Le changement radical de l'architecture spatiale - multiplication des sites de lancement, concurrence de Space X, retour à la propulsion électrique - représente une formidable occasion pour les industriels européens de valoriser leur savoir-faire, face à la concurrence étrangère.
Ariane Space, leader de l'industrie spatiale européenne, est prospère : notre carnet de commandes atteint déjà 4 milliards d'euros. Jusqu'à la mi-2018, sur une base de 6 lanceurs assemblés par an, il y a 25 lanceurs à livrer. Le groupe va lancer également 8 Soyouz et 9 Vega. Nous espérons 12 lancements pour la seule année 2014, année très « institutionnelle » avec un satellite du programme Copernicus de la Commission européenne déjà lancé, un ATV (Automated Transfer Vehicle), dont le lancement est programmé le 24 juillet prochain, et deux lancements de Galileo, dont le premier est prévu le 21 août.
Mais ce calendrier chargé s'inscrit dans un contexte de forte concurrence. Pour résister à celle-ci, Ariane Space organise sa stratégie en trois temps.
À court terme, le groupe cherche à renforcer sa compétitivité en termes de coût et en termes de qualité. La maturité du lanceur et la disponibilité technique confortent notre compétitivité-qualité. Nous discutons avec nos partenaires sur la base d'un plan d'économies qui permette une réduction des coûts globaux, tout en marquant une différence sur l'écart de prix avec Space X. En effet, même si le coût d'un lancement par Ariane est supérieur à celui du lanceur Falcon, les services que nous proposons, compte tenu de leur fiabilité et de leur disponibilité, sont nettement supérieurs à ceux de Space X. Cela dit, Ariane Space s'est engagée à réduire les coûts pour le lancement de petits satellites.
À moyen terme, la société mise sur son lanceur Ariane 5 ME. Au regard de la concurrence, en effet, Ariane Space ne peut pas se permettre de manquer des lancements de satellites. Le lanceur Ariane 5 ME sera, dans une certaine mesure, un hybride entre le lanceur Falcon en position basse (jusqu'à 5 tonnes) et le lanceur Proton en position haute. Ariane Space doit ainsi être compétitive dans le domaine des satellites allant de 3,5 à 5 tonnes. Ariane 5 ME sera équipé d'un moteur « ré-allumable », ce qui peut bien se combiner avec la propulsion électrique. La question du coût du lanceur est en cours d'étude.
Pour le long terme, Ariane Space et l'Agence spatiale européenne se projettent sur le lanceur Ariane 6. À cet égard, l'ASE va devoir prendre une décision. Ariane Space, pour sa part, a entrepris une étude de marché prospective. Si la propulsion électrique connaît le succès qu'on espère, il y aura potentiellement, dans l'avenir, une inversion des types de lancement, avec davantage de petits satellites que de gros. Ariane 6 autoriserait des lancements doubles, ce qui rendrait ce lanceur très compétitif pour les petits satellites. Le développement d'Ariane 6 permettrait ainsi de relancer un marché européen devenu vulnérable face à la concurrence américaine.
La quête d'hégémonie des industries spatiales européennes se trouve fortement encouragée par le développement d'Ariane 6. À cet égard, l'accord passé entre Airbus et Safran constitue une impulsion décisive. Cette nouvelle gouvernance m'apparaît indispensable pour deux raisons. La première est toute économique : le nouveau dispositif va permettre de mutualiser les coûts, en simplifiant les relations entre les acteurs. La seconde est d'ordre opérationnel : la filière sera plus réactive, en effet, dès lors que la gouvernance se trouvera clarifiée ; l'exemple de Space X illustre bien, d'ailleurs, ce schéma.
Cette nouvelle gouvernance doit permettre à Ariane Space de conserver sa place de leader sur le marché, et de maintenir ses liens avec l'industrie européenne comme avec l'ASE. Je rappelle que les deux entités sont liées par une convention, et que la mission incombe à Ariane Space de conserver à l'Europe son autonomie d'accès à l'espace.