Nous aurons à connaître de ce dossier dans le cadre de l'examen du projet de loi pour la croissance et l'activité dite « loi Macron », dont plusieurs articles concernent le rapprochement entre ces deux entreprises. Nous suivons d'ailleurs ce dossier depuis l'été dernier : M. Gautier et moi-même avions alors reçu M. Philippe Burtin, président-directeur général de Nexter. Celui-ci était présent il y a quelques jours à la réunion organisée à l'Assemblée nationale, où se trouvait aussi M. Frank Haun, président-directeur général de Krauss-Maffei Wegmann. L'opération, engagée le 1er juillet, devait aboutir en neuf mois ; nous sommes donc à deux mois du terme !
Les industries de défense terrestre ont longtemps été considérées comme des industries de souveraineté. Ce n'est plus le cas : la France, comme d'autres, est prête à acheter « sur étagère ». Bien sûr, le groupement des industriels de l'armée de terre (GIAT) n'est pas favorable à cette évolution... Compte tenu de la baisse des budgets, les marchés domestiques se contractent, sauf en Russie, en Asie et en Amérique du Sud. En Amérique du Nord et dans l'Europe « ancienne », les baisses sont drastiques. Seuls quelques pays de l'Europe « nouvelle », pour reprendre un terme utilisé par notre invitée de ce matin, voient leur marché s'agrandir un peu.
L'industrie européenne de défense terrestre est très fragmentée et la concurrence est forte. Les deux leaders mondiaux sont américains : il s'agit de General Dynamics et de BAE. En moyenne, les acteurs européens importants réalisent chacun un chiffre d'affaires d'un milliard d'euros - l'allemand Rheinmetall est au-dessus, Nexter et Krauss-Maffei Wegmann sont en-dessous. Depuis longtemps, des regroupements sont envisagés.
Nexter, issue de Giat Industries, qui fut totalement restructuré en 1971 et en 1990, a regroupé l'essentiel de notre industrie d'armement terrestre, à l'exception de Renault Trucks et de Panhard. Son chiffre d'affaires de 900 millions d'euros se répartit à peu près équitablement entre marché domestique et exportations. Son carnet de commande est convenablement rempli, essentiellement grâce au marché domestique et à l'opération Scorpion : 1,2 milliard d'euros en 2014, mais sans grande visibilité à moyen terme. En 25 ans, l'État a injecté plus de 4 milliards d'euros dans cette entreprise, qui est passée de 18 000 à 3 000 emplois. Elle est actuellement profitable et consacre à peu près 20 % de son chiffre d'affaires à la recherche et développement. C'est donc une entreprise en bonne santé, dotée de belles perspectives.
Toutefois, elle cherche à s'allier depuis longtemps. Ayant d'abord pensé à une alliance française, elle a approché Renault Trucks - qui appartient, en fait, à Volvo - sans grand succès. Une intégration dans un grand groupe industriel, comme Thales, lui aurait apporté un réseau et des moyens financiers, mais n'aurait pas présenté d'intérêt pour les produits. Nexter a donc recherché un partenaire européen.
S'est présentée l'entreprise familiale Krauss-Maffei Wegmann, fondée en 1830 pour construire des locomotives, et dont les produits sont aujourd'hui concurrents ou complémentaires de ceux de Nexter. L'entreprise est gérée par une famille d'industriels, les Bode-Wegmann. Le chiffre d'affaires de KMW a beaucoup baissé ces dernières années, passant de 1,5 milliard d'euros à 700 millions. Deux usines, à Munich et à Kassel, emploient 3 000 personnes. Leur carnet de commandes est mieux rempli que celui de Nexter, les Allemands étant plus performants que nous dans leurs exportations : le char Leopard s'est mieux vendu que le Leclerc, le Boxer mieux que le VBCI...
Un rapprochement a donc été décidé entre cette entreprise familiale et Nexter, qui est entièrement détenue par l'État puisque c'est une filiale de Giat Industries. Une société commune va être créée, à laquelle chacune apportera 100 % de son capital. Dénommée provisoirement « NewCo », elle pourrait aussi bien s'appeler « KANT », d'après l'acronyme qui désigne le projet. Pour réaliser cette alliance entre égaux, il reste à établir la valorisation de chaque entreprise. Les choses avancent convenablement, malgré quelques tentatives de sabordement, notamment en Allemagne où l'entreprise Rheinmetall a déclaré que c'est elle qui aurait dû s'allier avec Krauss-Maffei Wegmann en premier ; le même argumentaire a été développé en France, où certains préfèreraient que Nexter s'allie d'abord avec une autre entreprise française. Les syndicats seraient plutôt favorables à une opération française. Quant à nous, qui nous sommes battus pour que la reconfiguration de cette industrie n'aboutisse pas à 17 entités différentes, nous saluons et soutenons le rapprochement en cours.
Nexter compte encore quelques ouvriers sous décret. Naturellement, il n'est pas question de léser leurs intérêts. La loi comprendra donc une disposition prévoyant le maintien de leur statut. L'association à égalité empêche de donner à Nexter la majorité : il faudra donc privatiser cette entreprise. A cet effet, la loi devra la faire entrer dans la liste des entreprises publiques privatisables. La discussion est en cours entre l'agence des participations de l'État (APE) et la famille Bode-Wegmann sur la valorisation : le chiffre d'affaires de Nexter est supérieur à celui de Krauss-Maffei Wegmann mais le carnet de commandes de cette dernière est mieux rempli... L'objectif est d'aboutir à une valorisation égale des deux sociétés.
Cette entreprise nouvelle deviendra le leader européen du secteur, et le troisième acteur mondial, puisque son chiffre d'affaires sera à peu près de 1,6 milliard d'euros.