Intervention de Hélène Conway-Mouret

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 26 novembre 2014 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2015 — Mission « aide publique au développement » - examen du rapport pour avis

Photo de Hélène Conway-MouretHélène Conway-Mouret, rapporteure :

Le Gouvernement a réalisé, depuis 2012, des efforts importants quant aux financements innovants consacrés au développement :

- le 1er avril dernier, il a ainsi augmenté les tarifs de la taxe de solidarité sur les billets d'avion de 12,7% afin de rattraper l'inflation accumulée, alors que ces tarifs n'avaient pas évolué depuis 2006. De ce fait, alors que les recettes de la taxe étaient stabilisées autour de 180 millions d'euros depuis 2011, elles atteindront 208 millions en 2014 et 222 millions en 2015 selon les prévisions qui nous ont été transmises.

Depuis le 1er janvier 2014, les recettes de cette taxe affectées au développement sont cependant plafonnées à 210 millions, plafond qui sera appliqué en 2015 : un écrêtement de 12 millions devrait de ce fait être constaté. Je salue l'effort du Gouvernement pour revaloriser les recettes de la taxe ; il me semble cependant que nous aurions pu éviter ce plafond alors que cette taxe a justement été conçue pour contribuer au développement. On ne peut que le regretter.

- le Gouvernement a ensuite concrétisé, dès août 2012, un projet ancien : la taxe sur les transactions financières. Elle devrait rapporter 780 millions d'euros en 2014 dont 15% seront théoriquement affectés au développement mais là aussi un plafond s'applique. En pratique, 100 millions seulement devraient abonder cette année le fonds de solidarité pour le développement.

En 2015, le Gouvernement poursuit l'effort engagé en 2012, en portant la part affectée au développement de 15% à 25%. Mais le message est quelque peu brouillé car le plafond effectif n'est pas relevé dans les mêmes proportions. Il était prévu de le porter de 100 millions à 130 millions ; un amendement adopté à l'Assemblée nationale le porte à 140 à ce stade du débat parlementaire. Le Gouvernement a annoncé une augmentation du plafond qui passera à 160 millions à partir de 2016, ce qui constitue un nouveau signe encourageant.

Pour en venir plus directement aux crédits de la mission APD, ils s'élèveront à 2,8 milliards d'euros en 2015. Ils baissent globalement de 2,9%. Les évolutions sont cependant contrastées selon les lignes.

Il faut savoir que la mission compense à l'AFD et à des organisations internationales le coût pour elles des décisions d'annulations de dette prises par les Etats. Les crédits destinés à cette compensation refluent de 54 millions en 2015, soit une chute de 33%. Cette évolution est cependant positive - ce qui n'est pas le moindre des paradoxes -, puisqu'elle traduit le fait que le nombre de pays surendettés diminue.

Sans cette ligne de crédits tout à fait particulière, la mission Aide publique au développement baisse de 1%.

En outre, les dépenses de personnel du programme 209, celui géré par le Quai d'Orsay, baissent de 2,1%, ce qui symbolise la volonté du Gouvernement de préserver au maximum les crédits d'intervention. Pour autant, la diminution des crédits de personnel ne doit pas se faire indistinctement ; elle doit plutôt passer par des réformes structurelles permettant une mutualisation poussée entre les réseaux français à l'étranger, au premier rang desquels celui de l'AFD et les SCAC. Cette mutualisation ne peut qu'accroitre notre efficacité sur le terrain. Je crois que le ministère aurait tout intérêt à travailler en ce sens.

Les financements multilatéraux, y compris à destination du Fonds européen de développement (FED), baissent légèrement (-0,8%), mais là aussi avec des évolutions contrastées.

Ainsi, la participation de la France au FED devrait progresser de 3,4% pour atteindre 704 millions d'euros ; elle représentera ainsi un quart des crédits de la mission. Nous aurons l'occasion d'examiner plus avant le FED lorsque nous devrons, début décembre, autoriser la ratification du 11ème FED pour la période 2014-2019 ; je ne m'y étends donc pas davantage aujourd'hui.

La deuxième contribution multilatérale la plus importante est destinée à l'Association internationale de développement (AID), guichet concessionnel de la Banque mondiale. La contribution de la France, qui passe de 1,2 milliard sur 2012-2014 à 1 milliard sur 2015-2017, baissera de 19% pour atteindre 323 millions en 2015. Cette évolution est compensée par le fait que la France accordera un prêt à taux zéro de 430 millions à l'AID. On peut bien sûr s'interroger sur la pertinence de prêter à un organisme qui lui-même prête aux pays en développement. Il est vrai que l'effet de levier est ainsi amplifié. La France soutient cette idée. Nous nous interrogeons tout de même sur l'idée d'utiliser l'AFD comme intermédiaire financier de cette opération : si l'Etat empruntait lui-même, son coût serait certainement moins élevé.

La troisième contribution multilatérale est destinée au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Elle baisse de 14% pour atteindre 187 millions en 2015. Selon le Gouvernement, cette baisse de 30 millions sera là encore compensée par une augmentation des financements innovants à destination du Fonds mondial, ce qui permettra de stabiliser la contribution globale de la France à 360 millions en 2015. L'augmentation des financements innovants devrait apporter au total une quarantaine de millions d'euros supplémentaires en 2015. Il n'est pas certain que cela suffise à couvrir l'ensemble des engagements de la France auprès des organisations internationales qui doivent être financés par les financements innovants.

Du côté des aides bilatérales (hors compensation du traitement de dettes), les crédits sont globalement stables (-0,4%) à 873 millions.

Je désire distinguer deux lignes particulières au sein de cette enveloppe :

- la bonification des prêts de l'AFD tout d'abord, qui progresse de 2,3% et atteint dorénavant 178 millions. Cela représente le coût pour l'Etat de la différence entre le taux auquel l'AFD emprunte sur les marchés et le taux auquel elle prête. L'augmentation de ce « coût-Etat » reflète la forte progression de l'activité prêts de l'AFD : les seuls prêts bonifiés sont passés de 1,4 milliard en 2007 à 1,9 milliard en 2013 ;

- les dons-projets ensuite, qui sont préservés en crédits de paiement (306 millions) et progressent même en autorisations d'engagements (+0,9%). Selon la loi d'orientation, les dons-projets bénéficient principalement aux pays pauvres prioritaires. Nous pouvons donc nous réjouir que l'enveloppe qui leur est dédiée soit préservée en 2015 malgré les contraintes financières que nous connaissons. Cela reflète clairement les priorités budgétaires du Gouvernement.

On peut également saluer la poursuite en 2015 de l'augmentation de la part des dons-projets qui transitent par les ONG, conformément à l'engagement du Président de la République de doubler le montant de ce type de financement de l'APD d'ici la fin du quinquennat.

Les deux lignes budgétaires que je viens d'évoquer (bonifications et dons-projets) représentent environ 55% des aides bilatérales de la mission, ce qui relativise l'idée que nos outils sont dispersés.

Nous avons déjà discuté en commission de l'équilibre entre les prêts et les dons : les prêts apportent une réelle plus-value à l'aide au développement, notamment dans les pays émergents grâce à son effet de levier particulièrement intéressant. Les dons doivent cependant rester à un niveau suffisant pour permettre de financer des projets dans les pays pauvres prioritaires, pays qui peuvent beaucoup moins bénéficier de prêts.

Ce débat agite l'Assemblée nationale, comme notre commission, depuis plusieurs années. Cette année, les députés ont déposé et fait adopter, contre l'avis du Gouvernement, un amendement tendant à diminuer les bonifications de prêts de 35 millions pour abonder les dons-projets de la même somme. Nous ne proposons pas de revenir sur cet amendement. Il ne constitue certes pas une réponse adaptée, d'une part, parce que l'AFD a déjà engagé un certain nombre de ces prêts, d'autre part, parce qu'il nous semble un peu vain - voire contre-productif - d'opposer ces deux outils qui sont complémentaires. Pour autant, notre commission estime que les dons-projets ont trop baissé dans les dernières années et ont atteint un seuil critique. C'est pourquoi ces 35 millions ne seront pas superflus ! Pour les bonifications de prêts, le Gouvernement peut très bien faire porter l'effort sur une autre ligne budgétaire puisque techniquement c'est le programme 110 dans son ensemble qui est affecté.

En tout état de cause, on voit bien avec la crise provoquée par le virus Ebola que les dons-projets sont indispensables. Si la communauté internationale s'est mobilisée en matière de santé depuis une dizaine d'années, en levant des financements nouveaux qui se sont révélés précieux pour l'achat de médicaments, d'équipements ou pour la vaccination, la crise actuelle démontre l'absolue nécessité de ne pas négliger le soutien aux services publics, en l'espèce les systèmes de santé. Pour combattre une telle maladie ou pour lutter efficacement contre la mortalité maternelle et infantile, la population doit avoir confiance dans un système qui l'accueille facilement et efficacement. Ces actions passent par la coopération technique et par des subventions ou des aides budgétaires globales qui pourraient y être affectées.

En ce qui concerne plus précisément Ebola, la France prend toute sa part dans les actions menées par la communauté internationale, ainsi que la ministre de la santé a récemment pu le rappeler en séance devant le Sénat. Elle répond à des besoins d'urgence, par exemple en finançant plusieurs centres de traitement des malades en Guinée, y compris en zone reculée comme en Guinée forestière, et elle agit aussi sur le moyen terme en finançant, à Conakry, un centre d'expertise de l'Institut Pasteur chargé de diagnostic et de formation. Ces projets contribuent aussi au rayonnement de la France. Le Gouvernement a annoncé une première enveloppe de 30 millions sur la gestion 2014 et il a déposé un amendement en seconde délibération à l'Assemblée nationale pour redéployer 40 millions au sein du programme 209 sur 2015.

Par ailleurs, cet amendement diminue le programme 110 d'un montant de 11 millions. L'ensemble des missions du budget de l'Etat sont en effet mises à contribution ; nous l'avons vu ce matin sur la mission « Défense ».

Enfin, je voudrais conclure cette première intervention en tant que co-rapporteur de l'aide au développement en rappelant une position souvent avancée par notre commission. L'aide au développement doit être appréhendée de manière globale. Tout ce que fait la France pour stabiliser certains pays constitue aussi - à n'en pas douter - une contribution au développement. Sans stabilité, sans sécurité, il ne peut y avoir de développement ! Ce n'est pas une condition suffisante mais elle est nécessaire.

Pour toutes les raisons que nous venons d'évoquer, y compris les points auxquels nous serons attentifs, nous vous proposons d'apporter un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Aide publique au développement » du projet de loi de finances pour 2015.

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