Intervention de Xavier Pintat

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 1er juillet 2014 : 1ère réunion
Avenir de la stratégie spatiale européenne — Table ronde

Photo de Xavier PintatXavier Pintat, président :

La période que traverse l'Europe est une occasion de réformer le modèle économique sur lequel repose l'exploitation d'Ariane. La pression exercée par la concurrence internationale sur le marché de l'accès à l'espace doit être envisagée comme une opportunité, que l'Europe se trouve obligée de saisir. Face à la concurrence des puissances émergentes que sont la Chine, l'Inde et le Brésil, face à la réussite commerciale de l'américain Space X, l'Europe doit en effet dégager les solutions industrielles et techniques qui soient économiquement optimales.

En vue d'optimiser le dispositif de la présence européenne dans le domaine spatial, plusieurs aspects sont à revoir, et tout d'abord le morcellement de la filière industrielle du lanceur européen. Cette situation résulte de la mise en oeuvre, par l'Agence spatiale européenne, de la règle dite du « retour industriel » ; elle implique des coûts de gestion plus élevés que pour Space X, dont la production est centralisée sur un seul site. L'organisation américaine, elle, a en effet d'emblée été pensée pour des lancements à bas prix. L'ASE explore actuellement la possibilité d'une organisation alternative, plus efficiente, suivant un principe de « juste contribution » des États membres. Il s'agirait d'ouvrir des appels d'offres aux industriels, afin d'obtenir les propositions les plus performantes, puis, une fois ces propositions sélectionnées, de solliciter la contribution financière des pays concernés, à hauteur, pour chacun, des lots obtenus par ses entreprises.

Du reste, si l'objectif de prix visé à travers le projet d'Ariane 6 est celui d'un coût de lancement à hauteur de 70 millions d'euros par satellite, alors qu'un lancement par le Falcon 9 de Space X exige de 60 à 70 millions de dollars, le succès du scénario commercial qui s'esquisse ne reposera pas seulement sur l'avantage qualitatif des Européens : il sera également fonction de l'évolution de la parité entre l'euro et le dollar. Selon cette évolution, les Européens pourront plus ou moins facilement maintenir une position favorable sur le marché.

Sans doute faudra-t-il aussi repenser l'articulation des lanceurs exploités sur le site de Kourou. Actuellement, une large part des lancements institutionnels européens est certes assurée par le lanceur russe, mais Vega pourrait aussi, a priori, couvrir une partie des besoins en la matière. Par ailleurs, l'Union européenne et ses États membres ne se sont pas engagés à recourir à Ariane pour leurs lancements institutionnels ; pour l'heure, seule la France le fait...

Mais une politique spatiale ne se réduit pas aux lanceurs, aussi déterminant que soit cet aspect ; elle concerne aussi les systèmes satellitaires. Ces derniers répondent en effet à des besoins opérationnels primordiaux pour la défense, et ils assurent la nécessaire continuité de fonctionnement d'une multitude de services commerciaux, des télécoms à la météorologie. Ainsi, au niveau européen, le programme de radionavigation Galileo et le programme Copernicus de surveillance globale pour l'environnement et la sécurité constituent des piliers de la politique spatiale.

Tout comme celui des lanceurs, ce domaine des satellites s'avère fortement concurrentiel, et le soutien public aux industriels sur les marchés de l'export revêt donc un caractère stratégique essentiel. C'est grâce aux investissements réalisés au travers de programmes nationaux depuis plus de trente ans que la France s'est hissée au meilleur rang mondial en la matière, et qu'elle dispose d'un savoir-faire reconnu. Un exemple récent de cette reconnaissance : Airbus Defence and Space a remporté un intéressant marché avec la vente au Pérou d'un satellite d'observation. Pour favoriser la conclusion de cette opération, l'État français a accepté de mettre en place un montage juridique innovant, qui a permis de donner satisfaction au gouvernement péruvien en accordant à l'opération la garantie de la puissance publique.

Les pays européens ont travaillé conjointement afin de construire des équipements modernes et efficients dans le domaine satellitaire. En voici des exemples. Dans le secteur des télécommunications, le système Syracuse III, pour les transmissions essentielles, qui est prévu pour être renouvelé en 2018, devrait être complété, d'ici la fin de l'année, par le lancement du satellite Sicral 2, réalisé en coopération franco-italienne. Dans le domaine du renseignement, et s'agissant d'abord de l'imagerie optique et radar, le programme Hélios II, visant l'observation spatiale optique, opérationnel depuis 2010, a été mené en coopération avec la Belgique et l'Espagne depuis 2001, avec l'Italie depuis 2005, ainsi qu'avec la Grèce depuis 2007 - la participation française restant de 90 %. En ce qui concerne l'écoute électromagnétique, le programme CERES vise à disposer d'une capacité d'écoute susceptible de permettre l'interception et la localisation des émissions électromagnétiques depuis l'espace : la Grèce, et la Suède jusqu'en 2011, ont participé au financement des travaux préparatoires ; la planification repose désormais sur l'hypothèse d'une mise en service opérationnelle en 2020.

Du fait même de l'importance économique et stratégique qu'ils ont acquise, les systèmes satellitaires représentent une vulnérabilité potentielle, pour la défense et pour l'économie, qui appelle la plus grande attention de la part des États européens. C'est pourquoi la protection de l'espace extra-atmosphérique, et donc sa surveillance, constituent un enjeu majeur ; cet enjeu est d'ailleurs reconnu comme tel, en termes exprès, par notre Livre blanc sur la défense.

L'Europe a longtemps développé son accès à l'espace en négligeant la question de l'environnement spatial. Or les chiffres, à présent, sont édifiants : pour environ 800 satellites officiellement actifs, on dénombre 20 000 débris spatiaux. Parmi les plus gros débris, on trouve des étages de lanceurs : une cinquantaine d'étages supérieurs de Zenit et plusieurs étages d'Ariane. Les plus grands propriétaires de ces débris se révèlent être, dans l'ordre, la Russie, les État-Unis, la Chine, la France - avec près de 600 gros débris - et le Japon. Le danger que représentent les débris spatiaux est bien réel. En 2013, la Commission européenne s'est d'ailleurs alarmée de cette situation, qu'elle a estimée comme « la plus grave menace pesant sur la viabilité de nos activités spatiales ».

Il est donc impératif pour l'Europe de se doter des moyens de prévention adéquats. Aujourd'hui, malgré le radar français GRAVES, le radar allemand TIRA et le télescope pour les débris spatiaux de l'ASE situé à Tenerife, l'Europe dépend des États-Unis pour assurer sa surveillance : le Pentagone dispose d'une base de données, en matière de débris, recensant quelque 17 000 objets, alors que les moyens européens ne permettent d'en suivre qu'environ 3 000.

Les solutions doivent être recherchées au niveau international. Il convient ici de rappeler que la France est le seul pays, à ce jour, à avoir adopté une législation en matière de prévention des débris spatiaux ; en application de cette législation, notamment, l'étage supérieur des lanceurs doit être « désorbité ». Les centres de recherches et les industriels se penchent aujourd'hui, non seulement sur les moyens de prévenir la production de débris spatiaux, mais aussi sur les techniques d'élimination de ces débris, par désorbitation.

Par ailleurs, la forte contrainte budgétaire qui pèse actuellement sur l'action de tous les États européens, comme elle invite à trouver les voies d'une rationalisation et d'une mutualisation des ressources nationales, commande d'optimiser les programmes civils et militaires ; le délégué général pour l'armement s'est en fait l'écho tout à l'heure.

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