Intervention de Didier Migaud

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 15 octobre 2014 : 2ème réunion
Loi de finances pour 2015 et loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 — Audition de M. Didier Migaud président du haut conseil des finances publiques

Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques :

Répondre à certaines questions me ferait sortir de la condition qui est la mienne, compte tenu du fait que les missions du Haut Conseil des finances publiques sont très circonscrites par la loi organique. Nous devons exprimer des avis sur des hypothèses macroéconomiques et sur la cohérence des conséquences qu'en tire le Gouvernement sur la loi de programmation et sur les lois de finances et de financement de la sécurité sociale. Le parti pris en France, par rapport aux traités européens, a plutôt été minimaliste. Il ne m'appartient pas de l'apprécier. Nous exécutons et nous exerçons les missions qui nous sont confiées par la loi.

D'autres instances équivalentes ont des missions plus importantes, comme celle d'arrêter elles-mêmes les hypothèses macroéconomiques. C'est le cas du Royaume-Uni, ou de l'Espagne.

Beaucoup de questions ne concernent donc pas le président du Haut Conseil des finances publiques. Certaines peuvent s'adresser davantage au Premier président de la Cour des comptes. J'essayerai d'y répondre.

S'agissant des hypothèses de croissance, ainsi que Jean-Claude Boulard l'a remarqué, la prévision est un art difficile. Il ne nous est d'ailleurs pas demandé d'émettre une prévision, mais seulement d'exprimer un avis sur une prévision et sur des hypothèses macroéconomiques.

Nous essayons de le faire à partir de données objectives et à partir d'auditions que nous organisons - Insee, OFCE, Rexecode, Commission européenne, FMI, OCDE, prévisionnistes, économistes. Nous essayons de nous forger notre opinion pour exprimer un avis.

Pour 2014, compte tenu du fait qu'il existe déjà un acquis de croissance de 0,3 %, nous avons estimé crédible l'hypothèse à 0,4 %.

Pourquoi avons-nous qualifié d'optimiste la prévision 2015, alors même que le consensus des économistes l'établit ces dernières semaines plutôt autour de 1 % ? Le FMI vient d'ailleurs de citer ce chiffre. On voit bien, au fil du temps, qu'un certain nombre d'organismes sont en train de réviser leurs hypothèses pour 2015, compte tenu d'un environnement international qui peut être très fragilisé, où les aléas baissiers sont plus importants que les événements porteurs en matière d'activité.

Si nous avons jugé ces prévisions optimistes, c'est que les enquêtes qui nous parviennent de la Banque de France ou de l'Insee sur l'activité pour le troisième trimestre ne nous paraissent pas correspondre à une reprise. Il en va de même des indicateurs les plus récents, pour lesquels les prévisions restent atones.

Nous risquons donc de partir avec un acquis de croissance faible, autour de 0,1 % en fin d'année. Les trimestres à venir doivent donc être au moins de 0,3 % pour parvenir à 1 %.

Pour le moment, ce que nous constatons dans les enquêtes ne nous permet pas de dire autre chose que ce que nous avons dit à propos du caractère optimiste des prévisions.

Cela signifie-t-il que ces hypothèses sont insincères ? Ce n'est pas à nous de l'apprécier, mais au Conseil constitutionnel. Optimiste ne veut pas dire infaisable. Si tous les aléas se retournent, cela peut conforter l'hypothèse de croissance du Gouvernement. Certains événements jouent positivement, comme la baisse de l'euro ou le plan européen de croissance, qui mettra certes un peu de temps à se mettre en place, mais qui peut améliorer la situation.

En revanche, il existe beaucoup d'aléas baissiers et beaucoup d'inconnues, même en matière de commerce mondial. On voit que les hypothèses du Gouvernement restent plus optimistes que celles qui viennent d'être révisées par l'OMC. Un des enjeux reste d'ailleurs la capacité de la France à répondre à l'augmentation de la demande mondiale. Si celle-ci est plus ralentie que prévu, on en profitera moins. Il faut également tenir compte du problème de la compétitivité de nos entreprises : sont-elles en situation de répondre à l'augmentation de la demande ?

Voilà pourquoi nous considérons qu'une hypothèse de croissance de 1 % est optimiste.

Le Haut Conseil des finances publiques est-il utile ? Je pense que le Gouvernement est attentif aux avis que nous pouvons exprimer. Il n'y a qu'à considérer les réactions suscitées par ceux-ci dans le débat public. Je pense que l'existence même du Haut Conseil conduit les gouvernements, quels qu'ils soient, à être plus prudents dans les hypothèses macroéconomiques qu'ils retiennent. Ils savent que le Haut Conseil existe, et qu'il est composé de magistrats, mais aussi d'économistes désignés par des personnalités de toute sensibilité politique, qui peuvent apporter un avis le plus éclairé possible. Cela compte sûrement dans les raisonnements du Gouvernement. Cela peut donc être utile, d'autant que le Haut Conseil ne coûte pas grand-chose, son budget de fonctionnement ayant été pris sur celui de la Cour des comptes. Le mandat de ses membres est gratuit, même pour ceux qui ne sont pas magistrats de la Cour des comptes et représentent la société civile. C'est d'ailleurs un des rares organismes pour lesquels les missions ne sont pas indemnisées. Son budget ayant été pris sur celui de la Cour des comptes, ce dernier a d'ailleurs plutôt baissé - mais j'y reviendrai.

Par ailleurs, je pense que les lois de programmation des finances publiques sont utiles. Il est essentiel d'avoir une vision pluriannuelle lorsqu'on analyse les finances publiques. Il est sûr que les lois de programmation n'ont pas suffisamment de force par rapport aux lois de finances. Cela étant, c'est le législateur que vous êtes qui en a décidé ainsi. Vous n'avez pas confié de force supérieure aux lois de programmation. Il aurait d'ailleurs vraisemblablement fallu modifier la Constitution, ce qui n'était pas possible, en l'état des majorités en présence et des débats au sein même du Parlement. Je pense une fois de plus que c'est un exercice utile.

Quant à l'élasticité des recettes, on constate que les hypothèses, ces dernières années, ont été optimistes. C'était le cas en 2013, et encore en 2014, avec une élasticité de 1 qui s'est révélée être de 0,7. Celle-ci est assez sensible à la conjoncture. Il faut donc pouvoir en tenir compte ; c'est pourquoi le Haut Conseil des finances publiques et la Cour des comptes invitent à être raisonnables en la matière.

Une dette de 100 % est-elle plus grave qu'une dette de 99,9 % ? C'est un peu de même nature. Il faut également tenir compte de la psychologie. L'économie est également constituée d'irrationnel, il faut y prendre garde. Il existe une part de subjectivité dans l'appréciation des acteurs économiques. Nous sommes déjà dans une zone dangereuse, et la dette va continuer à augmenter en 2015. Elle va donc se rapprocher des 100 % et, a priori, va augmenter encore en 2016, voire en 2017, compte tenu des projections.

Les économistes sont très partagés sur ce sujet. Certains disaient que 90 % étaient la limite à ne jamais franchir. On a dépassé 90 %, et il ne s'est rien passé ! Les spreads nous sont toujours favorables et l'on continue à emprunter à des taux très bas. Cela a d'ailleurs des effets pervers, l'endettement augmentant et la charge de la dette diminuant comme par miracle. Cette situation est toutefois extrêmement fragile. Tout retournement peut être extrêmement lourd de conséquences : 1 % d'augmentation des emprunts peut représenter plusieurs milliards d'euros, dont 2 à 3 milliards la première année qui suit, le coût devenant ensuite exponentiel !

Si l'on veut conserver des marges de manoeuvre, il faut donc maîtriser la dette. Cela signifie qu'il convient de maîtriser les finances publiques. Oui, nous avons recommandé certaines économies qui sont mises en oeuvre. Un certain nombre de recommandations de la Cour des comptes peuvent être suivies. C'est le cas des dépenses de personnel ou d'un certain nombre de niches fiscales ou sociales qui ont été remises en cause. Nous estimons qu'il faut amplifier les efforts en matière d'assurance-maladie ; des économies sont possibles, sans remettre en cause ni la qualité ni l'accès aux soins. Certaines choses ont déjà été entreprises dans le domaine du médicament ou de la biologie médicale. Il faut amplifier ces efforts. Il existe des marges importantes par rapport à ce qui se fait dans un certain nombre d'autres pays.

Marie-France Beaufils a demandé si l'on avait évalué l'impact récessif des économies. Le Haut Conseil des finances publiques n'a pas nié qu'il puisse exister pour certaines dépenses. Il faut le mettre en regard de ce qui se passe dans les autres pays. La France peut-elle se permettre de continuer à avoir une tenue de comptes atypique par rapport aux autres pays et au marché financier, à partir du moment où nous sommes dépendants de ceux-ci ? Le redressement des comptes publics est une nécessité de ce point de vue.

Je suis d'accord avec Marie-France Beaufils sur le fait qu'il faut s'interroger sur l'efficience d'un certain nombre de dispositifs, non seulement en matière de dépenses fiscales, mais également de dépenses publiques.

Il ne m'appartient pas d'apprécier si le niveau de dépenses publiques de notre pays est le bon ou non, mais nous constatons qu'il est élevé par rapport à des pays comparables. La question qui se pose est de savoir si la France obtient des résultats à la hauteur des crédits que nous consacrons aux politiques publiques. La réponse est non - et vous le savez ! Nous vous invitons à vous intéresser davantage - bien que le Sénat le fasse plus que l'Assemblée nationale - au contrôle de l'exécution.

Prenez le secteur du logement, auquel nous consacrons 46 milliards d'euros. En a-t-on pour notre argent ? Non ! Quant à la formation professionnelle, c'est presque une caricature. Il en va de même des aides à l'emploi, ou de l'éducation nationale. La France consacre à ce domaine plus de crédits que bien d'autres nations, avec des résultats de plus en plus médiocres par rapport à ces derniers, et des enseignants plus mal payés que dans les autres pays. Il y a donc là un sujet.

S'il y avait un lien entre le niveau de dépenses publiques et la croissance, nous serions les champions du monde de la croissance ! Je l'ai dit récemment à l'Assemblée nationale. Notre niveau de dépenses publiques est parmi les plus élevés du monde. S'il existait un lien automatique, nous devrions avoir la croissance la plus élevée du monde. Or, ce n'est pas le cas ! Il faut donc s'interroger sur l'efficacité de la dépense publique, et nous pensons qu'il y a là des marges.

Plusieurs d'entre vous ont exprimé leur tristesse - pour conserver un langage diplomatique, - Jean-Claude Boulard ayant eu des expressions plus imagées - estimant que la Cour des comptes jouait les donneuses de leçons. Non, la Cour des comptes ne donne de leçons à personne ! Elle n'opère pas non plus les confusions que vous lui prêtez. Je vous demande de lire l'original du rapport de la Cour des comptes, et non les commentaires ou les articles de presse. Vous vous rendrez compte que la Cour des comptes ne stigmatise pas les collectivités territoriales, ni les élus locaux. Ce n'est pas son propos.

Notre rapport évoque des données nationales objectives, et part des enquêtes des chambres régionales des comptes. Nous parlons de 2013, quand vous parlez de 2015. Nous affirmons que la situation financière des collectivités territoriales s'est dégradée. Ce sont les chiffres qui le montrent. La Cour des comptes ne fait que le constater. Nous ne sommes d'ailleurs pas les seuls à le dire. L'endettement des collectivités territoriales et les dépenses de fonctionnement ont augmenté plus que les recettes. Ce sont là des réalités objectives. On peut ensuite les présenter comme on veut.

Des réductions de dotations sont intervenues en 2013 et 2014, plutôt faibles par rapport à celles qui sont envisagées pour 2015 à 2017. Pour le moment, elles n'ont pas entraîné de réductions de l'investissement des collectivités territoriales. Celui-ci a augmenté en 2013. Certes, ceci est lié au cycle électoral, mais nous l'analysons. Je l'ai dit, je le répète systématiquement lorsque je m'exprime, et nous l'écrivons dans le rapport de la Cour des comptes : la dette des collectivités territoriales n'est pas de même nature que la dette de l'État ou de la sécurité sociale. Les magistrats ont, je pense, une certaine connaissance de la réalité locale : ne leur faites pas l'affront de penser qu'ils ignorent que les collectivités territoriales ne peuvent pas emprunter pour couvrir des dépenses de fonctionnement. La dette n'est donc pas de même nature.

Toutefois, lorsque vous empruntez, vous augmentez la dette, et celle-ci est englobée dans la dette prise en compte par l'application des règles européennes. Nous l'expliquons en toutes lettres dans le rapport.

Les objectifs de la loi de programmation indiquaient que les collectivités territoriales devaient « contribuer » à hauteur de - 0,2 % à l'ensemble du déficit des administrations publiques. Le résultat est de 0,4 %. Il y a donc eu un certain dérapage, et nous le constatons. Il n'y a d'ailleurs pas que les collectivités territoriales qui ont pu globalement déraper par rapport aux objectifs assignés dans la loi de programmation : l'État et la sécurité sociale n'ont pas non plus respecté tous leurs objectifs. Nous le disons le plus objectivement possible, sans mettre personne en cause.

Nous affirmons qu'il existe des marges sur les dépenses de fonctionnement - et nous l'assumons. Nous exprimons d'ailleurs des interrogations sur le fait qu'une réduction des dotations de 11 milliards d'euros, à raison de 3,7 milliards par an, peut ne pas entraîner de réduction équivalente de la dépense des collectivités territoriales.

Ce que vous dites confirme d'ailleurs nos interrogations sur ce point. Les choses ne sont pas automatiques : on a vu que de la réduction des dotations en 2014 ne s'est pas traduite par une réduction à due concurrence de l'investissement des collectivités territoriales.

Nous avons fait une analyse sur 2013 et sur le début de 2014. Vous évoquez quant à vous 2015. Ce n'est pas la Cour des comptes qui vote les textes ! C'est à vous que sont proposées un certain nombre de décisions, dans le cadre des lois de finances. Le scénario de finances publiques propose une maîtrise de la dépense que nous n'avons jamais connue en France dans de telles proportions. Il s'agit donc d'efforts réels, qui ont d'ailleurs commencé en 2011.

Le rythme d'évolution de la dépense, on le voit, a sensiblement baissé, même si elle continue à augmenter. Il faut parfois relativiser le terme d'« austérité ». La dépense ne se réduit pas. Affirmer que le Gouvernement affiche une politique ambitieuse en termes de maîtrise de la dépense publique est un raisonnement très franco-français. Des pays comme l'Allemagne, les Pays-Bas, ou le Canada, dans d'autres circonstances, ont réduit leurs dépenses. Nous ralentissons, quant à nous, le rythme d'augmentation de la dépense publique : c'est de nature totalement différente, mais cela représente un effort. Ce que nous voulons dire, c'est qu'il existe des marges.

Expliquer que l'augmentation des dépenses de personnel a pour seule explication des décisions de l'État n'est pas tout à fait juste. Mais certaines pèsent sur les collectivités territoriales, c'est évident, et nous l'affirmons noir sur blanc dans le rapport.

Nous invitons d'ailleurs l'État à balayer devant sa porte, à moins user de son pouvoir normatif, qui a des conséquences sur les dépenses des collectivités territoriales. Le fait que l'État prenne des décisions touchant les catégories C, les rythmes scolaires, les sapeurs-pompiers professionnels, entraîne bien évidemment des conséquences sur les budgets des collectivités territoriales.

Dire que les collectivités territoriales ne sont pas en quoi que ce soit responsables de l'augmentation des dépenses de personnel n'est pas vrai. Nous avions mené ce travail à propos des dépenses de 2012, en tentant de pénétrer dans le détail des dépenses, afin d'étudier ce qui relevait de l'État et des collectivités territoriales. Nous avions établi un rapport de 60-40, le second chiffre concernant l'État.

Nous allons essayer de continuer ce travail de la façon la plus objective possible, en contradiction avec les associations d'élus. Vos appréciations m'attristent, car le procès fait à la Cour des comptes n'est pas fondé.

Nous ne voulons pas remettre en cause ce que font les élus. Le rapport met donc en avant un certain nombre de bonnes pratiques. Il existe des marges possibles à l'échelon de l'intercommunalité, par exemple en mutualisant davantage certains domaines. Certaines collectivités ont ainsi fait en sorte que les compétences soient pleinement transférées, afin que celui qui a transféré les compétences ne les exerce plus et n'ait plus de dépenses à réaliser à ce titre. Il faut que l'État fasse la même chose : lorsqu'il transfère des compétences, il ne faut pas qu'il continue à vouloir les exercer ! L'État doit donc clarifier ses compétences avec les collectivités territoriales et celles-ci doivent également réaliser un effort de clarification entre elles.

Je suis quelque peu sorti de l'ordre du jour, mais je pense que cet échange était utile.

Pour répondre à Jean-Claude Boulard, le budget de la Cour des comptes est très contraint, et nous nous efforçons d'être en totale cohérence avec les constats et les recommandations que nous formulons.

Notre budget comporte essentiellement des dépenses de rémunération. La Cour des comptes, comme le Conseil d'État et l'Inspection des finances, est un grand corps, et ses rémunérations sont connues. D'ailleurs, les rémunérations des fonctionnaires de catégorie A +, depuis quelques années, sont bloquées non seulement par l'indice, mais en outre par les cotisations supplémentaires pour les retraites. Les traitements diminuent donc plutôt. Depuis deux ans, j'ai également bloqué les régimes indemnitaires.

Vous faites apparaître une augmentation de l'investissement, mais il faut aller jusqu'au bout...

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion