Intervention de Hélène Carrère d'Encausse

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 4 février 2015 : 1ère réunion
Russie — Audition de Mme Hélène Carrère d'encausse secrétaire perpétuel de l'académie française

Hélène Carrère d'Encausse, secrétaire perpétuel de l'Académie française :

Cette fois, je me suis crue en Crimée : c'est qu'une partie des fonds a servi à y reconstituer le paysage, l'atmosphère de Crimée, car les Russes n'avaient guère d'autre option sur la mer Noire, l'Abkhazie ne voulant pas d'eux. Auraient-ils dépensé tout cet argent s'ils avaient prévu de s'emparer de la Crimée quelques mois après ?

Les pays baltes sont membres de l'Otan. M. Poutine n'est pas fou, il n'attaque qu'en dehors de l'alliance. Ceux-ci ne risquent donc rien et le savent parfaitement - c'est peut-être ce qui les rend si vindicatifs.

Certainement, le souci d'ouvrir un accès terrestre à la Crimée intervient. Construire un pont serait absurde. Les combats autour de Marioupol s'expliquent sans doute ainsi, mais si nous parvenons à arrêter ces affrontements, cette hypothèse ne se réalisera pas... Pour l'heure, les Ukrainiens refusent la négociation puisque M. Porochenko ne veut rien céder, n'acceptant pas la fédéralisation et persistant à vouloir l'adhésion à l'Otan.

Lors de la décomposition de l'Union soviétique, l'OSCE aurait dû jouer un rôle dans la réorganisation du continent. La guerre froide ne s'est pas achevée par une défaite des Russes - l'Union soviétique était à genoux, mais elle aurait pu tenir encore des années. Ils y ont prêté la main. La conférence d'Helsinki a résulté d'une initiative des Russes pour consolider les conquêtes soviétiques, même si elle a ensuite tourné à leur confusion avec la « troisième corbeille » et la question des droits de l'homme, qui a accéléré la fin du système. Ce qu'on appelait alors la Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe (CSCE), qui était un instrument formidable, conçu pour organiser la sécurité en Europe, a failli à son rôle : c'est un échec européen. Pour autant, les négociations doivent se poursuivre selon le format de Minsk, le bon selon moi.

M. Poutine a-t-il perdu l'Ukraine ? Oui et non. Entre l'Ukraine et la Russie, il existe une inséparable familiarité - mise à part l'Ukraine occidentale, qui avant 1945 appartenait à l'espace austro-hongrois, et encore auparavant était soumise à l'empire polono-lituanien. Dans chaque famille ukrainienne il y a un Russe et dans chaque famille russe, un parent ukrainien : c'est bien la substance de la tragédie actuelle.

N'oublions pas que les Polonais et les Lituaniens, aujourd'hui si véhéments à l'encontre de la Russie, ont été en leur temps des peuples impérialistes, dont la domination n'avait rien de particulièrement doux. C'est contre l'empire polono-lituanien que les Ukrainiens ont pris leur indépendance, en se tournant vers les Russes, au XVIIe siècle. La Pologne est une grande puissance et se considère comme l'équivalent de la France dans cette partie de l'Europe. Le président Kwasniewski, ancien communiste, m'avait un jour affirmé : « pas question pour les Polonais de jouer un rôle de trait d'union entre l'Europe et la Russie, ce que nous voulons, c'est attirer l'Ukraine dans l'Union européenne puis tirer le rideau ». À cet égard, c'est dès le début des années 2000, lorsqu'il a été envisagé d'en faire un élément d'une Europe anti-russe, que l'Ukraine a été perdue pour la Russie - en partie seulement, tout le problème est là ! L'héritage de l'histoire est profond et l'Ukraine reste divisée. Nous verrons ce que l'avenir nous réserve.

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