Madame la présidente, messieurs les rapporteurs généraux, mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie d'avoir bien voulu m'inviter devant votre commission, récemment renouvelée, en tant que président du Haut Conseil des finances publiques, pour vous présenter les principales conclusions des avis relatifs au projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019, d'une part, et aux projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2015, d'autre part.
La préparation de ses deux avis a fortement mobilisé les membres du Haut Conseil. Un séminaire sur la croissance potentielle avait été organisé dès le mois de juin, et de nombreuses auditions ont été conduites au mois de septembre.
J'aborderai successivement les deux avis, en commençant par celui relatif au projet de loi de programmation. Le HCFP se prononce pour la première fois sur un projet de loi de programmation des finances publiques.
Aux termes de l'article 13 de la loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, sa mission est triple. Il doit apprécier l'estimation du produit intérieur brut (PIB) potentiel sur laquelle repose le projet de loi de programmation ; il doit se prononcer sur les prévisions macroéconomiques associées ; enfin, il doit examiner la cohérence de la programmation envisagée au regard de l'objectif à moyen terme (OMT) retenu et des engagements européens de la France.
Permettez-moi d'évoquer, tout d'abord, l'estimation de PIB potentiel. C'est la première fois que le Haut Conseil des finances publiques devait se prononcer sur l'estimation de celui-ci. En effet, le Haut Conseil ayant été installé le 21 mars 2013, il n'avait pas été invité à rendre un avis sur la précédente loi de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017, adopté en décembre 2012.
Le PIB potentiel se définit usuellement comme la production soutenable, c'est-à-dire celle pouvant être réalisée sans entraîner de tensions sur les prix.
Chacun connaît les fragilités de cette notion, pourtant devenue centrale en matière de gouvernance des finances publiques. Il ne s'agit pas de données statistiques ou comptables, mais du résultat d'un modèle économique, ce qui rend l'estimation du PIB potentiel incertaine. Sa mesure est rendue encore plus difficile par la crise économique que nous traversons. Les chocs subis par l'économie française depuis 2008 ont vraisemblablement eu un impact, pour partie transitoire et pour partie pérenne, sur le niveau du PIB potentiel, sans qu'il soit possible d'estimer leur part respective avec précision.
L'écart de production, qui constitue la différence entre la production effective et la production potentielle, renseigne sur la capacité de rebond d'un pays quand il est négatif, comme c'est le cas actuellement, ou sur le risque de ralentissement lorsqu'il est positif. En matière de finances publiques, l'écart de production permet d'identifier la composante conjoncturelle du déficit effectif et de mesurer, par différence, le solde structurel, qui constitue aujourd'hui un outil essentiel de pilotage des finances publiques à l'échelle européenne.
Le Gouvernement a retenu, pour le présent projet de loi, l'écart de production tel qu'estimé par la Commission européenne. Cet écart s'établit à - 2,7 % du PIB potentiel pour l'année 2013.
Le Haut Conseil constate que cette estimation se situe au centre de la large fourchette des estimations disponibles, notamment celles des organisations internationales, comme le FMI ou l'OCDE, et de l'Insee - entre - 2 % et - 3,5 % - du PIB potentiel. Un tel écart suggère que l'économie française dispose d'une forte capacité de rebond. Le scénario retenu par le Gouvernement, comme par les organisations internationales, est donc celui d'un rattrapage, avec une fermeture progressive de l'écart de production. Cependant, ce rattrapage ne serait pas tout à fait achevé à l'horizon de la programmation.
La position du HCFP sur ce plan est plus réservée. Le Haut Conseil considère en effet qu'un écart de production plus faible et, partant, une moindre capacité de rebond, ne peuvent être exclus. Il note en particulier que l'économie française connaît un écart de production fortement négatif depuis plusieurs années, alors qu'en principe un tel écart est supposé se résorber rapidement. Cela conduit à s'interroger sur l'existence même d'un potentiel de rebond substantiel.
La prise en compte d'une telle hypothèse, qui mériterait selon nous d'être étudiée, se traduirait par un déficit structurel plus dégradé tout au long de la période de programmation ; elle pourrait conduire à des prévisions de croissance plus faibles.
S'agissant de la croissance de ce PIB potentiel, le Haut Conseil des finances publiques considère que l'estimation de 1 % en 2014 et 2015, et de l'ordre de 1,2 % en moyenne pour les années 2016 à 2019, constitue une hypothèse acceptable.
Ces estimations, qui sont également retenues par la Commission européenne, sont plus basses que celles retenues dans la loi de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017, et dans les programmes de stabilité et lois de finances ultérieurs - 1,5-1,6 % sur la période 2014-2017. Elles sont proches des dernières estimations du FMI et de l'INSEE, inférieures à celles publiées par l'OCDE, mais plus élevées que celles de la Banque de France.
J'en viens à présent aux prévisions macroéconomiques associées au projet de loi, qui portent sur l'horizon de la programmation, c'est-à-dire la période 2014-2019.
Permettez-moi d'aborder directement le moyen terme - je reviendrai sur les années 2014 et 2015 dans la suite de mon intervention sur les projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2015.
Par rapport aux prévisions associées en avril dernier au programme de stabilité, le Haut Conseil des finances publiques note que le Gouvernement a décalé dans le temps son scénario de reprise de l'environnement international, et revu à la baisse les perspectives de croissance à court terme. Ce scénario est ainsi moins optimiste que celui présenté en avril dans le programme de stabilité qui reposait, comme le Haut Conseil l'avait noté dans son avis, sur la réalisation simultanée de plusieurs hypothèses favorables, qui ne se sont malheureusement pas matérialisées.
À moyen terme, ses prévisions - 1,7 % en 2016 et 1,9 % en 2017 - reposent toutefois encore, selon nous, sur des hypothèses favorables quant à l'environnement extérieur et à l'effet des politiques économiques sur la compétitivité des entreprises françaises, l'investissement et l'emploi.
Le scénario reste entouré d'un certain nombre d'aléas, qui concernent notamment l'environnement international et l'investissement. La reprise du commerce mondial pourrait en particulier être moins rapide que prévu. De même, la reprise de l'investissement pourrait être moins marquée si les entreprises choisissaient de limiter leur endettement plutôt que d'investir, dans un contexte où l'amélioration de leur taux de marge serait lente. À l'inverse, le scénario du Gouvernement pourrait être conforté par une baisse de l'euro et, à moyen terme, par la mise en place d'un plan d'investissement européen.
J'en viens enfin à la cohérence de la programmation présentée par rapport à l'objectif à moyen terme et aux engagements européens de la France.
Cette programmation n'est pas cohérente avec les engagements européens de la France.
Dans le cadre du Pacte de stabilité et de croissance, la France s'est engagée, à l'occasion du programme de stabilité adressé aux autorités européennes en avril 2014, à ramener son déficit en deçà de 3 % du PIB d'ici 2015, et à améliorer son solde structurel de 0,8 point de PIB en 2014 et en 2015.
Or, dans la programmation présentée, le déficit effectif se maintiendrait au-delà de 4 % du PIB entre 2013 et 2015 et ne reviendrait pas sous le seuil de 3 % avant 2017.
L'ajustement structurel, c'est-à-dire la variation du solde structurel, pour chacune des années 2014 et 2015, est nettement inférieur au 0,8 % par an prévu dans le programme de stabilité d'avril 2014. Il serait de 0,1 point de PIB en 2014 et de 0,2 point en 2015, contre 0,8 point initialement prévu sur les deux années. En 2016 également, l'objectif a été revu à la baisse, à 0,3 point contre 0,5 point selon le programme de stabilité précité.
La France ne réaliserait pas l'ajustement structurel annoncé pour les années 2014 à 2017 pour plusieurs raisons.
La première raison réside dans le caractère relativement modéré de l'effort en dépense ; cet effort est en effet réduit par rapport au programme de stabilité, les objectifs de croissance des dépenses en valeur n'ayant pas été ajustés à la moindre inflation sur les années 2014 à 2016.
La deuxième raison, c'est la baisse des hypothèses de croissance potentielle, qui se répercute mécaniquement sur l'ajustement structurel.
D'autres effets jouent à la marge, concernant notamment la croissance spontanée des recettes, qui reste inférieure à celle de l'activité en 2014 et en 2015, et les nouvelles modalités de comptabilisation des crédits d'impôts.
Le respect des traités entraîne d'autres obligations, comme la convergence vers l'objectif à moyen terme (OMT). C'est en raison du faible rythme d'ajustement structurel que l'atteinte de l'OMT, qui a été revu à la baisse à - 0,4 % du PIB, est reportée à 2019, alors que le programme de stabilité l'avait fixée à 2017.
C'est également ce qui explique que le retour à un déficit effectif en deçà de 3 % du PIB, prévu pour 2015 par le programme de stabilité ait été reporté à 2017.
En outre, si cette nouvelle trajectoire est moins ambitieuse que les précédentes, son respect n'est pas acquis.
Il suppose en effet d'infléchir fortement - et sur toute la période de programmation - la croissance de la dépense publique.
Pour cela, les efforts déjà réalisés depuis 2011 en matière de croissance en volume de la dépense publique doivent être accentués.
Or, une partie des dépenses programmées repose sur des économies à réaliser par des administrations dont l'État ne maîtrise pas les leviers, notamment les collectivités territoriales, l'Unédic ou les régimes complémentaires de retraite, même si les règles de gouvernance ont été renforcées.
Aussi, en l'état des mesures annoncées, le Haut Conseil des finances publiques identifie un risque de déviation par rapport à la trajectoire vers l'objectif à moyen terme, trajectoire elle-même sensiblement décalée par rapport à la précédente loi de programmation et au dernier programme de stabilité.
Le HCFP était également appelé à se prononcer sur les prévisions macroéconomiques associées aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2015, ainsi que sur la cohérence de ces projets avec les orientations pluriannuelles de solde structurel.
Conformément à l'article 23 de la loi organique du 17 décembre 2012 précitée, il lui était également demandé de formuler une appréciation sur les mesures de correction présentées par le Gouvernement à la suite du déclenchement du mécanisme de correction, en mai 2014.
Pour le présent avis, le cadre de référence reste bien la loi de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017, toujours en vigueur avant l'adoption, par le Parlement, d'une nouvelle programmation.
J'en viens directement aux principales conclusions de cet avis.
S'agissant des prévisions macroéconomiques tout d'abord, pour 2014, au vu d'un acquis de croissance à la fin du premier semestre aujourd'hui estimé à 0,3 %, et des dernières informations conjoncturelles disponibles, le Haut Conseil considère que la prévision de croissance du Gouvernement de 0,4 % est réaliste.
S'agissant de 2015, le Haut Conseil des finances publiques estime que la prévision de croissance de 1,0 % est optimiste. Elle suppose, en effet, un redémarrage rapide et durable de l'activité, ce que ne suggèrent pas les derniers indicateurs conjoncturels.
Ce scénario présente, par ailleurs, plusieurs éléments de fragilité, qui concernent à la fois la demande mondiale et la demande intérieure.
L'environnement international pourrait se révéler moins porteur, comme en attestent les dernières prévisions de croissance du commerce mondial de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), qui sont inférieures à celles du Gouvernement.
La reprise de l'investissement productif pourrait être retardée compte tenu du faible taux d'utilisation des équipements, de perspectives d'activité incertaines et de la faiblesse des taux de marge sur lesquels le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) n'a, pour l'instant, eu qu'un impact limité.
Le scénario présenté par le Gouvernement est entouré, par ailleurs, d'un certain nombre d'aléas qui concernent aussi bien l'environnement international que la demande interne.
J'en viens à présent à la cohérence des projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale avec les orientations pluriannuelles de solde structurel.
Dans son avis relatif au solde structurel des administrations publiques de 2013, rendu public en mai dernier, le Haut Conseil des finances publiques a identifié un écart considéré comme important, au regard des traités et de la loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, de 1,5 point de PIB par rapport à la trajectoire définie dans la loi de programmation. Cela a déclenché le « mécanisme de correction ». Aux termes de l'article 23 de la loi organique, le Gouvernement doit tenir compte de cet écart dans le projet de loi de finances pour 2015 en prenant des mesures adéquates.
Le Haut Conseil constate que le Gouvernement ne corrige pas l'écart important par rapport à cette loi. Au contraire, celui-ci s'accroît en prévision pour 2014 et 2015.
Plutôt que de corriger cet écart, le Gouvernement fait le choix de définir une nouvelle trajectoire, intégrant les déviations passées, et fixant de nouveaux objectifs, dont l'ambition est revue à la baisse.
Ainsi, en 2015, l'ajustement structurel - ou l'amélioration du solde structurel - serait de 0,2 point de PIB contre 0,8 point dans le programme de stabilité d'avril 2014. L'écart s'explique en partie par la révision à la baisse de la croissance potentielle, mais il reflète également un moindre effort en dépense. L'objectif de progression de la dépense de 1,1 % en valeur est inchangé, malgré une inflation plus basse. Cela a pour conséquence une croissance en volume de la dépense publique, estimée en hausse de 0,2 %.
Au vu des mesures présentées par le Gouvernement, et des informations que le Haut Conseil des finances publiques a pu obtenir au moment de la rédaction de cet avis, en l'absence toutefois des éléments concernant le projet de loi de financement de la sécurité sociale, il estime que cet objectif de 1,1 % risque de ne pas être atteint.
Ces risques concernent notamment la masse salariale des administrations publiques et les dépenses publiques locales, dont l'inflexion dépendra du comportement des assemblées locales, en réaction à la baisse des dotations de l'État.
Par ces deux avis, le Haut Conseil exprime sa préoccupation quant à l'évolution des finances publiques. Alors que la France s'était engagée à réduire son déficit effectif en deçà de 3 % du PIB en 2015, et à atteindre son objectif à moyen terme en 2017, ces engagements sont décalés dans le temps, et sensiblement revus à la baisse en raison, notamment, d'un ajustement structurel réduit. La faiblesse de cet ajustement structurel et son report dans le temps font peser un risque sur la trajectoire de la dette publique, qui continuera à augmenter.
Tels étaient les éléments que je souhaitais porter à la connaissance de votre commission. Je suis à présent à votre disposition pour répondre à vos questions.