Monsieur Malhuret, je n'ai jamais dit que la Russie n'était pas un empire, mais qu'elle l'avait liquidé elle-même en 1992. Sur le reste, nous pourrions discuter de manière approfondie, et certains faits historiques mériteraient d'être rappelés. Quant à la négociation, la France et l'Allemagne sont les seules à pouvoir la faire avancer. Jusqu'en 1990 deux systèmes d'alliance opposés coexistaient : le Pacte de Varsovie et l'Otan. Il ne reste que l'Otan, qui doit se trouver un ennemi pour continuer d'exister. Son élargissement pose problème. Gorbatchev a fini par céder en acceptant que l'Allemagne rejoigne l'Otan. Les pays baltes ont également intégré l'organisation sans que la Russie réagisse. La Géorgie a été le joyau des empires russe et soviétique. Cela rend difficile son intégration. Celle de l'Ukraine est encore plus problématique.
Les États-Unis, avec l'Otan, sont les protecteurs de l'Europe ; cependant, même en l'absence d'une défense européenne conséquente, ils ne sont pas les arbitres des problèmes européens. L'Europe n'est plus ce qu'elle a été ; le pilier franco-allemand s'est fragilisé, l'Allemagne est devenue le chef de file d'une autre Europe. Un espace allemand est en train de se construire dans l'ensemble européen. Or certains de nos partenaires ont encore des comptes à régler. L'Europe s'est construite sur la réconciliation franco-allemande. Tout pays qui intègre l'Union européenne ne devrait-il pas se faire un devoir d'oublier les rancoeurs de l'histoire ? Les massacres de Katyn ont été reconnus, les protocoles secrets de 1939 dévoilés par la Russie et communiqués à la Pologne. J'y insiste, l'Europe se construit sur l'oubli.
Les divergences de vues n'empêcheront pas la négociation d'avoir lieu entre la France, l'Allemagne, Vladimir Poutine et Petro Porochenko. Parce qu'elle n'est pas au coeur de la nouvelle Europe et qu'elle entretient une longue tradition diplomatique avec la Russie, la France est bien placée pour piloter cette négociation. L'étape de François Hollande à Moscou, de retour d'Astana, est un signe intéressant. Mais dans toute médiation, il faut de la continuité. Cette négociation sera aussi l'occasion de ressouder le pilier franco-allemand, car nos deux nations sont également opposées à l'entrée de l'Ukraine dans l'Otan. La solution d'un statut fédéral n'a rien d'insolite. Elle sauverait l'Ukraine.
Ne soyons pas naïfs ! Des milices russes se battent sans insigne en Ukraine. La pratique n'est pas si rare. Les États ont pris l'habitude de se cacher derrière des sociétés de mercenaires pour défendre leurs intérêts sur les théâtres d'opérations. Ils l'ont fait à Maïdan comme ils l'ont fait en Irak avec Blackwater. En 2004, lors de la Révolution orange, des ONG américaines payaient des gens pour qu'ils continuent de manifester. Quant à envoyer des armes en Ukraine, les conséquences seraient épouvantables. Le cas de la Syrie est éloquent. Seule une intervention conjointe de la France et de l'Allemagne, dans un cadre européen, peut faire avancer les choses.