Intervention de Christiane Kammermann

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 5 novembre 2014 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2015 — Audition du général jean-pierre bosser chef d'état-major de l'armée de terre

Photo de Christiane KammermannChristiane Kammermann :

Vous avez exprimé le ressenti des militaires et perçu un sentiment de dégradation dans l'exercice du métier. Pour ma part, je regrette l'abandon du service militaire, vous pourriez disposer, grâce à celui-ci, de la capacité de former des hommes prêts à servir dans les armées. Pourrait-on y revenir ?

Dans certaines opérations extérieures, nous mesurons combien nos soldats sont exposés à l'agressivité d'un ennemi qui connaît le terrain et sait se protéger. Pour autant, l'intervention au sol est nécessaire et nous mesurons le risque et le dévouement de nos soldats.

Général Jean-Pierre Bosser, chef d'état-major de l'armée de terre. - Les armées disposent de trois types de drones qui ont chacun leur place. Les DRAC sont des petits aéronefs lancés à la main qui permettent à une unité de voir ce qui se passe dans son environnement immédiat, derrière la ligne de crête. C'est l'outil de la compagnie de tête. Le SDTI permet quant à lui d'éclairer la situation tactique du GTIA plus loin et plus longtemps. C'est typiquement le moyen qui précède un convoi, sur une distance plus importante, qui reconnaît son itinéraire, préparera l'intervention des hélicoptères pour appuyer, couvrir ou dégager cet itinéraire. C'est l'outil du chef de corps. Le drone MALE pour sa part est un drone stratégique qui permet de surveiller un vaste territoire, pendant de longues heures, pour détecter des cibles qui seront traitées le plus souvent par frappe aérienne. Ces trois types de drones ne sont pas substituables car ils sont complémentaires. Très logiquement, et l'expérience l'a d'ailleurs montré, les priorités d'emploi du niveau stratégique « écrasent » les besoins vitaux en renseignement du chef tactique. Au bilan, affecter à un emploi tactique un moyen tel que le drone MALE irait à l'encontre du principe de différenciation et de la logique d'économie des coûts. Le drone tactique est donc le drone de la subsidiarité et de la complémentarité car il remplit à coût plus réduit des missions de renseignement et de protection aux profits des unités au contact, réservant l'emploi des drones MALE, plus performant et onéreux, à des opérations d'un niveau d'intérêt supérieur.

S'agissant du choix du SDTI, l'armée de terre s'est intéressée au Watchkeeper qui est en service dans l'armée britannique qui en est satisfaite. Une mise en concurrence a été décidée. Dans ce cas, les offres qui seront présentées avec de bons rapports coût-efficacité seront étudiées avec attention.

Avant de répondre sur les hélicoptères, je voudrais faire une remarque sur l'usure des matériels qui dépend des conditions dans lesquelles ils sont mis en oeuvre. Le Mali nous en apporte une illustration éclatante : en presque deux ans d'emploi dans le désert malien, les VAB présentent les mêmes symptômes de fatigue et le même taux d'usure que ceux utilisés en 10 ans d'Afghanistan.

Nous avons aussi ce type de problèmes s'agissant des hélicoptères. Pour le Tigre, le niveau de disponibilité peut paraître faible, mais il résulte du choix du commandement et de la maintenance de procéder à des visites régulières d'entretien. Le NH90 a été projeté pour la première fois en opérations extérieures cette semaine. Il est encore tôt pour en tirer des enseignements. Concernant les différentiels de coûts de maintien en condition, ils s'expliquent par le fait que l'armée de terre vient de recevoir ses premiers NH90. Nous supportons donc les coûts d'entrée de programme (commande de pièces, lot d'outillage) qui augmente mécaniquement le coût du MCO. J'observe que l'on nous a fait le même faux procès l'an dernier à propos des Caracals. Or sur des flottes stabilisées et comparables, le coût à l'heure de vol dans l'armée de terre est le plus faible : 7 000 € pour le Puma et de 13 000 € pour le Cougar. Le Tigre a été déployé dans des conditions très différentes en Afghanistan, dans la bande saharo-sahélienne et en RCA dans des périodes à hygrométrie défavorable. Il a montré son efficacité et sa polyvalence. Nous espérons que le NH90 sera aussi robuste. Je note que ces matériels ont fait l'objet de programmes d'armement. Le Caracal a, quant à lui, été acheté pour un emploi spécifique, il n'a pas fait l'objet d'un programme. Il n'est donc pas si étonnant qu'il soit moins polyvalent lorsqu'il est employé dans d'autres conditions que celles pour lesquelles il a été conçu.

La première phase du programme Scorpion a été lancée, nous devrions recevoir, avant 2019, 92 VBMR sur les 980 attendus avant 2025. L'objectif qui consiste à pouvoir projeter en 2021 un groupement tactique interarmes sur VBMR, et disposer en 2023 d'une première brigade interarmes SCORPION projetable est ambitieux. Pour l'atteindre, il faudra faire preuve de la plus grande vigilance année après année. En sachant que SCOPRION vise en réalité à renouveler les capacités de combat médianes de 3 brigades interarmes, ce qui nous projette bien au-delà de 2025. Le plan d'équipement va donc être étalé dans le temps, nécessitant de prolonger les matériels toujours en service. Ce qui distingue ce programme, c'est sa cohérence d'ensemble, il s'agit non seulement de produire un véhicule mais d'y intégrer d'emblée plusieurs fonctions : un système d'information qui s'interface et communique avec les autres éléments du champ de bataille, mais aussi des capacités de simulation grâce à son optique embarquée. Le matériel sera livré équipé en coût complet. Nous aurons un devoir de mise en cohérence en matière de livraison des équipements.

S'agissant de la question des emprises militaires, je pense que l'armée de terre, dont le milieu naturel est le territoire national, doit y conserver une empreinte équilibrée. Ceci contrevient à l'idée d'un regroupement de ses unités sur quelques grandes bases pour réduire le volume des soutiens. Il faut arriver à définir le seuil critique entre la permanence sur le territoire national et la réduction des coûts du soutien. Il faut trouver un juste milieu, d'autant que le maintien d'une certaine présence me parait répondre à un vrai besoin.

Concernant la question des régiments d'infanterie de nouvelle génération, c'est une expérimentation qui vise à tester une nouvelle organisation des appuis (tireurs d'élite, mortiers, antichars). Le choix d'organisation final du RI NG et son extension aux autres régiments sera décidé à l'issue de cette expérimentation. S'agissant des restructurations, les militaires et leur famille, comme les élus souhaiteraient avoir plus de visibilité. C'est bien sûr une préoccupation que je partage pour des raisons humaines évidentes d'abord mais aussi car c'est un gage de sérénité pour accompagner le changement. Ce principe est également valable pour bâtir un modèle d'armée pérenne qui puisse d'inscrire dans la durée.

Permettez-moi à ce sujet de partager une réflexion. Lorsque le premier Livre blanc sur la défense a été publié en 1972, il a débouché sur la mise en place d'un modèle d'armées adapté aux menaces de l'époque. Vingt ans plus tard, le Livre blanc suivant publié en 1994 entérinait un nouveau schéma. L'armée mixte de conscription et d'unités professionnelles répondait à la situation jusqu'à ce que la décision soit prise d'adopter un schéma de rupture en passant à une armée de professionnels en 1996. Le même modèle alors est resté en application pendant 14 ans, jusqu'au Livre blanc de 2008 qui en a initié à son tour un nouveau. En 2013, cinq ans plus tard, le Livre blanc prend acte du changement de paysage géostratégique et resserre encore notre format d'armée. Nous pensions pouvoir prolonger le modèle 2008 jusqu'en 2019, mais cela va être difficile. Aujourd'hui, l'évolution des menaces, mais aussi la charge de déflation qui nous est imposée nécessitent de réfléchir une organisation qui redonne à l'armée de terre de la stabilité et de la profondeur.

S'agissant des dysfonctionnements de LOUVOIS, je voudrais rappeler que l'armée de terre en est d'abord victime. Nous avons du mal à nous extraire des difficultés, qui vont d'ailleurs perdurer dans l'attente du nouveau système ; et qui posent de vrais problèmes administratifs à nos personnels. Des systèmes ont été mis au point pour prévenir les dysfonctionnements par identification des moins et des trop-perçus. Toute solde qui sort en deçà de 1 000 euros ou au-delà de 10 000 euros est recalculée manuellement. Cela nécessite la mobilisation d'un important dispositif au CERHS de Nancy, mais cela n'évite pas les erreurs du calculateur. 59 000 personnes, soit environ 50% des personnels de l'armée de terre, ont été touchées au moins une fois cette année par un dysfonctionnement de LOUVOIS. C'est une réelle difficulté, pour toute les catégories de personnel et pour nos familles, surtout ceux déployés en OPEX, car suivre de près ces questions à distance, loin de son régiment et loin des proches compliquent les choses. C'est d'ailleurs pourquoi l'aide apportée par les commandants d'unité, les chefs de sections et de groupe, bref l'investissement du commandement de proximité, est aussi capitale.

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