Ce sujet s'inscrit dans la suite des travaux de la commission des finances. En effet, à l'initiative du président Philippe Marini et depuis quelques années, nous nous sommes fait une spécialité de la question de l'optimisation fiscale pratiquée par les géants de l'Internet, qui délocalisent d'autant plus facilement leurs profits que leurs ventes sont constituées de biens immatériels - les films, la musique ou encore la publicité.
Aujourd'hui, nous souhaiterions aborder la vente sur Internet de biens matériels - ceux que l'on peut acheter sur les grands sites tels que la Fnac, Amazon, eBay, de particulier à particulier... mais aussi sur des milliers d'autres. Or cette fois-ci, ce n'est plus d'optimisation dont il s'agit, mais de fraude fiscale pure et simple.
Quel est l'enjeu ? Vous avez ici les chiffres, qui sont relativement importants : aujourd'hui, la vente en ligne représente en France 45 milliards d'euros de chiffre d'affaires annuel pour les biens matériels et immatériels, et environ 25 milliards d'euros de chiffre d'affaires annuel pour la vente à distance de biens matériels. Tout cela ne fait que croître et embellir. En France, 117 000 sites Internet sont actifs, et près de 550 000 en Europe. On estime que 69 % des Français et 250 millions d'Européens achètent en ligne.
Un mot sur le rapport de la Commission européenne paru récemment, qui estimait le manque à gagner en matière de TVA à 32 milliards d'euros pour la France. Ces chiffres ont certes fait l'objet de polémiques car leur mode de calcul n'est pas connu, mais ils donnent une idée des enjeux, qui sont considérables.
Nous avons donc mené une mission de contrôle sur le rôle de l'administration des douanes (la Direction générale des douanes et droits indirects, DGDDI) dans le commerce en ligne. Je vous livre tout de suite notre conclusion. En matière de lutte contre les trafics (stupéfiants, tabacs, alcools, contrefaçons...), la douane conduit ses missions correctement, mais en matière de recouvrement des droits et taxes qui sont dus, nous sommes très en-dessous de ce qu'il serait nécessaire de faire.
Comment se déroulent les contrôles ? Nous nous sommes rendus sur place, à Roissy, pour observer la manière dont sont examinés les colis en provenance de l'étranger, par fret express (par FedEx, UPS, DHL...) et en fret postal. En effet, la quasi-totalité des particuliers qui achètent sur Internet se font envoyer leurs envois par ces moyens-là.
Quatre heures avant l'arrivée de l'avion, les transporteurs doivent envoyer à la douane, par voie électronique, une série d'informations sur les marchandises transportées. Lors du dédouanement, à l'arrivée, une déclaration en douane est remplie, qui permet d'attribuer un statut à la marchandise et de calculer les taxes afférentes. Toutes ces informations sont entrées dans un système de « ciblage », qui permet d'identifier les envois a priori douteux qui seront mis de côté pour être examinés. Ce système est enrichi par de nouvelles données au fil du temps, afin d'interrompre les envois venant d'un même expéditeur.
C'est à ce moment-là qu'ont lieu les contrôles, dans chacun des entrepôts répartis sur la plateforme aéroportuaire. Les agents peuvent se limiter au contrôle des documents, mais aussi ouvrir les colis pour examiner la marchandise. Le cas échéant, celles-ci sont saisies et peuvent donner lieu à une procédure judiciaire.
Pour le fret postal, les choses sont beaucoup plus compliquées puisque les déclarations ne sont pas informatisées. Il est donc impossible d'effectuer un ciblage automatique. Les agents sont alors condamnés au « tri visuel » - autant dire que les résultats ne peuvent pas être à la hauteur de nos espérances, compte tenu à la fois des faibles moyens humains engagés et du secret de la correspondance qui protège les envois postaux.
Quels sont les résultats obtenus en matière de lutte contre les trafics ? Ils peuvent être considérés comme satisfaisants, comme en témoignent les chiffres suivants. En ce qui concerne le fret express et le fret postal, en 2012, la douane a saisi 2,8 tonnes de stupéfiants, 29,5 tonnes de cigarettes de contrebande et 1,4 million d'articles de contrefaçon. Ces résultats représentent une part importante du total des saisies effectuées par la douane en 2012. Cela dit, il convient de relativiser ces résultats : par définition, on ignore le volume des trafics qui réussissent à « passer » sans être contrôlés. D'autant que les moyens humains sont très limités : sur place, une dizaine d'agents sont chargés d'ouvrir à la main les colis dans chaque bureau de contrôle, ce qui paraît bien peu par rapport aux centaines de milliers d'envois qui transitent chaque jour par la plateforme aéroportuaire. Vous avez là quelques photos montrant les saisies effectuées à Roissy : médicaments, accessoires pour smartphone, contrefaçons de vêtements, etc.
Par contre, en matière de recouvrement des prélèvements obligatoires, les méthodes employées sont très largement inefficaces, et c'est surtout sur cet aspect-là que nous pourrions améliorer les choses.