Intervention de Jean-Loïc Galle

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 1er juillet 2014 : 1ère réunion
Avenir de la stratégie spatiale européenne — Table ronde

Jean-Loïc Galle, président-directeur général de Thalès Alenia Space :

La politique spatiale européenne a engendré des effets très positifs, tant pour la société civile que pour l'industrie. Les lanceurs européens occupent une position tout à fait enviable sur le marché, et l'Europe s'avère leader mondial pour l'exportation de satellites d'observation et de télécommunications. Le groupe Thalès Alenia Space est, quant à lui, le leader de la construction de satellites européens. Face à la concurrence américaine, notre groupe et Airbus se trouvent en tête pour ce qui concerne les satellites de télécommunications.

Ce complexe industrialo-spatial européen, du fait de son rayonnement, attise les convoitises, bien évidemment. C'est d'autant plus le cas que, pour la première année depuis un demi-siècle, le budget spatial des États-Unis ne croît plus : cette situation incite les sociétés américaines à se montrer, à l'export, beaucoup plus agressives. En outre, la concurrence chinoise commence à émerger, même si elle ne représente pas, à ce jour, un vrai risque.

L'Agence spatiale européenne fête ses 50 ans. Les agences nationales, telles que les CNES, ont permis des avancées scientifiques majeures, mais également le développement d'une industrie spatiale et le déploiement d'infrastructures opérationnelles de classe mondiale. Deux programmes structurants, Galileo et Copernicus, sont le fruit de l'action combinée des institutions européennes et des États. Ils viennent aujourd'hui compléter les capacités européennes opérationnelles déjà existantes en matière d'accès à l'espace et de météorologie. Ces deux programmes bénéficient, sur la période 2014-2020, d'un budget total de 11 milliards d'euros, ce qui est considérable. Ils constituent les bases d'une stratégie spatiale européenne ambitieuse, leurs fondements réglementaires mentionnant de façon explicite que tous deux doivent assurer l'autonomie stratégique de l'Union européenne.

Cependant, la politique spatiale européenne a montré un certain nombre de carences, et pour commencer dans le domaine de la recherche et technologie (R&T) et de la recherche et développement (R&D). Il est clair que les règles de la Commission européenne ne permettent pas de gérer de façon optimale ces aspects. Ainsi, je suis pessimiste quant aux retours technologiques à attendre du programme « Horizon 2020 » de la Commission européenne.

Ces dernières années, le soutien de la France a été beaucoup plus profitable aux entreprises européennes et françaises que l'aide financière européenne. C'est l'investissement national, qu'il soit issu du ministère de la défense ou du CNES, qui a permis de renforcer l'industrie française du satellite, et c'est grâce à l'effort français que cette industrie se trouve aux premiers rangs mondiaux des programmes opérationnels, ce qui permet à l'industrie française de remporter des succès à l'exportation face à l'industrie américaine. À ce titre, outre le contrat signé avec le Pérou par Airbus Defense and Space, mentionné par M. Pintat, notons également les contrats passés avec le Brésil ou le contrat Göktürk signé avec la Turquie.

Il est possible de se réjouir que l'industrie astronautique européenne soit détenue à 50 % par des industries françaises, ainsi que de voir la France comme un leader majeur dans les lanceurs de satellites d'observation et de télécommunication. Mais ce résultat est dû à la politique spatiale française plutôt qu'à la politique spatiale européenne...

Dans les grands programmes européens, il existe de vraies difficultés en ce qui concerne le développement des infrastructures, matériels et logiciels d'application. Cela montre à l'évidence que l'Europe n'a pas planifiée ce segment de façon optimale. Se pose également le problème des budgets. Rappelons que, depuis la dernière décennie, les budgets européens pour l'espace ont stagné. Ils se révèlent bien en-deçà des budgets des États-Unis, de la Russie ou de la Chine. Sur l'année 2013, la valeur totale des systèmes militaires de l'Europe a atteint 600 millions d'euros, contre 4 milliards de dollars pour les seuls programmes spatiaux classifiés du Pentagone !

L'Europe requiert des moyens globaux d'analyse, des moyens de communication et des moyens de navigation, tous besoins qui peuvent être satisfaits par l'outil spatial. Il serait donc logique que, pour relever ce défi de la globalisation, l'Europe investisse davantage dans l'espace. Elle doit impérativement se préparer à répondre aux superpuissances spatiales de demain : les États-Unis, la Russie et la Chine, puis l'Inde. Une réponse nationale française ne suffira pas...

La gouvernance du spatial en Europe est aujourd'hui défaillante. Le renforcement du rôle de l'Union européenne dans la gestion des crises, la mise en place d'instruments de son action extérieure, son implication dans la surveillance maritime, ainsi que ses initiatives en matière de protection civile, sont autant de facteurs concourant aux nouvelles capacités spatiales européennes. Cela signifie-t-il que les États membres doivent abandonner leur stratégie spatiale propre, et que toutes les nouvelles capacités de l'Union doivent être gérées à une échelle centralisée, à l'instar des programmes Galileo et Copernicus ? Je ne le pense pas.

En effet, de nombreux besoins de l'Union européenne peuvent être couverts en recourant aux compétences existant ou en cours de développement au sein des États membres. C'est ce schéma qui prévaut au niveau européen pour la surveillance de l'espace, les moyens des États restant sous le contrôle national. L'Europe et chacun de ses États membres ont besoin de l'espace dans un contexte budgétaire très serré, qui nécessite de faire la chasse à toutes les redondances ; la gouvernance spatiale européenne doit donc reposer sur une définition très claire et un strict respect des responsabilités : celle des États membres, celle de la Commission européenne, celle de l'Agence du système global de navigation par satellite (GNSS) européen, et celle de l'Agence spatiale européenne.

Le rôle majeur de la Commission consiste à définir les besoins et l'utilisation optimale de l'espace pour le citoyen européen, les entreprises et les administrations européennes. Il faut donc dresser le cahier des charges des besoins pouvant être couverts par le secteur spatial. L'ESA doit demeurer comme l'unique agence de gestion des programmes spatiaux, afin d'éviter un « mille feuilles » de responsabilités en ce domaine, et que l'industrie, qui développe les technologies et qui créée les emplois, en soit la grande perdante.

Les applications spatiales européennes doivent être organisées en une politique cohérente, qui permettra l'utilisation des infrastructures spatiales pour les besoins des politiques européennes en matière de transport, d'environnement, de sécurité, de défense et d'action extérieure. Il faut, concomitamment, que l'Union européenne soutienne le développement du marché et des services en aval, de manière à éviter, par exemple, que, Galileo opérationnel, le citoyen européen ne puisse pas utiliser ce système aussi commodément qu'il fait tous les jours, actuellement, du GPS américain. Par ailleurs, l'accès des pays émergents à des applications et des infrastructures spatiales européennes efficaces constituera un avantage compétitif, sur le marché de l'export, pour l'industrie européenne ; l'accès à Galileo, en particulier, sera un atout marketing relativement important.

Pour finir, je formulerai quatre séries de recommandations tendant à renforcer la politique industrielle européenne de l'espace.

En premier lieu, il s'agit de répondre au défi de la compétition politique et commerciale qui se joue, en matière spatiale, au niveau mondial. Il faut ainsi que l'Europe prenne en compte les stratégies concurrentes, qui visent toutes à l'indépendance, voire à la domination, notamment les barrières commerciales concernant les produits spatiaux.

En second lieu, l'Europe doit suivre la dynamique observée aujourd'hui, au niveau mondial, en matière de R&D liée aux composants spatiaux. Les États-Unis, et plus récemment la Chine, se sont dotés d'une industrie autonome des composants spatiaux ; la Russie est en train de prendre la même direction. Toutes ces puissances cherchent à assurer leur indépendance dans ce domaine. L'Europe, à cet égard, doit conserver son avance.

En troisième lieu, il faut développer une politique de « champion industriel » au niveau européen. C'est un terrain difficile, car la Commission européenne ne voit pas d'un bon oeil la mise en place d'un systémier unique de satellites et, ce faisant, d'un marché monopolistique. La question de l'impact sur l'emploi est sous-jacente. Mais des solutions sont possibles : cela ne nécessite ni la fermeture d'une société, ni une fusion-acquisition ; il serait concevable d'utiliser des « briques » communes aux constructeurs ADS et TAS.

En quatrième et dernier lieu, il convient de veiller à ce que l'accès aux lanceurs européens soit totalement équitable pour tous les satellites, alors que le lancement de ces derniers repose sur des contrats de livraison en orbite - les contrats dits « IOD » - qui intègrent à la fois un satellite et un lanceur.

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