Avant d'entrer dans la description des crédits eux-mêmes, dans quel contexte l'aide publique au développement s'inscrit-elle en 2014-2015 ?
A la suite des assises du développement, un projet de loi d'orientation et de programmation de la politique du développement et de la solidarité internationale a été présenté. Notre commission a beaucoup contribué à l'amélioration de ce texte, qui reste un document-cadre assez général. Il a le mérite d'exister et de conforter le rôle du Parlement dans la discussion de cette politique, longtemps restée l'apanage du Gouvernement.
Cette loi fixe un certain nombre de principes généraux :
- elle affiche deux priorités transversales : la place des femmes et la lutte contre le changement climatique ;
- elle décline dix secteurs prioritaires d'intervention et confirme le principe des partenariats différenciés, c'est-à-dire la mobilisation d'outils et de financements différents selon l'état de développement du pays partenaire.
Examiner cette loi en 2014 était d'autant plus important que le monde connait des mutations particulièrement fortes et rapides. La pauvreté a diminué de manière spectaculaire et des progrès considérables ont été accomplis dans de nombreux secteurs, mais ces progrès ont été inégaux entre régions du monde, entre pays et entre groupes de populations, les personnes vivant dans des zones rurales restant particulièrement désavantagées.
Le décollage de l'Afrique est indéniable, les changements sont structurels, mais là aussi avec une répartition très inégale et un terrible paradoxe : la pauvreté recule globalement mais le nombre de personnes pauvres augmente.
En Afrique et sur les autres continents, plusieurs pays sont spectaculairement sortis du « tiers-monde » pour devenir des « grands émergents ». Ces pays mettent d'ailleurs eux-mêmes en place des politiques de soutien à certains de leurs partenaires, souvent en lien avec leurs intérêts économiques, ce qui contribue à expliquer que les niveaux d'aide progressent au niveau mondial. De fait, de nouveaux contributeurs apparaissent, que ce soient des pays que nous n'aurions pas imaginé dans ce rôle quelques années en arrière (la Chine, le Brésil, l'Arabie Saoudite ou le Qatar,...), mais aussi des fondations privées. Par exemple, la seule fondation « Bill et Melinda Gates » a accordé environ 3 milliards de dollars de subventions pour la seule année 2012.
Par ailleurs, l'année 2015 marque la dernière année des objectifs du millénaire pour le développement (OMD), fixés en 2000 par les 189 Etats des Nations unies. Un nouveau Sommet devrait avoir lieu en septembre 2015 pour adopter un nouvel ensemble d'objectifs qui devraient, selon les projets du Secrétaire général des Nations unies, faire converger dans un seul agenda les objectifs du développement durable (ODD) et les OMD.
En 2015 aura également lieu la conférence COP 21 ou « Paris Climat 2015 » qui manifeste aussi cette convergence entre développement et développement durable, en l'occurrence le changement climatique. Si cette problématique concerne l'ensemble de la planète, on voit bien qu'elle contient un fort aspect d'aide au développement. C'est par exemple la logique du « Fonds vert pour le climat » qui est destiné à aider les pays en développement à entrer dans une ère moins carbonée, en réduisant leurs émissions de gaz à effet de serre et en s'adaptant aux effets du réchauffement. La France s'est engagée, par la voix du Président de la République, à apporter un milliard de dollars pour ce Fonds, les Etats-Unis viennent d'annoncer 3 milliards et le Japon 1,5 milliard. Pour autant, nul ne sait encore très précisément comment ce milliard sera financé... Il s'agira certainement, c'est ce que pratiquent beaucoup de gouvernements, du « recyclage » d'enveloppes déjà programmées et il s'agira largement de prêts...
Appréhender le développement par le développement durable est évidemment une orientation fondamentale mais il serait très réducteur de se limiter à cette question, pour importante qu'elle soit.
Je vous rappelle que, d'ici à 2050, la population de la planète passera de 7 à 9,2 milliards d'habitants, celle de l'Afrique doublera, mais qu'en même temps, la population vieillira et s'urbanisera. De ce fait, l'aide au développement doit rester focalisée sur les services de base rendus à la population : l'éducation, la santé, les services publics en général. Si l'éducation n'est pas au rendez-vous, un pays ne peut pas réussir sa transition démographique car les jeunes ne peuvent pas accéder au marché du travail.
Par ailleurs, cette croissance démographique nécessitera une augmentation de la production alimentaire mondiale de l'ordre de 60%. Aujourd'hui, il reste déjà un important retard à combler en la matière : seuls des progrès faibles et inégaux ont été réalisés en matière de réduction de la malnutrition et un peu plus de 800 millions de personnes continuent de souffrir de faim chronique, c'est-à-dire qu'elles n'ont pas régulièrement accès à une nourriture en quantité suffisante pour mener une vie active. En outre, plus de 2 milliards de personnes souffrent de carences en micronutriments.
Cet enjeu alimentaire est d'autant plus important que les pays touchés par la malnutrition sont souvent aussi ceux dont la croissance démographique est la plus forte, singulièrement en Afrique. N'oublions pas les conséquences dramatiques des émeutes de la faim !
Dans ce schéma d'ensemble, comment se présente l'aide française au développement ?
Les crédits de la mission « Aide publique au développement » ne constituent qu'une partie de l'aide telle qu'elle est comptabilisée par l'OCDE. Troisième contributeur mondial en volume en 2010, avec 9,75 milliards d'euros d'APD nette, la France n'est plus que cinquième en 2013 avec 8,54 milliards. Et notre APD ne devrait s'élever qu'à 7,9 milliards d'euros en 2014, ce qui constituerait une quatrième année de baisse consécutive. En quatre ans, elle aura donc baissé globalement d'environ 18%. Elle est censée remonter sensiblement en 2015 en raison des prêts que la France devrait accorder à la Banque mondiale et au futur Fonds vert pour le climat.
Après avoir représenté 0,5% du RNB en 2010, l'APD française a chuté à 0,41% en 2013, loin de l'objectif international des 0,7% que n'atteignent que la Norvège, la Suède, le Luxembourg et le Danemark mais aussi, pour la première fois, le Royaume-Uni qui a fait un effort particulier en 2013 en matière de développement.
Pour autant, si l'objectif des 0,7% reste symboliquement important, notamment pour nos pays partenaires, la statistique en elle-même doit être maniée avec précaution car elle amalgame un certain nombre de dépenses très diverses dont le lien est parfois ténu avec le développement.
Au total, même si la tendance est clairement baissière depuis plusieurs années, nous n'avons pas à rougir de la politique de la France ; la politique du développement est une grande réussite de notre pays et elle contribue grandement à son rayonnement international.
Au sein de l'APD, les seuls crédits budgétaires de la mission ne représentent que 34% de l'effort total : 2,8 milliards d'euros pour 2015. Reflet de ce que je vous disais précédemment sur l'ensemble de l'aide, les crédits de la mission suivent une tendance peu favorable. Dans la loi de programmation des finances publiques 2011-2014, les crédits étaient stables autour de 3,3 milliards ; dans celle pour 2012-2017, ils l'étaient autour de 3,1 milliards mais, dans le projet de loi en cours d'examen au Parlement pour la période 2014-2019, ils démarrent à 2,8 milliards en 2015 pour descendre à moins de 2,7 en 2017. Ainsi, le plafond des crédits pour 2017 est inférieur de 650 millions d'euros à celui de 2011, soit une baisse de 20% en six ans. D'ailleurs, la mission APD sera l'une des plus touchées parmi les missions de l'Etat dans la programmation en cours.
Bien sûr, on peut comprendre que, dans des circonstances exceptionnelles, des mesures exceptionnelles soient prises. Elles doivent toutefois conserver ce caractère exceptionnel et donc rester limitées dans le temps, ce qui risque malheureusement de ne pas être le cas en l'espèce. Le signal politique d'une érosion continue des crédits n'est pas particulièrement pertinent ; nous devons être conscients des difficultés mais regretter tout de même cette situation peu favorable.
Il est vrai que le Gouvernement explique que la baisse n'est pas aussi forte en réalité qu'en apparence, car elle est compensée par l'accroissement de la part des financements innovants affectée au développement.
Or je souhaite rappeler avec force que, lorsque le Président Chirac a lancé le chantier de la taxe de solidarité sur les billets d'avion, il était convenu de toute part - cela a été formalisé dans une résolution des Nations unies de décembre 2010 sur les mécanismes innovants de financement du développement - que ce type de financements devait venir compléter les financements classiques, non s'y substituer.
Je regrette que le Gouvernement, alors même qu'il fait des efforts sur cette question, entre dans cette logique de la substitution. Annick Girardin disait ainsi devant notre commission : « les crédits baissent ... mais ce mouvement est atténué par le reversement de la quote-part des financements innovants ». Nous ne devons pas nous satisfaire de cette situation qui ne peut qu'être utilisée par Bercy pour rogner de plus en plus les crédits budgétaires. Cela me semble donc être une mauvaise voie et un mauvais signal.