La création annoncée d'une société commune entre Airbus et Safran paraît de nature à rationaliser l'architecture industrielle d'Ariane, afin de rendre le lanceur européen plus compétitif sur le marché, en particulier à l'égard de son concurrent américain Falcon 9, qu'exploite la société Space X. Cette initiative devrait permettre de proposer une nouvelle configuration technique, pour Ariane 6, susceptible d'être acceptée par l'ensemble des États membres de l'Agence spatiale européenne (ASE) lors de la prochaine conférence interministérielle de celle-ci, qui se tiendra au mois de décembre prochain, à Luxembourg. L'opération a déjà été jugée par le Président de la République, François Hollande, comme une « étape majeure vers la consolidation de la filière spatiale européenne ».
En tout cas, il faudra dépasser le compromis retenu par les États membres de l'ASE lors de la précédente conférence interministérielle, en novembre 2012, à Naples. Je rappelle qu'il a alors été décidé de continuer l'exploitation d'Ariane 5 dans sa version actuelle, et de mettre à l'étude l'évolution vers Ariane 5 ME, une version modernisée et plus puissante, tout en envisageant le développement d'une nouvelle génération de lanceur, Ariane 6, capable de proposer des mises en orbite à moindre coût.
Les récents succès de Space X sont venus rappeler que le lanceur américain s'appuie sur des budgets d'un niveau exceptionnel : celui de la NASA, celui de l'US Air Force et celui dont dispose le Président des États-Unis, soit au total près de 54 milliards de dollars chaque année, contre 4 milliards d'euros pour l'ASE et de 1 à 2 milliards d'euros pour les programmes militaires européens. C'est en partie grâce à ces budgets institutionnels considérables que Space X peut se permettre d'avoir une politique commerciale particulièrement agressive, avec des prix extrêmement bas.
En Europe, ce sont principalement les commandes commerciales qui font vivre le lanceur Ariane. D'une part, parce que les besoins institutionnels européens de lancements se trouvent en grande partie satisfaits ; d'autre part, parce qu'aucun des États membres de l'ASE n'utilise le lanceur européen, à l'exception de la France ! Or l'objectif du coût de lancement d'un satellite par Ariane 6 est de 70 millions d'euros, alors que le coût par lancement du Falcon 9 de Space X s'avère de 60 à 70 millions de dollars.
L'accès à l'espace est assuré par des moyens qui reposent, au plan civil, pour l'Europe, sur Ariane et, au plan militaire, pour la France, sur la technologie des missiles balistiques de notre programme nucléaire. L'exploitation des systèmes satellitaires, civils et militaires, représente une forte capacité stratégique, que ce soit pour la navigation, le renseignement ou la communication. Le projet de satellite géostationnaire d'observation GO-3S permet ainsi à l'Europe de rivaliser avec les États-Unis ou des puissances spatiales émergentes. De plus, en termes de surveillance de l'espace, la France et l'Allemagne disposent de moyens qui pourraient servir de base au développement d'une capacité européenne, notamment pour répondre au défi majeur que représentent les débris spatiaux et les risques de collision que ces débris font courir aux satellites en orbite. Prenons comme exemple le radar français GRAVES, visant la détection des objets en orbite basse. La loi de programmation militaire pour 2014-2019 prévoit la consolidation de cet outil.
L'industrie spatiale européenne, compétitive en termes de savoir-faire, contribue au développement socio-économique. En 2005, les régions Midi-Pyrénées et Aquitaine ont créé le pôle de compétitivité « Aerospace Valley », constituant ainsi le premier bassin d'emplois européens dans le domaine de l'aéronautique, de l'espace et des systèmes embarqués. Ce sont là 130 000 emplois industriels, 1 600 établissements, un tiers des effectifs aéronautiques français - dont plus de 50 % dans le domaine spatial -, 8 500 chercheurs, et deux des trois grandes écoles françaises aéronautiques et spatiales.
L'Europe peut relever le défi de son avenir spatial. Elle maintiendra sa crédibilité stratégique, dans l'espace comme ailleurs, si elle parvient à défendre son indépendance industrielle et technologique ; cette défense représente une condition sine qua non de la préservation de l'accès autonome à l'espace et, au-delà, des moyens de maîtrise du domaine spatial dont l'Europe dispose.
Mais je ne saurais conclure mon propos sans évoquer le groupe des parlementaires pour l'espace. Créé il y a vingt ans, ce groupe réunit des sénateurs, des députés et des eurodéputés français qui ont un intérêt et un engagement pour les questions spatiales, tant civiles que militaires. Compte tenu des dimensions à la fois stratégique, politique, technologique, économique, scientifique et sociale de la question spatiale, il est apparu essentiel que les assemblées parlementaires, en France et en Europe, se saisissent de cette question au sein de groupes de travail permanents, et qu'ils développent, entre eux et avec leurs partenaires, une véritable stratégie d'accompagnement des changements majeurs qui affectent le secteur.
Cette action s'inscrit au service d'une politique et d'une coopération spatiales ambitieuses. La création, en 1999, de la Conférence interparlementaire européenne sur l'espace, qui réunit aujourd'hui onze États membres de l'ASE, est le fruit de cette coopération européenne.