérations de maintien de la paix. Je suis moi aussi fort sceptique sur certaines de ces hypothèses, notamment le taux de change entre le dollar et l'euro, qui devra vraisemblablement être révisé.

Cela dit, dans la baisse des contributions internationales, il faut mettre au crédit du Gouvernement un constant effort de la France pour faire adopter, par les 72 organisations internationales et autres instruments internationaux auxquels notre pays est partie, un budget en croissance zéro. La France adopte en effet, au sein des instances de gouvernance de ces organisations, une ligne systématique de rigueur, fondée sur l'évaluation de la performance et sur la bonne gestion. De manière générale, notre pays souhaite rationaliser et mieux maîtriser les coûts de fonctionnement du système onusien. C'est là une ligne qu'on ne peut que soutenir.

Par ailleurs, une économie de 6,3 millions d'euros par an résulte du retrait de la France de l'Organisation des Nations unies pour le développement industriel (l'ONUDI), décidé en 2013. Ce retrait, vous le savez, était le premier qu'effectuait notre pays, acteur de premier plan dans le système multilatéral, d'une organisation internationale dont il était membre. D'après les indications qui nous ont été données, il n'est pas envisagé de poursuivre dans cette voie, car le retrait d'une organisation internationale n'entraîne d'économies significatives que si la contribution en cause est suffisamment importante ; or le retrait d'une organisation importante se traduit par un coût politique, en termes de recul d'influence internationale. Ce coût politique a été jugé mineur dans le cas de l'ONUDI, mais il ne le serait pas forcément dans le cas d'autres organisations.

On notera en effet que la France ne verse actuellement que quatorze contributions obligatoires (l'ensemble des opérations de maintien de la paix étant compté comme l'une de ces contributions) dont le montant est plus important que celui qui était dû à l'ONUDI. Ces contributions concernent notamment l'ONU, l'OTAN, l'OMS, l'OCDE... que l'on voit mal la France quitter. À elles seules, ces contributions représentent plus de 90 % de celles que supporte le programme 105.

L'orientation à la baisse des crédits prévus pour l'année prochaine, pour le programme 105 comme pour la mission « Action extérieure de l'État » dans son ensemble, traduit également l'effort du ministère des affaires étrangères pour contribuer au redressement de nos comptes publics en poursuivant la baisse de ses effectifs. Je voudrai m'arrêter un instant sur ce sujet.

Le plafond d'emplois retenu par le PLF 2015 pour le programme 105 - c'est-à-dire l'administration centrale du Quai d'Orsay et le réseau diplomatique -, avec 7 920 ETPT, représente 65 % du plafond d'emplois de la mission « Action extérieure de l'État » l'année prochaine. Le réseau culturel, relevant du programme 185, disposera quant à lui de 918 ETPT et le réseau consulaire, objet du programme 151, de 3 334 ETPT.

Pour le programme 105, ce plafond représente une diminution de 109 ETPT, soit 1,35 % ; c'est la moitié de la diminution des effectifs programmée pour l'ensemble de la mission « Action extérieure de l'État ». Les dépenses de personnel associées à ces effectifs seront contenues, pour le programme 105, à 603,9 millions d'euros, soit une baisse de 0,3 % par rapport à 2014.

Selon les données transmises par le ministère, pour l'ensemble de celui-ci (donc en tenant compte de tous les programmes de la mission « Action extérieure » et du programme 209 « Solidarité avec les pays en développement » de la mission « Aide publique au développement »), les crédits de rémunération diminuent de 0,7 % par rapport à 2014. Sur la période du budget triennal 2015-2017, la diminution des emplois du ministère devrait atteindre 450 ETPT ; la répartition de ces diminutions entre programmes n'est cependant pas encore arbitrée au-delà de l'année prochaine. Cet objectif marque la poursuite d'une tendance engagée depuis près de dix ans. Je crois qu'il faut saluer cette contribution à l'effort de maîtrise de la dépense publique, aussi rude soit-elle.

De même, il faut saluer des mesures qui visent à limiter l'année prochaine, notamment, les frais de représentation et d'indemnités de changement de résidence.

Le programme 105, en 2015, poursuivra en effet un mouvement engagé depuis plusieurs années : la réduction des dotations destinées aux frais de représentation et dépenses dites « de protocole ». De 2007 à 2014, les crédits de représentation de l'Hôtel du ministre ont ainsi baissé de 45 % ; ils représentent, pour 2014, un peu moins de 2 millions d'euros. Pour 2015, le PLF prévoit, à ce titre, 1,6 million d'euros. Dans les ambassades, les dotations au titre des frais de représentation ont diminué de près d'un tiers de 2007 à 2014 ; ils représentent actuellement 8,4 millions d'euros. Le recours au « sponsoring » des entreprises françaises a en partie compensé cette baisse.

Les dépenses liées aux voyages de mutation et indemnités de changement de résidence, de même, évaluées pour le PLF 2015 à 20,5 millions d'euros, enregistreront ainsi une économie de 0,5 million. Cette économie résulterait d'un changement de voyagiste, dans le cadre d'une réattribution du marché, de l'allongement progressif de la durée d'affectation des agents, et de ce que la documentation budgétaire désigne soit comme une « rationalisation de la détermination des droits », soit comme « une application stricte des textes réglementaires » - ce qui laisse penser que la gestion passée a pu manquer de rigueur... En tout cas, on ne peut qu'approuver cette exploitation légitime d'un gisement d'économies !

L'ensemble de ces économies, ainsi que celles que Christian Cambon a critiquées pour ce qui concerne la coopération de sécurité et de défense - pourtant un outil indispensable de notre politique de prévention des conflits - permettent, il l'a dit, de préserver les moyens de fonctionnement, essentiels, qui augmenteront l'année prochaine de 1,5 % par rapport à cette année, et les moyens destinés à la sécurisation des postes, non moins importants.

Concernant ce dernier point, à compter de 2014, un budget supplémentaire de 20 millions d'euros par an, sur trois ans, a été programmé par la voie d'un redéploiement de crédits. Les dépenses que tend à couvrir ce budget sont en partie liées à l'obligation de mettre en place des moyens techniques modernes de surveillance.

Cette année, au total, 31,3 millions d'euros sont consacrés à la sécurité du réseau diplomatique. La priorité est donnée aux postes qui nécessitent une remise à niveau urgente, notamment Le Caire, Tripoli, Niamey, Bamako, Jakarta, Abuja, N'Djamena, Bangui, Beyrouth, Dakar, Islamabad, Kaboul, Nouakchott ou encore Téhéran. Tous ces projets, commencés en 2013 voire avant, pourront encore durer un voire deux ans, ce qui témoigne de la difficulté de sécuriser en urgence des emprises dont l'architecture n'est pas toujours adaptée, avec des coûts en constante augmentation.

L'effort se trouve conforté dans le projet de budget triennal pour 2015-2017. L'enveloppe allouée pour 2015 au profit de la sécurité des postes à l'étranger s'élève ainsi à 29,1 millions d'euros au total. Aujourd'hui, seuls 42 % des postes sont considérés comme mis à niveau face à la menace qui prévalait au moment du démarrage des travaux.

Je voudrais dire à présent quelques mots du redéploiement de notre réseau diplomatique. Le basculement de ce réseau, le troisième du monde, d'un héritage, implanté en Europe occidentale et en Afrique, vers un réseau d'avenir, présent en Asie et dans les grands pays émergents, est une priorité affichée ; mais quels sont les résultats ?

Nous notons bien évidemment avec grande satisfaction le redéploiement de 300 postes en trois ans vers les pays prioritaires (Chine, Inde, Afrique du Sud, Indonésie, par exemple) et nous nous félicitons que la Chine, l'Inde, le Brésil, soient entrées dans le « top 10 » des plus gros postes diplomatiques français.

Ce redéploiement est indispensable pour la réussite de notre diplomatie économique. Toutefois, force est de constater, que cette évolution reste lente, trop lente. Les chiffres évoqués par Christian Cambon sont particulièrement révélateurs de cette inadaptation et méritent d'être rappelés : au 1er janvier de cette année, les effectifs étaient encore répartis à plus de 40 % en Afrique et au Moyen-Orient, contre seulement 16 % en Asie. Pourtant cette région présente de nombreux enjeux économiques, stratégiques et politiques pour la France et l'Union Européenne. Encore d'autres chiffres : au 31 décembre 2013, l'ambassade du Maroc comptait 336 ETP, soit plus que la Chine (311 ETP) ; et le Sénégal devançait largement le Brésil avec 208 ETP contre 177.

Du reste, ne nous enfermons pas dans une vision trop étroite de l'émergence. Je me permettrai de réitérer une proposition que j'avais déjà formulée, l'année dernière, en tant que rapporteure pour avis sur le même programme : instituer une représentation permanente de plein exercice auprès de l'Union Africaine. Je pense que l'idée fera son chemin : l'Afrique de deux milliards d'habitants demain, sa classe moyenne qui monte, ses ressources naturelles et ses taux de croissance ne nous attendront pas ! Notre ambassade à Addis-Abeba, qui fait aujourd'hui fonction de cette représentation permanente auprès de l'Union Africaine, ne peut pas tout faire. Cette création serait un signal fort de notre confiance dans l'avenir du continent africain.

Je voudrais enfin revenir, comme l'a prévu Christian Cambon, sur les enjeux de la diplomatie économique.

Cette politique, en pratique, vise à coordonner les initiatives diplomatiques et celles des entreprises, dans le but de favoriser le développement des entreprises françaises à l'international et de promouvoir l'attractivité de notre pays pour les investisseurs et pour les touristes étrangers. C'est une orientation bienvenue dans un contexte où la part de marché de la France au sein du commerce mondial, désormais de l'ordre de 3 %, s'est fortement dégradée, y compris au sein de la zone euro, et alors que les exportations françaises ont enregistré, l'année dernière, un repli de 1,3 %, après une croissance ralentie en 2012.

Cette mobilisation de l'outil diplomatique fait de longue date partie intégrante du rôle des représentants de la France à l'étranger ; mais c'est, depuis quelques années, l'une des premières priorités du ministère chargé des affaires étrangères. Dans cette perspective, depuis 2012, le Gouvernement a pris une série d'initiatives ; je les rappelle : la création, à compter du 1er mars 2013, de la direction des entreprises et de l'économie internationale ; l'instauration de conseils économiques pour les postes diplomatiques situés dans un pays recevant plus de 50 millions d'euros d'exportations françaises ; l'insertion systématique d'un volet économique dans les plans d'action des ambassades ; la nomination d'« ambassadeurs pour les régions » et celle de représentants spéciaux dans certains pays ou régions clés. Le décret du 16 avril 2014 est venu compléter ces réformes, en offrant une pleine latitude au ministère, désormais « des affaires étrangères et du développement international », pour piloter le commerce extérieur et la promotion internationale du tourisme en France.

Je ne reviens pas sur les paradoxes de l'imputation budgétaire pour 2015 qu'a relevés Christian Cambon. Je souscris, bien sûr, aux propos qu'il a tenus sur la nécessité que le Gouvernement rende mieux compte, à l'avenir, des objectifs qu'il se donne et des moyens qu'il déploie au service de la diplomatie économique. Je souscris également pleinement à sa préconisation que les régions soient mieux associées à cette action.

Je signalerai brièvement trois autres voies qui me paraissent devoir également être suivies, afin de contribuer au succès en la matière.

En premier lieu, une réflexion sur le recrutement, la carrière et la formation des diplomates semblerait fort opportune, dans la mesure où la plupart d'entre eux ne sont pas naturellement familiers du monde économique.

En deuxième lieu, il conviendrait de mettre en oeuvre les préconisations récemment émises par la Cour des comptes en vue de clarifier et hiérarchiser les missions des services économiques à l'étranger, et de rationaliser leur organisation en recentrant ce réseau sur les zones à fort enjeux, comme le réseau diplomatique dans son ensemble.

En troisième lieu, la promotion du tourisme en France doit être accentuée, compte tenu des enjeux considérables qui s'attachent pour l'avenir à ce secteur. Je rappelle les propos que le ministre, M. Laurent Fabius, a tenus devant nous, lors de son audition du 14 octobre dernier : « actuellement, 150 millions de Chinois voyagent, mais dans 15 ans, ils seront 500 millions ! Si nous savons les attirer, notre balance extérieure s'en ressentira ». À cet effet, en particulier, l'amélioration de notre système de délivrance de visas me semble incontournable.

En dernier lieu, il faudrait, je crois, améliorer, en quantité et en qualité, la « présence politique » de l'État qu'assurent les visites officielles, notamment les déplacements ministériels, dans les pays où les entreprises françaises sont susceptibles de se développer. Souvent, ces visites constituent des occasions essentielles de mise en valeur des atouts de nos PME ; les multiplier, c'est donc ajouter à leurs chances. Encore doivent-elles être calibrées - en termes de durée sur place, notamment - pour ne pas produire un contreproductif effet d'« attente déçue ».

Sous le bénéfice de ces observations, et malgré nos réserves, Christian Cambon et moi-même émettons une appréciation positive sur les crédits inscrits dans le PLF 2015 pour le programme 105. Cette appréciation nous conduit à recommander à la commission un vote favorable sur les crédits de la mission « Action extérieure de l'État » dans son ensemble.

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